Israël en guerre - Jour 501

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Le carnet du reporter"IL N'Y A AUCUN MAL À AIMER UN PAYS ET LE CRITIQUER"

Le coprésident du groupe de travail de Harvard sur l’antisémitisme parle de l’après-7 octobre, « colère pétrifiée »

A la Divinity School, le professeur Derek Penslar a évoqué son livre "Zionism: An Emotional State" et ce qui, hier comme aujourd'hui, motive sionistes et antisionistes

Le professeur Derek Penslar, à droite, et la professeure Magda Teter, titulaire de la chaire Shvidler d'études judaïques et professeure d'histoire à l'Université Fordham, lors d'une table-ronde à Harvard Yard, le 10 décembre 2024. (Autorisation)
Le professeur Derek Penslar, à droite, et la professeure Magda Teter, titulaire de la chaire Shvidler d'études judaïques et professeure d'histoire à l'Université Fordham, lors d'une table-ronde à Harvard Yard, le 10 décembre 2024. (Autorisation)

CAMBRIDGE, Massachusetts — Ce n’était pas un lundi ordinaire. C’était la veille de l’élection présidentielle 2024, aux Etats-Unis. Ce soir-là, une foule s’était retrouvée à la Harvard Divinity School pour parler d’un sujet brûlant.

Mais rien à voir avec le duel Trump-Harris – la vice-présidente allait perdre l’élection mais remporter Cambridge haut la main avec plus de 86 % des voix. Il s’agissait là d’une toute autre question, à la fois historique, politique, religieuse et culturelle. Une question redevenue, contre toute attente, d’une actualité brûlante : le sionisme.

Sur scène, se trouvait le professeur Derek Penslar, dont les titres sont très nombreux au sein de cette prestigieuse université : professeur d’histoire du centre William Lee Frost, directeur du Centre d’études juives et co-président d’un groupe de travail universitaire sur l’antisémitisme.

Il s’agissait ce jour-là d’évoquer son livre paru en 2023 « Zionism: An Emotional State [Sionisme : un État émotionnel] », publié par Rutgers University Press dans le cadre de la série Key Words in Jewish Studies. Cet ouvrage qui parle du sionisme sous le prisme des émotions qu’il suscite, aussi bien du côté de ses partisans que de celui de ses détracteurs, fait partie des finalistes du National Jewish Book Award.

Beaucoup de choses se sont passées entre la publication de ce livre, en juin 2023, et l’annonce du prix, en janvier 2024.

Le 7 octobre 2023, les terroristes du Hamas ont massacré près de 1 200 personnes dans le sud d’Israël et fait 251 otages séquestrés dans la bande de Gaza, ce qui a déclenché la guerre à Gaza ; des manifestations antisionistes ont eu lieu sur les campus et ailleurs, accompagnées d’un regain d’antisémitisme et à Harvard, l’antisionisme étudiant s’est réveillé le 7 octobre et a culminé, comme sur les autres campus du pays, avec les campements du printemps dernier.

Un été et un semestre plus tard, la fièvre est retombée, comme les températures. Malgré cela, lors de cet entretien, Penslar évoque, sans surprise, une émotion particulièrement négative : la haine.

« J’ai mis les dernières touches à ce livre au début de l’année 2023 », a-t-il expliqué. « Et il y a eu le 7 octobre, qui a porté la haine à une nouvelle forme, celle d’une colère pétrifiée. Encore une fois, ce n’est ni une réelle surprise, ni quelque chose d’inédit, mais c’est malgré tout une immense tragédie. J’aurais préféré finir sur une note plus heureuse. »

Theodor Herzl, au centre, photographié sur un bateau en 1898. (Universal History Archive/Universal Images Group via Getty Images)

Un amour maternel pour Israël ?

Penslar privilégie la vision à très long-terme de l’historien.

En lisant son livre, on revient 130 ans en arrière, aux débuts du sionisme, à l’époque de Theodor Herzl – dont Penslar a fait la biographie en 2020. (On apprend d’ailleurs beaucoup de choses sur des versions précoces de sionisme juif et sur le sionisme chrétien du XIXe siècle.)

L’ouvrage regorge d’arguments nuancés et parfois académiques. Le sionisme est-il un mouvement prochronique ou parachronique ? Existe-t-il réellement huit types de sionisme, comme le prétend l’auteur ? (Lors de sa prise de parole, il évoque par exemple les sionismes ethnique et catastrophiste – le premier, qu’il associe à l’avant-Seconde Guerre mondiale, et le second plus tôt encore, à un proche de Herzl, Max Nordau.) Le sionisme est-il un mouvement colonial et/ou colonisateur, comme nombre de ses détracteurs le prétendent ?

Les émotions évoquées dans ce livre peuvent être difficiles à contrôler. Elles sont le signe de passions qui, hier comme aujourd’hui, travaillent sionistes et antisionistes – l’amour et la haine, l’espoir et l’incertitude, la gratitude et le sentiment de trahison.

L’auteur va à leur rencontre en mettant à profit une multiplicité de sources – de « Ahavat Tsion » ou « L’amour de Sion », roman exotique de 1853 d’Abraham Mapu qui se déroule dans le royaume biblique de Juda, aux archives du journalisme judéo-américain des années 1960 et 1970, reflets d’un mélange d’amour et d’anxiété face à la situation géopolitique d’Israël. Cette époque, proche de la nôtre, était lourde d’inquiétudes, entre guerre du Kippour et résolution de l’ONU de 1975 – annulée en 1991 – faisant du sionisme un racisme.

Des intervenants, parmi lesquels le professeur Derek Penslar, à droite, s’expriment lors d’une table-ronde consacrée au sionisme à la Harvard Divinity School, le 4 novembre 2024. (Autorisation)

Le public de l’événement du 4 novembre grignotait des sandwiches de style méditerranéen et sirotait des boissons gazeuses tandis que Penslar évoquait son livre avec le modérateur Shaul Magid, rabbin et professeur à l’école de théologie, par ailleurs auteur d’un préface.

L’échange était respectueux, aux antipodes de l’accueil reçu par Penslar lors de sa nomination, l’année dernière, comme coprésident du groupe de travail de Harvard sur l’antisémitisme.

Ses contempteurs se sont servis de citations de son livre pour remettre en cause cette décision et ont rappelé qu’il avait signé une lettre ouverte, en août 2023, avec près de 3 000 autres universitaires, pour fustiger l’occupation israélienne des territoires palestiniens, constitutive d’un régime d’apartheid.

Au printemps dernier, à l’occasion d’un entretien avec le Times of Israel, Penslar avait expliqué que sa propre critique d’Israël était – pour partie – commandée par une forme d’amour exigeant.

« J’aime énormément Israël », avait-il dit. « C’est pourquoi je suis si triste de la direction qu’il a prise, de ce que ce gouvernement fait dans les territoires occupés sans parler de ses tentatives pour priver le pays de ses fondements démocratiques. Israël peut faire tellement mieux. Mes opinions m’attirent des critiques. Mais je ne vois rien de mal à être à la fois émotionnellement attaché à un pays et critique à son envers.

Le professeur Derek Penslar, historien et écrivain, actuellement coprésident du groupe de travail sur l’antisémitisme de Harvard. (Autorisation)

Il utilise, pour expliciter son propos, une image issue de sa propre expérience, professionnelle et personnelle, de père et grand-père – abba et zayd, le père, en hébreu, et le grand-père, en yiddish.

« J’aime beaucoup ma famille », confie Penslar. « Mais parfois, les enfants ne se comportent pas comme ils le devraient, ou alors c’est un frère, une sœur ou un conjoint qui adopte un comportement destructeur ou autodestructeur. Dans ce cas, l’amour exigeant est non seulement justifié, mais nécessaire. »

Lors de cette même interview, il expliquait que nombre de sionistes de la première heure étaient motivés par une forme d’amour moins critique, ce qui rapprochait – tout en conservant son unicité – le mouvement des autres mouvances nationalistes contemporains.

« Aucun mouvement nationaliste du 19e siècle ne faisait l’impasse sur l’amour », explique Penslar, ajoutant qu’il s’agissait alors d’un amour des « montagnes, des vallées, des rivières, des lacs – celui de la beauté de la terre ».

Pour autant, la littérature sioniste de la fin des années 1800 et du début des années 1900 contient des références à l’amour uniques en leur genre.

« La beauté de la Terre d’Israël, celle de la langue religieuse ancienne et de la langue nationaliste moderne… le tout combiné dans un fantasme érotico-spirituel », analyse Penslar. « Tout cela parle d’amour. »

Quoi d’étonnant, en somme, que l’un des tout premiers groupes sionistes se soit appelé Hovevei Tsiyon, « Les amants de Sion », inspiré du principe de hibat tsiyon – « amour de Sion » ?

Des dizaines d’années plus tard, au sein de la diaspora, cet amour s’est transformé en adoration au moment de l’indépendance d’Israël, en 1948, et de la victoire israélienne lors de la guerre des Six Jours, en 1967.

« Les Juifs de la diaspora ne faisaient pas qu’aimer Israël – ils étaient littéralement tombés amoureux d’Israël, ils adoraient Israël », explique Penslar, qui se met lui-même dans cette catégorie en repensant au jeune homme qu’il était lors de son tout premier voyage en Israël, il y a de cela 45 ans. « Pour la grande majorité des Juifs, l’adoration d’Israël prévaut jusqu’au XXIe siècle. »

Un réfugié palestinien montre des clés qui, selon lui, sont celles de son ancienne maison, la veille du jour anniversaire de ce que les Palestiniens qualifient de « Nakba » ou « catastrophe », allusion à la naissance de l’État d’Israël. Photo prise à Ramallah le 14 mai 2012. (Crédit : Issam Rimawi/Flash90)

« Les sionistes ne sont pas les bienvenus »

L’indépendance d’Israël a sans doute réalisé le rêve sioniste. Pourtant, plus de 75 ans plus tard, les contempteurs d’Israël, toujours plus nombreux, voient les choses autrement. Ils parlent de ce qu’ils qualifient de milices sionistes et qui, en 1948, ont déplacé 750 000 Palestiniens – ce que l’on qualifie en arabe de Nakba, la catastrophe.

Leur nombre a encore augmenté en 1967, en raison de l’occupation israélienne de la Cisjordanie et de la bande de Gaza à l’issue de de la guerre des Six Jours (Israël s’est désengagé de la bande de Gaza en 2005 mais lui a imposé un blocus à l’arrivée au pouvoir du Hamas). Nombre de Palestiniens déplacés en 1948 ou 1967 vivent avec leurs descendants dans des camps de réfugiés, que ce soit à Gaza, en Cisjordanie ou ailleurs au Moyen-Orient.

De plus en plus d’antisionistes qualifient Israël d’État d’apartheid, l’accusant de génocide lors des combats contre le Hamas ou au Liban.

Les antisionistes ne font pas de distinguo et embarquent les Juifs dans leur critique.

Deux semaines après le discours de Penslar, le 18 novembre, une organisation étudiante de Harvard – la Harvard Jews for Palestine – organisait une manifestation devant Harvard Hillel. Dans l’immeuble, l’ex-porte-parole de Tsahal, Ronen Manelis, prenait la parole à titre officieux ; devant, une dizaine de manifestants scandaient des slogans, comme celui-ci « Les sionistes ne sont pas les bienvenus ».

« Depuis le 7 octobre, il y a eu une augmentation exponentielle des réactions émotionnelles au sionisme et à Israël », expliquait Penslar au Times of Israel, au printemps dernier. Il s’agit d’un véritable « tsunami émotionnel, dans ce qu’il dit de sa colère et de sa haine d’Israël un peu partout dans le monde », doublé d’un « regain d’ambivalence, de détresse, de peur et de critique envers Israël de la part des jeunes Juifs américains ».

Des membres de la branche sud de la Floride du groupe antisioniste Jewish Voice for Peace et d’autres manifestants appellent à un cessez-le-feu à Gaza, devant le bureau du sénateur Rick Scott à Miami, le 17 octobre 2023, à Coral Gables, en Floride. (Crédit : AP Photo/Rebecca Blackwell)

Cela ne l’empêche pas d’évoquer « ce sentiment de solidarité et d’inquiétude que de nombreux Juifs de la diaspora ressentent pour Israël ». C’est un thème sur lequel il est revenu lors de sa présentation du livre.

Il parle d’un « sionisme ethnique, qui n’a rien à voir, soit dit en passant, avec l’État d’Israël », mais qui « est simplement une forme d’identité ethnique ». Il estime « que ses racines remontent à l’avant Seconde Guerre mondiale et que c’est très important… pour les Juifs de la diaspora depuis 1948 ».

« Israël fait que l’on se sent juif : Israël est devenu une sorte de religion civile de la communauté juive américaine », conclut Penslar. « C’est bien présent. »

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