Les haredim peuvent-ils contribuer à désamorcer la bataille sur la conscription ?
Certains s'opposent fermement à l’enrôlement, d'autres sont de plus en plus ouverts, surtout après le 7 octobre, mais affirment qu'utiliser la carotte et non le bâton serait plus utile
Yossi Levi est membre de la communauté juive ultra-orthodoxe – ou haredi -, dont l’exemption du service militaire obligatoire divise Israël et menace de renverser son gouvernement. Il est également major dans les réserves du Corps d’Infanterie de Tsahal.
La dispense de service militaire accordée de longue date aux haredim a suscité ces dernières semaines des vagues de protestation de la part d’Israéliens plus laïcs, mécontents de devoir assumer les risques et les corvées de la guerre contre le groupe terroriste palestinien du Hamas à Gaza, qui dure maintenant depuis six mois. Dans les rues de la ville, des manifestants ultra-orthodoxes se sont heurtés à des anciens combattants vêtus de chemises kaki et hissant des drapeaux nationaux.
En réalité, environ 10 % des haredim, comme on appelle les ultra-orthodoxes, se présentent volontairement pour effectuer les trois années de service militaire habituelles, a déclaré Levi. Certains deviennent officiers, comme lui.
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Cela ne représente que 1 200 volontaires ultra-orthodoxes par an, un chiffre dérisoire comparé aux 170 000 soldats actifs et aux 500 000 réservistes que compte Israël. L’armée israélienne ne publie pas le nombre de ses soldats.
Mais Levi, qui dirige l’organisation Netzah Yehuda qui encourage l’enrôlement des haredim, affirme que les attitudes s’adoucissent dans certaines parties de la communauté à l’égard du service militaire en raison de la guerre. Il espère que cela suffira à atténuer la crise actuelle.
« Nous pouvons doubler et tripler le nombre d’enrôlements en un ou deux ans, et nous pouvons voir beaucoup de haredim, ce qui suffira à l’armée israélienne », a déclaré le jeune homme de 33 ans depuis son quartier général de Jérusalem, où un mur est orné de photos de soldats ultra-orthodoxes tombés au combat. « Ils ne veulent pas de tous les haredim. »
Des milliers d’Israéliens en colère sont descendus dans la rue le week-end dernier – dont de nombreux réservistes – pour réclamer la destitution du Premier ministre Benjamin Netanyahu, dont le gouvernement dépend du soutien des ultra-orthodoxes pour sa survie.
Les partis politiques haredim ont tout intérêt à maintenir leurs électeurs dans les yeshivot et à les éloigner des rangs de Tsahal. Ils voient dans le dynamisme de l’armée une distraction par rapport à la Torah et au Talmud ; dans sa mixité et ses autres aspects progressistes, des affronts à leurs mœurs conservatrices.
L’exemption de la conscription remonte à la création de l’État d’Israël en 1948 et a été conçue en partie pour reconstruire les dynasties rabbiniques anéanties durant la Shoah. Mais elle a suscité des critiques au fur et à mesure que la population ultra-orthodoxe augmentait à un rythme effréné.
La question se pose aujourd’hui avec acuité. Depuis le 1er avril, les subventions de l’État pour les hommes en âge de prendre part au fardeau – surnom du service militaire en Israël – qui étudient en yeshiva – un cursus d’études religieuses – ont été suspendues sur ordre de la Cour suprême. Le tribunal a toutefois accédé à la demande de Netanyahu de prolonger le délai jusqu’à la fin du mois afin de poursuivre les négociations sur un projet très attendu de partage plus équitable du fardeau du service militaire.
Deux fonctionnaires du gouvernement informés des discussions – qui ont demandé à ne pas être identifiés en raison de la sensibilité de l’information – ont déclaré qu’un doublement du nombre de volontaires haredim, pour atteindre 2 500 soldats par an, avec d’autres augmentations par la suite, était l’une des idées en cours de discussion.
L’un des responsables a déclaré que Tsahal envisage de créer des garnisons frontalières ultra-orthodoxe qui feraient office de yeshiva ou d’affecter des soldats haredim à des missions de maintien de l’ordre permettant des congés réguliers.
Actuellement, la plupart des volontaires ultra-orthodoxes servent dans sept unités adaptées à leurs besoins. Elles disposent d’un personnel d’entraînement exclusivement masculin, de rations strictement casher et de conférences données par des rabbins.
Tsahal a refusé de commenter le débat sur la conscription, renvoyant les questions de politique au gouvernement. Le bureau de Netanyahu n’a pas encore répondu. Le 29 mars, le Premier ministre a déclaré à la presse que la réflexion de la communauté ultra-orthodoxe sur la conscription avait beaucoup progressé.
« Il y a un réel désir de parvenir à un accord, et non à une collision, au plus fort de la guerre », a-t-il souligné.
Reuters s’est entretenu avec six fonctionnaires en exercice, ainsi qu’avec trois personnalités des deux côtés du débat, qui ont déclaré que la marge de manœuvre pour un compromis était extrêmement infime.
De nombreux ultra-orthodoxes affirment qu’ils n’accepteront pas la conscription forcée. « Mieux vaut mourir que de s’enrôler », pouvait-on lire sur une pancarte lors d’une récente manifestation.
« Les Israéliens laïcs ne veulent pas que nous soyons religieux », a déclaré Yisrael Kaya, un haredi qui participait à une manifestation contre la conscription à Jérusalem, réunissant quelques dizaines de personnes. « C’est pourquoi nous préférons mourir plutôt que d’aller à l’armée. »
Le rabbin Yitzhak Yosef, grand rabbin séfarade d’Israël et mentor spirituel du parti ultra-orthodoxe Shas, a averti dans un sermon du 9 mars qui a suscité de vives critiques que les haredim partiraient à l’étranger plutôt que d’être enrôlés de force dans l’armée.
Le rabbin Motke Bloy, un éducateur lié à un autre parti ultra-orthodoxe, Yahadout HaTorah, a déclaré que la grande majorité des haredim restait opposée au service obligatoire dans les rangs de Tsahal.
« Il s’agit de persécution pour la persécution, avec un fort relent d’antagonisme politique envers Bibi [le surnom de Netanyahu] « , a-t-il déclaré à Reuters. Il a ajouté que toute tentative d’imposer un service militaire obligatoire serait vouée à l’échec : « Des dizaines de milliers d’étudiants en Torah préféreraient rester derrière les barreaux. »
Un cabinet divisé
Le maintien du recrutement volontaire des haredim pourrait ne pas satisfaire le responsable chargé d’élargir les rangs de l’armée israélienne débordée : le ministre de la Défense Yoav Gallant.
Lorsqu’un projet de loi de compromis, ne fixant pas de quotas pour les soldats ultra-orthodoxes dans l’armée ni de sanctions pénales en cas de non-respect de ces quotas, a fait l’objet d’une fuite dans les médias israéliens en mars, Gallant a annoncé que lui et les hauts gradés de Tsahal ne le soutiendraient pas.
Gallant est renforcé par deux membres centristes du cabinet de guerre de Netanyahu, Benny Gantz et Gadi Eisenkot. Tous deux sont d’anciens chefs d’état-major de Tsahal qui réclament depuis longtemps un élargissement complet de la conscription et des options de service national civil pour la minorité arabe d’Israël qui, à l’instar des haredim, en est actuellement exemptée.
« Tout porte à croire que nous nous dirigeons vers une rupture au sein du gouvernement », a déclaré un collaborateur de l’un des ministres qui, comme les six responsables israéliens informés du débat à huis clos sur la conscription, a parlé à Reuters sous le couvert de l’anonymat. Tous les responsables ont reconnu que les discussions étaient dans l’impasse, mais un seul est allé jusqu’à suggérer qu’il pourrait y avoir une « rupture ».
Les ministres Gallant, Gantz et Eisenkot, tout comme les partis Yahadout HaTorah et Shas, n’ont pas formellement défini leurs lignes rouges. Ils n’ont pas non plus indiqué où les écarts pourraient être comblés avec le temps. Les ministres n’ont pas répondu à une demande de commentaire sur les négociations.
À l’approche de la date butoir de la fin du mois, un groupe de protestation anti-gouvernement s’appuyant sur des anciens combattants de Tsahal, Frères d’armes, a organisé des marches dans des quartiers haredim, ce qui a donné lieu à des altercations avec la population locale.
Interrogé sur les initiatives susceptibles d’inciter les ultra-orthodoxes à s’engager dans l’armée, telles que la création de garnisons frontalières spéciales, un porte-parole de Frères d’armes a répondu que « nous serons en faveur de toute solution qui implique l’enrôlement complet de la société haredi dans l’armée ou le service national civil ».
Pénurie de soldats
Bien que l’armée israélienne ne publie pas ses effectifs, elle n’a jamais caché qu’elle avait besoin de plus de troupes.
Près de 3 800 personnes ont été tuées ou blessées au cours de la guerre, soit l’équivalent d’une brigade entière. « Et il nous manque encore plusieurs brigades », a déclaré un responsable.
Alors que le conflit risque de durer des mois et de s’étendre à d’autres fronts, de nombreux Israéliens affirment que leur cohésion nationale dépend d’une conscription plus large et plus équitable.
Les ultra-orthodoxes constituent la minorité israélienne dont la croissance est la plus rapide. Les haredim représentent 13 % de la population israélienne et devraient atteindre 19 % d’ici 2035, compte tenu de leur taux de natalité élevé.
Selon l’Institut israélien de la démocratie (IDI), un groupe de réflexion indépendant basé à Jérusalem, 66 000 hommes ultra-orthodoxes pourraient aujourd’hui être sous les drapeaux mais ne le sont pas, ce qui représente une augmentation vertigineuse par rapport aux 400 sages qui ont été initialement exemptés lors de la fondation du pays.
Le Jerusalem Post a rapporté fin décembre que, sur un total de 20 000 réservistes haredim, environ 7 000 avaient été opérationnels pendant la guerre de Gaza. Un porte-parole de Tsahal a déclaré qu’il ne s’agissait pas de chiffres officiels et s’est refusé à tout autre commentaire.
Trois des six responsables israéliens interrogés par Reuters ont déclaré que l’enrôlement des ultra-orthodoxes constituerait une menace insoutenable pour les liens délicats entre la religion et l’État. L’un d’entre eux s’est montré réticent à l’idée de voir la police militaire traquer les réfractaires dans les quartiers haredim.
Yaïr Lapid, ex-Premier ministre libéral qui dirige aujourd’hui l’opposition parlementaire, a suggéré que l’enrôlement des haredim soit imposé par la retenue de fonds – plutôt que par l’emprisonnement.
« S’ils ne s’enrôlent pas, ils ne recevront pas d’argent « , a-t-il déclaré aux députés de son parti laïc Yesh Atid le 11 mars.
Une communauté en mutation
Les sondages montrent que la majorité juive d’Israël – y compris les haredim – reste très favorable à la guerre, qui a été déclenchée par l’assaut barbare du groupe terroriste palestinien du Hamas sur le sud d’Israël le 7 octobre.
Le major ultra-orthodoxe de Tsahal, Levi, a déclaré que les soldats haredim – dont les uniformes suscitaient autrefois l’hostilité dans leurs villes d’origine – étaient de plus en plus respectés après l’assaut du Hamas.
« Beaucoup de gens soutiennent davantage Tsahal. Ils sentent que quelque chose a changé », a-t-il déclaré.
Mais Bloy, l’éducateur, ne voit aucun changement de ce type dû au conflit. Les ultra-orthodoxes les plus ouverts à Tsahal sont principalement motivés par des considérations antérieures à la guerre, telles que des facteurs économiques, a-t-il affirmé.
L’IDI a constaté un taux de pauvreté de 34 % chez les haredim, contre 21 % pour l’ensemble de la population. Les économistes affirment que cela est dû, en partie, au fait que de nombreux hommes ultra-orthodoxes restent dans les yeshivot – et ne sont pas sur le marché du travail.
Néanmoins, le taux de pauvreté des haredim est en baisse, puisqu’il était de 44 % en 2019, selon l’IDI – un indicateur de l’intégration dans la société dominante, qui pourrait être lié au service militaire.
« Un changement s’opère aujourd’hui dans le monde haredi. Il y a le haredi ouvert, le nouveau haredi », a déclaré le rabbin Karmi Gross, directeur de la yeshiva Derech Haïm à Gan Yavne, dont certains étudiants combinent des études scientifiques avec des études bibliques. Certains de ces étudiants servent ensuite dans des unités technologiques de l’armée israélienne qui leur permettent d’exercer une future profession.
Dans les unités de combat, les ultra-orthodoxes acquièrent également des compétences de leadership qui les aideront à trouver des carrières civiles, a déclaré Levi.
Levi et Gross ont tous deux déconseillé les tactiques d’enrôlement musclées, affirmant que les haredim pouvaient être attirés par des incitations.
Levi a recommandé des incitations destinées aux hommes ultra-orthodoxes moins aptes à passer de longues heures à étudier les écritures.
« Si nous voulons être intelligents, nous devons séparer les haredim qui étudient la Torah toute la journée dans les yeshivot et les haredim qui ne l’étudient pas », a déclaré Levi, se référant aux séminaires religieux par leur nom en hébreu.
Marquant une évolution générationnelle, les soldats ultra-orthodoxes qui étaient autrefois considérés comme interdits de mariage par leurs communautés désapprobatrices peuvent désormais trouver des épouses partageant les mêmes valeurs grâce à un service d’appariement proposé par Netzah Yehuda.
Au cours de sa première année d’existence, ce service a déjà permis de former des dizaines de couples, a déclaré un porte-parole de Netzah Yehuda.
« Après 20 ans de travail avec la société haredi, nous voyons beaucoup de filles qui veulent rencontrer des soldats », a déclaré Levi, faisant référence aux ultra-orthodoxes qui ont fait leur service militaire tout en conservant les valeurs de leur communauté. « Les femmes qui font appel à ce service veulent ce type d’homme. »
Selon Gross, certains parents ultra-orthodoxes craignent que leur fille ne devienne le seul soutien de famille en épousant un étudiant en yeshiva, ce qui a contribué à atténuer les tabous qui pèsent sur le service des hommes dans les rangs de Tsahal.
Cependant, peu de haredim inculquent la vénération de l’armée, contrairement à la société israélienne traditionnelle, où les enfants sont souvent élevés dans la tradition guerrière de leurs parents ou de leurs frères et sœurs aînés.
Cette aliénation de ce qui est une institution nationale fondamentale a incité Bloy à mettre en garde contre une « guerre culturelle » sur cette question.
Shimi Schlesinger, un étudiant haredi de 25 ans, a déclaré à Reuters qu’il comprenait l’angoisse des familles plus laïques qui ont perdu leurs fils et leurs filles dans la guerre.
« Mais honnêtement, nous ne pouvons pas servir dans l’armée. Parce que, sans la Torah, la communauté juive n’existerait pas », a-t-il déclaré.
« Et je crois que la Torah nous protège encore plus que l’armée. »
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