Le commerce maintient les liens israélo-émiratis malgré le 7 octobre et la guerre à Gaza
Si les échanges commerciaux entre les 2 pays signataires des Accords d'Abraham ont augmenté de 11 % en une année, le maintien des liens a été un exercice de haute voltige diplomatique

ABOU DAHBI — Les échanges commerciaux entre les Émirats arabes unis et Israël ont augmenté de 11 % entre 2023 et 2024, malgré les vives objections à la guerre menée contre le groupe terroriste palestinien du Hamas à Gaza qui ont conduit certains dans cet État riche en pétrole à demander la rupture des liens nouvellement établis avec l’État juif.
Bien que fermement opposé au Hamas, le gouvernement des Émirats arabes unis a vivement critiqué les actions militaires d’Israël et a condamné haut et fort les dizaines de milliers de morts palestiniens dans la bande de Gaza rapportées par le ministère de la Santé du Hamas. Les chiffres publiés par le groupe terroriste sont invérifiables, et ne font pas de distinction entre civils et terroristes.
En tant que tel, cela a été un véritable exercice de funambule diplomatique pour les Émirats arabes unis, alors que des voix s’élèvent dans le pays pour se demander si les Accords d’Abraham, négociés par le président américain Donald Trump lors de son premier mandat, pourraient survivre. La diplomatie publique entre les deux pays se fait de plus en plus discrète.
« Comment pouvons-nous entretenir des relations avec Israël alors qu’il n’y a pas de solution à deux États ? Et comment pouvons-nous dire que le Hamas est un groupe terroriste sans qualifier de terroristes les colons [résidents d’implantations] et tout ce qu’ils font ? », a déclaré un haut responsable émirati s’adressant au Times of Israel sous couvert d’anonymat.
Toutes les actions d’Israël pendant la guerre ne sont pas critiquées : la destruction en un temps record des dirigeants du groupe terroriste chiite libanais du Hezbollah et l’affaiblissement du Hamas par Israël ont été bien accueillis aux Émirats arabes unis, qui ont interdit le groupe terroriste des Frères musulmans en 2014 et entretiennent depuis des années des relations tumultueuses avec l’Iran et ses milices chiites telles que les Houthis au Yémen.
« [Benjamin] Netanyahu a fait ce que tout le monde voulait avec le Hezbollah et le Hamas », a déclaré le responsable émirati, accusant immédiatement le Premier ministre israélien « d’être un criminel de guerre qui devrait être jugé par la Cour pénale internationale [CPI] pour les morts et les destructions à Gaza ».

Le commerce a été un élément clé des accords de 2020 normalisant les relations entre Israël et plusieurs États arabes, dont les Émirats arabes unis, qui ont connu la plus forte croissance commerciale de tous.
Selon le Bureau central des statistiques d’Israël (CBS), le commerce entre Israël et les Émirats arabes unis (à l’exclusion des logiciels et des transactions directes entre les gouvernements) s’élevait à environ 3,2 milliards de dollars en 2024.
Un accord de libre-échange a été conclu en un temps record et des investissements de plusieurs milliards de dollars ont été réalisés dans les mois qui ont suivi la signature de l’accord, dans des secteurs allant des soins de santé à la sécurité.
Évolution positive des échanges commerciaux
Les liens entre Israël et les Émirats arabes unis ont certes été plus solides que les relations d’Israël avec l’Égypte et la Jordanie.
Ahmed Alkhuzaie, un analyste politique bahreïni basé à Washington, a estimé que la dernière hausse des échanges commerciaux reflétait des relations plus profondes entre Israël et les Émirats arabes unis que celles établies par les traités de paix conclus par Israël avec ses voisins depuis des décennies, qui se sont davantage caractérisés par une paix froide ponctuée de différends.
« Les accords sont plus stables que les traités de paix signés avec la Jordanie et l’Égypte. Le 7 octobre l’a prouvé. Le PIB d’Israël a certainement été affecté, mais pas autant que certains le pensent. Les seuls vols à destination et en provenance d’Israël qui n’ont pas été affectés par la guerre étaient ceux en provenance des Émirats arabes unis », a déclaré Alkhuzaie au Times of Israel, faisant référence au pogrom perpétré par le groupe terroriste palestinien du Hamas le 7 octobre 2023 dans le sud d’Israël, au cours duquel plus de 1 200 personnes ont été assassinées, principalement des civils, et 251 autres ont été enlevées et emmenées de force à Gaza, et à la guerre qui a suivi.
Les Émirats arabes unis ont maintenu leur ambassadeur à Tel Aviv alors même qu’ils menaient une campagne acharnée au Conseil de sécurité de l’ONU pour obtenir des mesures visant à imposer un cessez-le-feu à Gaza. Ils ont également envoyé des quantités record d’aide à la bande de Gaza, y ont ouvert un hôpital de campagne et ont évacué des centaines de Gazaouis pour qu’ils reçoivent des soins médicaux à Abou Dhabi.
« Les Émirats arabes unis n’ont pas rappelé leur ambassadeur et ont maintenu l’ambassadeur d’Israël à Abou Dhabi, car ils y voyaient plus d’avantages que le contraire », a expliqué Alkhuzaie.
« Rester en contact en temps de tragédie est plus important qu’en temps de paix, et cela a montré à quel point les accords se sont avérés plus solides que prévu. »
Étant donné que la nature du commerce bilatéral entre Israël et les Émirats arabes unis est principalement inter-étatique, Alhhuzaie a estimé qu’il faudra encore du temps pour que les liens civils s’approfondissent.
« Les relations prendront beaucoup plus de temps à se développer entre les citoyens arabes en général qu’entre les gouvernements en raison du conflit de longue date et des émotions suscitées par les Palestiniens », a-t-il précisé.

« Cela prendra du temps et demandera beaucoup d’efforts pour changer ; par conséquent, le commerce évoluera finalement aussi entre les entreprises et les particuliers – ce qui est [déjà] le cas – mais c’est minime. »
Dan Feferman, directeur exécutif de Sharaka, une ONG qui s’est efforcée de rapprocher les Israéliens et les citoyens des nations signataires des Accords d’Abraham, constate un changement dans les relations.
« Les contacts entre les peuples ont certainement été affectés. Les tensions sont naturellement fortes dans le monde arabe, mais beaucoup, en particulier ceux qui ont participé aux efforts de normalisation, sont restés en contact et se sont sans doute souciés du bien-être de l’Israélien moyen après le 7 octobre », a déclaré Feferman.
Les critiques des Émirats arabes unis à l’encontre du Hamas après les atrocités du 7 octobre et la sympathie pour les victimes de la journée la plus meurtrière pour les Juifs depuis la Shoah reflètent un changement de mentalité, a souligné Feferman, ajoutant que de tels sentiments étaient largement étouffés ailleurs dans le monde arabe.

« Il s’agit d’une évolution globalement positive, mais qui montre également que les accords et la voie sur laquelle nous nous sommes engagés ont encore un long chemin à parcourir », a-t-il poursuivi.
Le tableau n’est cependant pas aussi idyllique
Un Israélien vivant à Dubaï, qui a demandé à rester anonyme pour des raisons de sécurité à la suite du meurtre du rabbin Zvi Kogan, personnalité importante de la communauté juive, en novembre, a déclaré que la vie juive locale, qui avait été clandestine pendant des années avant la signature des Accords d’Abraham, a été durement touchée par la guerre.
« Nous n’organisons pas de rassemblements communautaires à Dubaï, ni de célébrations communes pour les hagim [fêtes] ; nous sommes à nouveau en quelque sorte sous le radar, surtout depuis le meurtre de Zvi. Et il est certain qu’il n’est plus aussi facile d’être ouvertement israélien aujourd’hui, et il y a une hésitation certaine à faire de nouvelles affaires avec des Israéliens », a-t-il déclaré.

« Ceux qui ont déjà des affaires en cours ont été moins touchés, mais cela a frappé ceux d’entre nous qui cherchent de nouvelles affaires, quel que soit le secteur », a-t-il ajouté.
« Nous avons peur. Personnellement, je suis très prudent quant aux personnes auxquelles je révèle ma nationalité. Je n’ai pas de deuxième passeport, je ne peux donc pas passer pour un ressortissant d’un autre pays. »
Un autre membre de la communauté, qui a également souhaité garder l’anonymat, a déclaré au Times of Israel : « La guerre a encouragé les gens à être plus ouvertement anti-Israël lorsqu’ils nous voient. Des membres de la communauté ont été victimes d’abus qui étaient presque inexistants avant la guerre. »
Un président provocateur

Alors que le président américain Donald Trump a dévoilé un plan visant à déplacer environ 1,5 million de Palestiniens de Gaza et à les réinstaller dans des pays tels que la Jordanie et l’Égypte, l’avenir des Accords d’Abraham est une fois de plus remis en question.
Les espoirs de normalisation des relations avec l’Arabie saoudite ont été mis à mal lorsque le royaume a catégoriquement rejeté le plan de Trump visant à prendre le contrôle de Gaza quelques heures seulement après son annonce, réaffirmant sa promesse de garantir un État palestinien et refusant toute forme de déplacement.
Aux Émirats arabes unis, le commentateur politique Abdulkhaleq Abdulla a déclaré au Telegraph que la proposition de Trump de transformer Gaza en « Côte d’Azur » était « probablement l’idée la plus stupide venue de Washington depuis des années ».
« L’annonce de Trump est conçue pour être provocante et faire réfléchir les gens. Elle souligne qu’il faut faire quelque chose de nouveau. Cette déclaration est […], en pratique, vouée à l’échec », a-t-il déclaré.
« Tout porte à croire que cela va échouer, et si Trump veut faire plaisir aux Israéliens, il fera obstacle à tout changement en faveur d’une normalisation avec les autres pays de la région. »
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