Le revirement de Meta sur le fact-checking continue de provoquer l’inquiétude
Mark Zuckerberg a justifié sa décision mardi par son souci de "restaurer l'expression libre sur (ses) plateformes", à l'approche du retour à la Maison Blanche de Donald Trump
L’ONU, le Conseil de l’Europe et d’autres leaders internationaux s’alarment des conséquences graves que risque d’entraîner la fin du programme de fact-checking de Meta aux Etats-Unis, tandis que Joe Biden a dénoncé vendredi une décision « vraiment honteuse ».
« La vérité compte », a déclaré le président américain à la presse depuis la Maison Blanche, après l’annonce coup de théâtre cette semaine de la maison mère de Facebook, Instagram et WhatsApp.
« Le monde réel » va en souffrir, a averti le réseau international de fact-checking IFCN jeudi.
L’IFCN a également rejeté comme « faux » l’argument de justification avancé par Mark Zuckerberg, le patron du groupe californien, selon lequel la vérification des informations « était orientée politiquement » et entraînait « trop de censure ».
Si Meta généralisait au monde entier sa décision, qui pour l’instant ne concerne que les Etats-Unis, cela aurait des conséquences dramatiques, a averti le réseau qui regroupe plus de 130 organisations, dont l’AFP.
« Il est presque certain qu’il en résultera(it) un préjudice pour le monde réel dans de nombreux endroits », a estimé ce réseau.
Parmi les plus de 100 pays dotés d’un programme de fact-checking, certains sont « très vulnérables à la désinformation qui engendre de l’instabilité politique, des ingérences dans les élections, de la violence de masse et même des génocides », explique l’IFCN.
« Expression libre »
Le réseau international de fact-checking a également rejeté les allégations de « censure » de Mark Zuckerberg.
« C’est faux et nous voulons rétablir la vérité, à la fois pour le contexte actuel et pour l’Histoire », a réagi l’IFCN.
Mark Zuckerberg a justifié sa décision mardi par son souci de « restaurer l’expression libre sur (ses) plateformes », à l’approche du retour, le 20 janvier, à la Maison Blanche de Donald Trump, qui a durement critiqué Facebook pendant des années.
L’annonce du patron de Meta a provoqué l’émoi de l’Europe à l’Australie, et jusqu’à l’ONU.
Le Brésil a ainsi sommé vendredi le groupe californien d’expliquer sous 72 heures les conséquences de son revirement pour ce pays, exigeant que soient protégés les « droits fondamentaux » des citoyens sur les plateformes.
Le Haut-Commissaire de l’ONU aux droits de l’Homme, Volker Türk, a lui affirmé vendredi que réguler les contenus haineux en ligne « n’est pas de la censure », et que les autoriser « a des conséquences concrètes ».
A Strasbourg, le Conseil de l’Europe s’est également inquiété vendredi des risques de « conséquences négatives pour les droits humains ».
« Combattre les mensonges et empêcher que se répandent des messages violents ou haineux, ce n’est pas de la censure. Il s’agit d’un engagement à protéger les droits humains », a insisté son commissaire aux droits de l’Homme, Michael O’Flaherty.
« Pente glissante »
Mark Zuckerberg est de son côté revenu sur sa décision sur le podcast conservateur de Joe Rogan.
En 2016, après la première élection de Donald Trump, « j’ai accordé trop de crédit aux nombreuses personnes dans les médias qui disaient, en gros, qu’il n’y avait ‘aucune chance que ce type ait pu être élu sans la désinformation’, » a-t-il déclaré dans une interview fleuve mise en ligne vendredi.
Il a accusé les médias partenaires d’avoir été « biaisés » en choisissant trop souvent de vérifier des contenus politiques, et a même fait une comparaison avec le livre de George Orwell, 1984, sur un monde dystopique où le gouvernement réécrit l’Histoire.
« C’est vraiment une pente glissante, et on a fini par se dire que cela détruisait la confiance, en particulier aux États-Unis », a-t-il assuré.
A la place du fact-checking, Meta va instaurer les « notes de la communauté », qui permettront aux utilisateurs d’ajouter eux-mêmes du contexte, comme sur le réseau social X d’Elon Musk. Le milliardaire accuse lui-même depuis des années les programmes de vérification de « censurer » les voix conservatrices.
Facebook utilise les fact-checks de quelque 80 organisations dans le monde.
L’Agence France-Presse est en première ligne à l’échelle mondiale. Elle participe dans plus de 26 langues au programme de Meta qui rémunère ces médias. « Nous sommes en train d’évaluer la situation », indique la direction de l’agence.
Alors qu’une vague massive de désinformation inondait la planète, le fact-checking est devenu un format journalistique à part entière.
Il s’est développé au début des années 2000 aux Etats-Unis grâce à l’internet et sous l’impulsion de médias soucieux de confronter la parole des personnalités politiques à la réalité, à l’instar du site PolitiFact.
Correction de chiffres en direct à la télévision, articles en ligne barrés de la mention vrai ou faux… la méthode a essaimé partout dans le monde, jusqu’à la bascule survenue en 2016 avec l’élection de Donald Trump et le Brexit.