Le candidat ‘Hamasnik’ qui veut que les Palestiniens reconnaissent l’Etat juif
Le professeur de philosophie Yossi Yona, candidat à la Knesset, déclare que c'est grâce aux manifestations de 2011 qu'il a surmonté sa désillusion envers le sionisme
Le clip commence avec le logo du Hamas et une musique menaçante. Puis une citation apparaît : « Il n’y a pas de différence entre la Journée de la Shoah et la Nakba palestinienne ».
La phrase, écrite en mauvais hébreu, suggérant qu’elle a été écrite par des Arabes, fait allusion à la « catastrophe » que fut pour les Palestiniens la création d’Israël en 1948.
Viennent ensuite des images de la Shoah et de violents soulèvements palestiniens, puis d’autres déclarations controversées, telles que « Respect pour les soldats sionistes qui refusent de servir dans les territoires occupés» et « Tant que durera l’occupation, il y aura la terreur, » mêlées avec des images d’insurrections palestiniennes.
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À la fin du clip d’une minute, il est dit : « Ce n’est pas le Hamas ! C’est Yossi Yona [du] parti travailliste dirigé par [Isaac] Bouji [Herzog] ».
Cette élection se caractérise par ses vidéos virales de campagne plus que par toute autre chose ;ce clip que Naftali Bennett, le président du parti HaBayit HaYehudi a publié dans le but de dénoncer Yona comme un sympathisant du Hamas, en est un exemple particulièrement grossier. Ce n’est pas tous les jours qu’un professeur de philosophie israélien qui croit que les Palestiniens doivent reconnaître Israël comme un Etat juif est assimilé à une organisation terroriste meurtrière.
« J’ai été choqué, j’ai été en colère, j’ai été blessé », a déclaré lors d’une récente interview au Times of Israel, Yona, numéro 23 sur la liste de l’Union sioniste et susceptible d’être élu à la Knesset.
« Bien que je sois critique et que parfois certains de mes commentaires aient été provocateurs, ils n’ont jamais exprimé un quelconque désir que ce pays échoue. Cet endroit, Israël, m’est cher. »
https://www.youtube.com/watch?v=vxVk-ueod6c
Yona, un militant vivant à Tel-Aviv, qui a étudié à Ivy League, était en Thaïlande lorsque le clip a été mis en ligne à la fin du mois de janvier. Il a fait appel à la commission centrale des élections, mais sa plainte a été rejetée parce que l’annonce ne contenait a priori aucune incitation. En attendant, le clip a été vu plus de 50 000 fois.
Est-ce que Yona, professeur en philosophie de l’éducation à l’Université Ben Gourion, a effectivement prononcé toutes les choses que Bennett prétend ?
Yona affirme que la plupart d’entre elles sont soit de parfaites inventions soit des déclarations partielles détachées de leur contexte. Une seule déclaration qui lui est attribuée a été reprise de façon exacte dans le clip, et il s’est depuis rétracté, a-t-il ajouté.
The Times of Israel a examiné certaines des déclarations controversées ostensiblement faites par le candidat à la Knesset.
Alors qu’il n’a jamais prétendu que la Journée de la Shoah et de la Journée de la Nakba étaient similaires, il a juxtaposé les deux d’une façon pouvant prêter quelque peu à confusion.
Dans une interview en octobre 2005 au journal Haaretz, Yona avait décrit sa vision d’Israël comme un Etat multiculturel dans lequel les Arabes et les Juifs vivent en paix les uns avec les autres.
« Je voudrais proposer, avait-il dit lorsqu’on lui a demandé si la sirène sonnerait la Journée du Souvenir [des soldats] et la Journée de la Shoah, que les jours de deuil soient réunis en un jour, dans lequel l’expression appropriée serait également accordée aux Arabes ; de porter le deuil par exemple pour leur journée de la Naqba. »
Cette déclaration n’assimile en aucun cas la Nakba à la Shoah comme suggéré par le clip de Bennett, insiste Yona.
« J’ai dit que quand il y a une totale réconciliation entre des rivaux il y a un point où chacun reconnaît la douleur et la souffrance de l’autre. »
Il n’a pas appelé à la création d’un seul jour de deuil dans lequel seraient rappelées à la fois les détresses palestinienne et juive, a-t-il ajouté. « Mon idée est que la réconciliation entre les personnes passe par la reconnaissance mutuelle. »
« Aux États-Unis, les Blancs commémorent la Journée de Martin Luther King, en reconnaissant qu’ils sont au moins partiellement responsables de la souffrance des Noirs, a-t-il dit. Juifs et Arabes ne deviendront pas un même peuple de si tôt, comme le sont les Américains, mais j’ai néanmoins pensé à une journée utopique lorsqu’il y aura une pleine réconciliation. »
Qu’en est-il de son soutien à l’objection de conscience ? Il est vrai qu’il y a plus d’une décennie, il a signé une pétition appelant les soldats à refuser de servir dans les Territoires, mais il est depuis revenu sur ce point de vue, dit-il.
« Je croyais alors que le refus de servir en Cisjordanie puisse être un moyen efficace contre la colonisation, qui est à mon avis incompatible avec la capacité de maintenir un Etat juif souverain. J’ai changé d’avis depuis. » Une des principales raisons de son changement de point de vue est la réalisation que l’objection de conscience peut aussi se retourner – par exemple quand des soldats penchant à droite refuseraient de démanteler les implantations illégales.
Conscient que la désobéissance est controversée en Israël, où beaucoup considèrent le service militaire comme un devoir sacré, il a refusé d’en dire plus. Interrogé sur la façon dont un soldat doit agir si, pour des raisons morales, il ne veut pas servir en Cisjordanie, il hésita.
«Je n’ai pas de position à ce sujet. » Une déclaration opportune pour un politicien, mais pas très courageuse pour un philosophe. « Le moment où j’ai une position sur cela, c’est une déclaration publique. Donc, je n’ai pas de position là-dessus. »
Yona, qui parle couramment l’anglais et l’arabe, a également été attaqué pour ne pas être assez « sioniste ».
Encore une fois, c’était quelque chose qu’il avait dit dans cette interview à Haaretz en 2005. A la question : ‘vous considérez-vous comme sioniste ?’, il répondit : « J’avoue que je ne me connecte pas avec ce mot, le sionisme. Il n’exprime pas qui je suis. Dans ma jeunesse, j’étais un sioniste. »
Yona dit maintenant qu’il est sans aucun doute un sioniste, mais ajoute qu’il avait souhaité à l’époque exprimer son « éloignement uniquement des interprétations chauvines et nationalistes données au [sionisme] par la droite. Le sionisme a été détourné par la droite, dit-il, et si cela signifie l’occupation et la transformation de la Cisjordanie en un Etat d’apartheid, il ne veut rien à avoir à faire avec cela. »
Pour Yona, être un véritable sioniste signifie croire en une solution à deux Etats et faire d’Israël un État plus social et plus progressiste, poursuit-il. Jadis il avait perdu l’espoir qu’Israël puisse répondre à cet idéal, mais le mouvement de protestation sociale de 2011 a ravivé sa ferveur sioniste.
« Voir un demi-million de personnes descendre dans la rue, qui aspirent à un nouvel espoir, est tout à fait miraculeux. »
Blessé de guerre, conseillé de Rabin, opposant à Trajtenberg
Yona est né et a grandi à Kiryat Ata, au nord de Haïfa, de parents qui ont immigré en Israël d’Irak dans les années 1950.
Il a servi dans les blindés, et les « expériences traumatisantes » et « cicatrices émotionnelle » qu’il a vécues lors des combats de la guerre de Yom Kippour en 1973 – son char a été touché cinq fois – ont forgé ses opinions politiques, rappelle-t-il.
Beaucoup trop de ses camarades sont morts, et il a perçu les dirigeants du pays comme « suffisants et présomptueux ». « Donc, vous vous dégrisez. Mais vous ne perdez pas votre fidélité à cette terre. J’y suis resté fidèle, mais vous avez un sentiment de colère et de frustration. »
Après l’armée, Yona a étudié la philosophie, l’histoire et l’histoire de l’art à l’Université de Haïfa et a obtenu un doctorat de l’Université de Pennsylvanie. À son retour en Israël, il a commencé à enseigner la philosophie et s’est engagé dans des mouvements pour la paix et la justice sociale, y compris lors d’un passage par la politique comme conseiller du Premier ministre Yitzhak Rabin sur les questions d’éducation.
Après l’assassinat de Rabin, il a senti que « l’idéologie de droite nous a conduit à l’abîme ».
Déçu par la politique, il s’est concentré sur la recherche et a écrit un roman. Mais quand le mouvement de protestation sociale a éclaté il y a quatre ans ses passions politiques ont réapparu. « J’avais le désir ardent que quelque chose se passe », se souvient-il.
Yona est devenu l’un des intellectuels les plus virulents du mouvement et ironiquement peut-être, le critique le plus féroce du rapport parrainé par le gouvernement visant à répondre à l’appel du peuple et écrit par Manuel Trajtenberg – ce même Trajtenberg qui est maintenant le candidat de l’Union sioniste pour le ministère des Finances.
« Je crois encore qu’il savait que les recommandations rédigées par sa commission pouvaient difficilement répondre aux demandes des manifestants ni soulager sérieuse détresse économique qui a amenés les gensdans les rues » affirme Yona à propos de Trajtenberg.
La commission qu’il a dirigée était « un stratagème du Premier ministre Netanyahu pour désamorcer l’indignation sociale et tromper les manifestants, en leur faisant croire, à tort, que son gouvernement était sincère dans ses tentatives de fournir des remèdes à leurs détresses. »
Mais en rejoignant l’Union sioniste, dit Yona, Trajtenberg a montré qu’il « a connu une transformation idéologique considérable. » Pourtant, Yona reconnaît sans ambages qu’il n’est pas entièrement d’accord avec la plate-forme économique du parti.
Bien que Yona continue à être désigné par la droite comme le talon d’Achille d’extrême-gauche de l’Union sioniste – il a été attaqué à nouveau la semaine dernière pour avoir suggéré que son parti allait envisager la division de Jérusalem -, sa vision d’une solution au conflit israélo-palestinien n’est pas considérablement différente de celles de la plupart de ses colistiers. S’il y a une différence, c’est son insistance pour une concession palestinienne majeure à laquelle même de nombreux centristes sont prêts à renoncer : la reconnaissance d’Israël en tant qu’Etat juif.
Netanyahu a placé cette demande au cœur du conflit : il ne peut y avoir de paix, soutient-il, tant que les Palestiniens ne reconnaissent pas Israël comme l’État-nation du peuple juif.
Certains considèrent inutile cette insistance sur cette reconnaissance, destinée à faire dérailler toute tentative sérieuse de négociations de paix. Pas Yona. Il considère la demande de Netanyahu pour la reconnaissance non seulement comme légitime, mais « essentielle », même s’il accuse le Premier ministre de l’utiliser comme excuse pour entraver les pourparlers de paix avec les Palestiniens.
« Comme enseignant de philosophie moderne, je crois que la reconnaissance mutuelle, tant sur le plan personnel qu’au niveau collectif, est un besoin humain fondamental », a déclaré Yona. Notre sens de l’individualité – soit sur le plan personnel ou collectif – est réaffirmée par une telle reconnaissance. »
Il se pourrait bien que le refus obstiné des Palestiniens d’accorder cette reconnaissance indique leur refus de reconnaître le droit du peuple juif à la souveraineté, reconnait-il – tout comme il y a beaucoup de Juifs qui rejettent l’existence même d’un peuple palestinien, sans parler de leur droit à un Etat indépendant.
« Eh bien, il semble que tous deux, Palestiniens et Juifs, sommes confrontés à un défi de taille, un défi réel et lourd à cet égard. Mais nous ne devons pas perdre espoir. Nous devrions œuvrer à la réconciliation et la reconnaissance mutuelle. »
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