Les corps des terroristes peuvent être conservés à des fins de négociations, dit la Haute cour
Le tribunal a un champ d'intervention "extrêmement limité" en matière de sécurité, a écrit le juge ; pour les représentants des parties plaignantes, cette décision permettra à l'État de violer les "droits fondamentaux" des citoyens
Jeremy Sharon est le correspondant du Times of Israel chargé des affaires juridiques et des implantations.
La Haute Cour de justice a décidé dimanche à l’unanimité de rejeter six requêtes qui appelaient l’État à restituer les corps sans vie de citoyens israéliens accusés d’actes de terrorisme pour qu’ils puissent être inhumés.
Les magistrats ont statué que des décisions antérieures de la Haute Cour avaient confirmé que le gouvernement avait l’autorité nécessaire pour ne pas rendre les dépouilles des terroristes tués – et que dans la mesure où le cabinet de sécurité avait déterminé que ces corps sans vie pourraient s’avérer être nécessaires dans le cadre des négociations portant sur un accord qui garantirait la remise en liberté des otages israéliens détenus par le Hamas à Gaza, la Cour n’avait pas la possibilité d’intervenir.
L’organisation d’aide juridique Adalah – qui représentait les plaignants – a dénoncé cette décision qui permettra à l’État de « violer les droits fondamentaux de ses citoyens », a-t-elle prédit. Elle a déclaré qu’elle s’apparentait à « une suspension de l’État de droit ».
Ces requêtes avaient été déposées contre l’État, l’année dernière, par les proches de six hommes – tous citoyens arabes israéliens – dont les corps sans vie ont été conservés par les services de sécurité conformément aux décisions prises par le cabinet de sécurité. En conséquence, les défunts n’ont pas pu être inhumés.
Les autorités ont affirmé que cinq de ces hommes avaient été tués par les forces de sécurité alors qu’ils commettaient un attentat – ou qu’ils tentaient de commettre une attaque. Le sixième homme était un terroriste présumé qui était mort à l’hôpital.
Les requêtes déposées devant la Cour affirmaient que la décision prise par le cabinet de ne pas restituer les corps sans vie à des fins d’inhumation était illégale, qu’elle avait été prise sans autorité légale et qu’elle « portait atteinte, de manière à la fois grave et flagrante » à la dignité des morts et à la dignité de leurs familles.
Au moins deux des familles ont également affirmé que leur proche souffrait d’une maladie psychiatrique, hors de tout mobile nationaliste ou terroriste.
Dans le cadre de ce dossier, l’État a répondu que les négociations visant à obtenir la remise en liberté des otages israéliens et la restitution des corps sans vie qui se trouvent actuellement entre les mains du Hamas en étaient à un stade délicat, ajoutant que « il n’est pas possible actuellement d’exclure que la détention des corps de ces terroristes puisse être nécessaire pour obtenir le rapatriement des captifs et des défunts ».
Dans sa décision rendue publique dimanche, le juge David Mintz, qui s’est exprimé au nom de son panel de trois juges, a écrit que la Cour avait « un champ d’action excessivement limité » s’agissant d’intervenir dans les décisions gouvernementales relatives à la sécurité, notant qu’une telle intervention de la part des magistrats était réservée à des situations extrêmes.
Mintz, un conservateur, a également écrit que les commandants militaires avaient le pouvoir, en vertu d’une réglementation datant de 1945 – et donc antérieure à l’État – de ne pas restituer les corps sans vie des terroristes, et il a rappelé que la Cour avait déjà statué au mois de septembre de l’année dernière que cette règle s’appliquait également aux citoyens israéliens.
Le juge a admis que le positionnement de l’État concernant la non-restitution de dépouilles de citoyens israéliens avait récemment changé – dans la mesure où une telle pratique était auparavant réservée à des situations particulières, les services de sécurité étant tenus de rédiger un document de synthèse juridique expliquant pourquoi une telle mesure était nécessaire.
Dans les circonstances actuelles, le positionnement de l’Etat, qui a été défini par une décision prise par le cabinet de sécurité, au mois de septembre 2024 – consiste à dire que tant que des otages israéliens et des corps de civils israéliens resteront détenus à Gaza, Israël continuera à conserver les corps sans vie des citoyens israéliens qui ont été condamnés ou qui étaient soupçonnés d’infractions liées au terrorisme.
« Comme cela a été déterminé à plusieurs reprises, les possibilités d’intervention de cette Cour dans les décisions politiques prises par le cabinet [de sécurité] sur des questions sécuritaires distinctes sont excessivement limitées et ces interventions ne sont réservées qu’à des cas exceptionnels et extrêmes, lorsque des failles graves ont été décelées dans la prise de décision », a écrit Mintz.
« La décision prise par le cabinet de conserver les corps sans vie de terroristes qui sont aussi des civils israéliens – temporairement et pour une durée limitée – ne révèle aucune faille qui justifie notre intervention », a-t-il estimé.
Mintz a admis que la décision du cabinet de sécurité était d’ordre général et qu’il fallait encore examiner les cas particuliers des six corps actuellement détenus par les services de sécurité – notamment la possibilité qu’ils puissent avoir un poids dans les négociations en vue de la libération des otages israéliens.
Il a néanmoins affirmé que la décision du cabinet de sécurité « n’a pas été prise dans un contexte vide de sens », notant qu’elle avait été prise suite au pogrom terroriste qui avait été commis par l’organisation du Hamas, dans la bande de Gaza – les hommes armés avaient alors kidnappé 251 personnes, vivantes et mortes, les prenant en otage dans la bande de Gaza.
« Cent personnes sont encore aujourd’hui retenues en captivité », a-t-il poursuivi.
Il a ajouté que les groupes terroristes, à Gaza, conservaient eux aussi de nombreux corps sans vie d’Israéliens tués et que ceux-ci avaient été enlevés spécifiquement pour être utilisés dans le cadre de négociations.
« Il s’agit d’une décision temporaire et limitée dans le temps, qui est réexaminée de temps à autre par le cabinet », a-t-il déclaré. « À la lumière de ce qui précède et compte-tenu de la réalité sécuritaire actuelle, des négociations en cours et de leur nature dynamique, nous avons estimé qu’il n’y avait pas lieu d’intervenir », a conclu Mintz.
Adalah a dénoncé la décision, déclarant que « d’un point de vue pratique, elle suspend totalement le principe de l’État de droit et elle constitue une nouvelle détérioration de la signification de la citoyenneté arabe au sein de l’État d’Israël ».
Adalah a ajouté que la décision « donne le feu vert à la politique consistant à accumuler les corps sans vie de civils et à les garder en otage sans examen spécifique de leur cas », y compris dans les cas où les autorités n’ont pas encore déterminé que le contexte d’un éventuel incident était réellement de nature terroriste.
« Il s’agit d’une décision extrêmement dangereuse qui donne au gouvernement l’opportunité d’aller au-delà de l’État de droit dans tous les domaines liés à la violation des droits fondamentaux. Nous allons étudier cette décision en profondeur et nous envisagerons d’autres mesures juridiques en conséquence ».