Les historiens nuancent le rôle du général allemand « sauveur de Paris » en 1944
La légende du général qui aurait désobéi aux ordres d'Hitler s'effrite face au consensus des historiens qui considèrent que von Choltitz "voulait avant tout sauver sa peau"
Le général allemand Dietrich von Choltitz, dernier commandant en chef de Paris occupé, fut-il réellement le « sauveur de Paris » ? 80 ans après la libération de la capitale française, les historiens présentent une version bien plus nuancée.
Aujourd’hui encore, Timo von Choltitz ne tarit pas d’éloges à l’égard de son père. Ce serait grâce à ce général de la Wehrmacht que Paris n’a pas été réduit en cendres en août 1944, contrairement à l’ordre donné par Adolf Hitler.
« Il s’est dit : ‘je n’obéirai pas à de tels ordres’ », assure Timo von Choltitz dans un entretien accordé à l’AFP. Le général aurait ainsi mis sa propre vie et celle de sa famille en danger.
« Une légende »
L’histoire du bon Allemand qui sauve la capitale française de la destruction a été maintes fois saisie par le cinéma et la littérature, comme dans « Paris brûle-t-il ? » sorti en 1966, réalisé par René Clément, avec Jean-Paul Belmondo et Alain Delon.
Plus récemment, en 2014, le réalisateur allemand Volker Schlöndorff a à nouveau dépeint l’histoire dans son film « Diplomatie » – fictif, comme il l’a lui-même souligné.
« Mon père aimait Paris comme aucune autre ville », insiste son fils. « Les Français ont fait de lui le sauveur de Paris » et c’est ainsi « qu’il est devenu une légende », assure-t-il.
« Général, […] vous avez accompli un acte historique, un de ceux qui pourraient rapprocher le plus nos deux pays », lui écrivait le maire de Paris Pierre Taittinger en 1954, peu avant le dixième anniversaire de la libération de Paris, signe de la bonne réputation dont jouissait alors von Choltitz.
Dans ses mémoires publiées peu auparavant, il se décrit en figure héroïque, symbole opportun dans un contexte de réconciliation franco-allemande.
L’ex-responsable nazi, dont les funérailles furent suivies en 1966 par des officiers français de haut rang, aurait compris, selon ses propres mots,
« que les ordres venaient d’un homme qui était gagné par la folie ».
Mais « c’était une figure dont le monde avait besoin. Les gens voulaient croire à cette légende », explique aujourd’hui l’historienne et réalisatrice française Françoise Cros de Fabrique.
Dans un documentaire en 2019, elle montre que von Choltitz « voulait avant tout sauver sa peau ». « Il n’a jamais cessé de demander des renforts », note-t-elle, signe qu’il n’avait de toutes façons pas les moyens de détruire Paris.
Il se serait laissé convaincre par l’intermédiaire de Raoul Nordling, consul général de Suède, que bien que risquant la prison, il ne serait en tout cas pas accusé de crimes de guerre s’il n’appliquait pas l’ordre du Führer.
L’historien Fabrice Virgili, qui a publié les mémoires du diplomate suédois, est du même avis : « Les Alliés approchaient de plus en plus. Il craignait de tomber entre les mains de la Résistance ».
Au cours des premières phases de la guerre, von Choltitz avait de fait montré peu de scrupules en détruisant des villes.
Consensus des historiens
« Il était connu comme le boucher de Sébastopol », souligne M. Virgili, en référence à la bataille pour la plus grande ville de Crimée, dans laquelle Choltitz a joué un rôle clé.
Même en Allemagne, un consensus parmi les historiens met en doute cette image de héros. L’autobiographie du général fait partie du « boom des mémoires » qui a contribué à édifier la « légende d’une Wehrmacht propre », estime l’historien militaire John Zimmermann.
Ces mémoires ont été publiés avant l’ouverture des archives, permettant aux auteurs d’imposer leur récit. Parmi eux, de nombreux gradés de la Wehrmacht auraient voulu donner l’impression qu’ils n’étaient pas complètement inféodés à Hitler. Von Choltitz était pourtant conscient que la Wehrmacht avait pris part à la commission de crimes, souligne l’historien militaire Sönke Neitzel, comme en témoignent les procès-verbaux d’écoutes rédigés pendant sa captivité en Grande-Bretagne.
« Von Choltitz était une personnalité haute en couleur, certainement animée par sa propre survie », explique M. Neitzel. « Il a longtemps été une figure d’identification positive, mais 80 ans plus tard, il serait bon d’être plus nuancé ».
L’officier n’a en tout cas passé que 16 jours à Paris, à partir du 9 août, soit après le débarquement allié en Normandie.
« Paris ne peut tomber entre les mains de l’ennemi ou seulement comme un champ de ruines », avait ordonné Adolf Hitler.
Le 25 juillet, von Choltitz capitulait. Il a échappé ensuite à un procès pour crime de guerre.