Les banques en Israël : entre (tristes) bénéfices records et clients remplis de dettes
Faute de concurrence et de règles suffisantes, victimes de taux d'intérêt élevés, les ménages mis à mal par la guerre empruntent dans des conditions qui profitent comme jamais aux banques
Les deux plus grandes banques d’Israël ont publié cette semaine leurs résultats, qui font état de bénéfices – absolument – sans précédent. Mais derrière ces chiffres se trouvent des millions d’Israéliens, dont les remboursements à des taux d’intérêt exorbitants, crédits et d’autres charges financières contribuent comme jamais à la bonne santé des prêteurs.
Et ces banques qui affichent des résultats financiers insolents grâce aux remboursements de prêts et à des frais parfois superflus, sans trop verser d’intérêts sur les sommes déposées par leurs clients, le font alors même que le pays s’enlise dans la guerre et les difficultés économiques.
Alors pourquoi une telle anomalie ? Pour commencer, les banques sont des entités économiques conçues en premier lieu pour maximiser leurs profits. Ensuite, parce que la faiblesse de l’encadrement réglementaire permet aux banques de faire un peu ce qu’elles veulent avec leurs clients.
« Les banques ont profité de la guerre », explique au Times of Israel Gali Ingber, responsable des études financières au College of Management Academic Studies. « En ces temps difficiles, la plupart des clients n’ont pas eu le temps de s’occuper de leurs problèmes bancaires ou de leurs plans d’épargne : une grande partie de la population a servi dans l’armée ou la réserve pour défendre le pays et des milliers d’autres ont été évacués des communautés du sud et du nord en proie aux conséquences de la guerre. »
« Cela a permis aux banques de continuer à se conduire comme des porcs », ajoute-t-elle.
Mardi, la Bank Leumi, deuxième plus important prêteur d’Israël, a annoncé des bénéfices records pour 2024, à près de 10 milliards de shekels, grâce aux taux d’intérêt élevés subis par les détenteurs de prêts hypothécaires et autres prêts et au dynamisme de ses opérations de crédit.
Le plus important établissement financier du pays, Bank Hapoalim, a annoncé cette semaine des bénéfices de 7,64 milliards de shekels en 2024, encore supérieur aux précédents records établis en 2022 et 2023, sous l’effet du coût élevé des emprunts pour les détenteurs de prêts hypothécaires et autres prêts qui a fait littéralement exploser les revenus tirés des intérêts et des frais associés aux opérations de crédit.

Selon les chiffres, très nombreux sont les Israéliens qui dépensent davantage qu’ils ne gagnent chaque mois : en 2024, plus d’un tiers des ménages ont souffert de découvert chronique. Ils sont nombreux à s’être endettés davantage, pris en tenaille entre les hausses d’impôts et celles des prix, toutes deux liées à la guerre, et des taux d’intérêt dont le niveau demeure élevé.
Le pogrom commis par le Hamas dans le sud d’Israël le 7 octobre 2023, qui a déclenché la guerre, a eu pour corollaires des difficultés économiques pour de nombreuses familles, en particulier les habitants des villes frontalières de Gaza, dans le sud, et du Liban, dans le nord. Nombre de réservistes ont été contraints de fermer temporairement leur entreprise et d’autres ont fait faillite en raison des circonstances de la guerre.
Ces dernières années, la banque centrale n’a cessé de relever ses taux d’intérêt, passant du niveau record de 0,1 % en avril 2022 à 4,75 % en juillet 2023 pour éviter une surinflation. En dépit du début de la guerre, la Banque d’Israël n’a réduit ses taux qu’une seule fois depuis lors, en janvier 2024, avec un taux demeuré à 4,5 % depuis plus d’un an.
Les grands gagnants sont les banques et les perdants, la population, acculée à des remboursements toujours plus élevés pour leurs hypothèques et leurs prêts. Cela alourdit le fardeau financier des ménages et des entreprises et réduit leur revenu disponible.
Par ailleurs, les banques israéliennes se sont montrées léthargiques, incapables de proposer à leurs clients des taux d’intérêt plus élevés pour leurs dépôts ou leur épargne. Les banques israéliennes facturent aux ménages ayant un découvert un taux d’intérêt élevé de 12,7 % en moyenne et les intérêts moyens que les banques israéliennes versent sur les dépôts en shekels varient en moyenne entre 3,5 % et 4 %. L’écart important fait en sorte que le public paie des taux d’intérêt très élevés sur la dette, ce qui aggrave les problèmes de finances personnelles des ménages et des entreprises.
Les banques réalisent également des bénéfices importants sur les fonds que leurs clients placent sur des comptes courants. Bien qu’elles n’offrent ni intérêt ni rendement intéressant à leurs clients, les banques utilisent l’argent placé sur les comptes comme une source de financement bon marché et stable.
Faible concurrence et services réduits
Alors pourquoi les consommateurs ne s’adressent-ils pas simplement à une meilleure banque qui leur offre des taux plus compétitifs ? Parce qu’il n’y en a pas.
« Les banques en Israël font des bénéfices excessifs car elles gagnent plus qu’elles ne le feraient sur un marché concurrentiel », estime Moshe Kashi, directeur du département des finances du groupe de défense des droits Lobby 99. « Très concentré, le système bancaire est contrôlé par les cinq plus grandes banques du pays et s’il y avait davantage de concurrence, les banques n’augmenteraient pas leurs revenus grâce à la marge de taux d’intérêt – la différence entre intérêts reçus et intérêts payés. »

Avec si peu de concurrence, les banques sont libres de facturer des frais exorbitants sans crainte de retour de bâton.
« Ces bénéfices excédentaires sortent directement de la poche des consommateurs, car ils sont générés en partie par les frais bancaires inutiles que paient les clients, parfois même sans le savoir », poursuit Kashi en ajoutant que la rentabilité des banques israéliennes venait également des mesures d’efficacité agressives mises en œuvre, leur permettant de réduire les coûts opérationnels.
« Dans un marché concurrentiel, il y aurait eu une baisse des coûts des produits et services proposés par les banques, répercutés sur les consommateurs, mais en Israël, le fruit des mesures d’efficacité va directement dans la colonne bénéfices », ajoute M. Kashi.

Ces dernières années, la banque centrale et le superviseur des banques ont tenté de stimuler la concurrence en abaissant les barrières à l’entrée de nouvelles banques.
Le gouverneur de la Banque d’Israël, Amir Yaron, a demandé à plusieurs reprises aux banques du pays de présenter des plans concrets pour proposer davantage d’options de dépôt rémunéré à leurs clients, sans grand succès.
Mardi, le président de la commission des Finances de la Knesset, Moshe Gafni, a critiqué le régulateur, affirmant que « l’État et la Banque d’Israël avaient échoué dans leur mission de supervision des banques ».
« Il faut permettre aux banques de fonctionner de manière indépendante, mais cette imprudence… va au-delà de la gestion raisonnable et normative des banques en Israël », a déploré Gafni. « Au moment où le coût de la vie augmente et où de nombreuses familles peinent à joindre les deux bouts, les banques font comme si de rien n’était. »
Les propos de Gafni font écho à l’indignation de la population face à la cupidité des banques. Ces douze derniers mois, des députés ont fait une proposition de loi visant à limiter les bénéfices excessifs et alléger la charge des remboursements de crédit et autres prêts pour les ménages et les entreprises.

« La meilleure façon d’améliorer le sort des clients est de faire davantage de place à la concurrence au sein du système bancaire », explique le porte-parole de la banque centrale en réponse à une question du Times of Israel, en ajoutant avoir fait des propositions en ce sens.
« Certaines de ces initiatives se sont déjà concrétisées et ont permis d’améliorer le bien-être des clients – comme la réforme de la transparence des prêts hypothécaires, la possibilité de changer rapidement de banque ou encore le système de données de crédit – et d’autres entreront en vigueur dans un proche avenir », ajoute le porte-parole.
Hapoalim et Leumi n’ont pas immédiatement répondu aux demandes de commentaires.
Ce n’est probablement pas une coïncidence si, quelques jours avant que Hapoalim et Leumi n’annoncent leurs bénéfices massifs, la banque centrale a ordonné aux prêteurs du pays de consacrer 3 milliards de shekels à un programme volontaire d’aide financière et d’amélioration des conditions de crédit et intérêts pour les clients les plus durement touchés par la guerre.
Kashi et Inberg conviennent tous deux que les efforts des régulateurs ont échoué et que les propositions des décideurs politiques devraient être prises en compte pour accroître la concurrence entre banques de manière à venir en aide à une population noyée sous les dettes et frais bancaires.
« Ce n’est pas la façon dont un régulateur en Israël devrait agir », conclut Kashi à propos du programme d’aide volontaire. « Un organisme de réglementation doit prendre soin des clients et créer un marché concurrentiel favorable à la population au lieu de passer par des ententes volontaires et espérer que les banques donnent en retour. »
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