Les marchés mondiaux florissants ont maintenu un shekel « trop fort » – Experte
La baisse de la devise israélienne avec la réaction des marchés face au variant Omicron montre le lien fort entre le shekel et les réserves mondiales, dit Nadine Baudot-Trajtenberg
Le shekel israélien a été « trop fort » et il a subi « une pression indue » – attisée par un marché mondial en pleine effervescence – et la correction de la situation qui a été constatée ces derniers jours, qui entraînera peut-être même la stabilisation du marché des capitaux internationaux, va affaiblir la devise nationale qui avait atteint ce mois-ci un niveau jamais observé depuis 26 ans face au dollar, déclare l’ex-gouverneure-adjointe de la Banque d’Israël, Nadine Baudot-Trajtenberg, dans un entretien accordé au Times of Israel.
Les marchés mondiaux s’alarment face à l’apparition et à la propagation du variant Omicron de la COVID-19, ce qui a fait connaître à l’indice Dow Jones sa plus importante baisse en une seule journée de l’année et ce qui a effacé les gains acquis au mois de novembre par l’indice S&P 500.
Le shekel a vu son taux représentatif s’établir à 3,0740 shekels contre un dollar en date du 17 novembre, le taux le plus élevé depuis 1995. Le shekel a faibli face au dollar vendredi et samedi, et son taux représentatif s’est établi à 3,1810 shekels contre un dollar le 26 novembre dans un contexte de nervosité internationale entraînée par l’apparition inquiétante du variant Omicron.
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Lors de notre entretien de dimanche, Baudot-Trajtenberg explique : « nous avons très exactement quelque chose qui soutient cette hypothèse : les choses tournent mal pour les marchés avec ce nouveau variant et le shekel s’est affaibli en conséquence. Cela démontre très exactement le lien fort qui unit les deux ».
La devise avait été dynamisée par l’affaiblissement global du billet vert, par un marché boursier en plein boom, et par une demande générale de technologie sous l’effet de la pandémie de COVID qui a été bénéfique pour les firmes hi-tech israéliennes. De plus, d’importants investisseurs institutionnels israéliens ont choisi de couvrir les risques encourus par leurs investissements sur le marché des devises étrangères en vendant leurs réserves de devises étrangères.
Le shekel est aussi stimulé par les fondamentaux forts de l’économie israélienne. La nation a un important excédent dans sa balance des paiements parce que ses exportations dépassent ses importations, en particulier à cause de sa puissante industrie hi-tech, qui connaît une croissance rapide de ses revenus et attire de forts investissements étrangers.
Ces investissements étrangers ont augmenté de façon significative pendant la pandémie, le monde passant plus de temps sur Internet – un phénomène qui a souligné l’importance prise par les technologies. Les investissements étrangers ont atteint un niveau record dans les compagnies hi-tech de l’État juif, avec des valorisations vertigineuses pour les entreprises privées et cotées en bourse du secteur et un nombre sans précédent de compagnies licornes, un terme qui désigne les entreprises privées dont la valorisation dépasse le milliard de dollars.
« Cela fait dix ans que le shekel se renforce et cette tendance à long-terme reflète le fait que l’économie israélienne se porte bien et qu’énormément de fonds entrent dans le pays », dit Baudot-Trajtenberg.
La grosse question, ajoute-t-elle, est de savoir aujourd’hui « s’il s’agit d’une conjoncture inhabituelle qui va se révéler temporaire, et si le shekel va rester éloigné de ce que serait, selon nos estimations, le bon niveau d’équilibre ».
Et la réponse est oui, ajoute-t-elle. Au cours des deux dernières années, il y a eu une « déconnexion » entre les marchés financiers, le marché des capitaux et l’économie réelle, indique-t-elle, ce qui a amené les marchés boursiers du monde entier – en particulier le marché des États-Unis et l’industrie technologique – à connaître des évaluations exorbitantes.
L’une des raisons expliquant l’économie en plein essor des start-ups a été l’exubérance des marchés boursiers, note Baudot-Trajtenberg. « Si cette exubérance n’avait pas été là, il n’aurait pas été aussi facile de lever des fonds. Elle a permis de faire entrer en Israël beaucoup de fonds étrangers – des fonds qui, dans des circonstances boursières normales, n’auraient pas versés ici. Il y en aurait eu certains, mais pas la quantité que nous avons constatée au cours des 18 derniers mois ».
Les économistes, au sein de l’État juif, prévoient que 35 à 45 milliards de dollars d’investissements étrangers devraient pénétrer en Israël cette année, très largement à cause du secteur technologique.
L’autre impact majeur sur la devise a été entraîné par les investisseurs institutionnels israéliens, déclare-t-elle. Ces investisseurs placent énormément d’argent sur les marchés étrangers, en particulier aux États-Unis, et ils retirent les bénéfices de la hausse des prix sur les marchés boursiers, là-bas. Mais parce que leurs passifs sont en shekels, ils ne veulent pas que cette part de leurs actifs soit trop exposée aux fluctuations des devises étrangères et quand ils voient ces actifs augmenter, ils se protègent contre cette hausse. « Et cela signifie qu’ils achètent des shekels », dit Baudot-Trajtenberg.
La Bank Hapoalim Ltd. a estimé, la semaine dernière, que les investisseurs institutionnels avaient vendu, cette année, presque 30 milliards de dollars pour couvrir les risques encourus par leurs investissements.
Les investissements étrangers et cette tendance à la couverture du risque, en raison de « l’exubérance » du marché des capitaux, ont placé une « pression indue » sur le shekel, explique Baudot-Trajtenberg. Toutefois, « c’est improbable qu’une telle tendance perdure dans le temps ». Une fois que les marchés internationaux se stabiliseront – ou s’ils plongent – « alors une grande partie de cet afflux de fonds cessera d’entrer en Israël », estime-t-elle.
Les start-ups continueront probablement à obtenir des financements, mais sans doute à un degré moindre, continue-t-elle, tandis que les investisseurs internationaux n’auront plus besoin de couvrir les risques encourus par leurs investissements.
Un shekel fort est une bonne nouvelle pour les consommateurs car il rend les importations moins onéreuses, qu’il maintient l’inflation à un niveau bas et qu’il réduit aussi les coûts des voyages à l’étranger. Mais c’est une pression supplémentaire exercée sur le secteur industriel local au sens large et sur les exportateurs qui paient leurs salariés, leurs impôts et leurs dépenses en shekels mais qui vendent leurs produits en dollars.
Si le shekel devait rester fort, dit Baudot-Trajtenberg, « certaines de ces industries devront partir ». Mais si cette tendance n’est que temporaire, ajoute-t-elle, « ce serait dommage de laisser mourir certaines de ces industries sachant qu’elles pourraient finalement être durables à plus long-terme ».
Et si cela vaut la peine de les sauver, poursuit-elle, la Banque centrale a les moyens d’intervenir sur le marché des devises étrangères pour faire baisser le shekel et le gouvernement peut aussi établir des plans spécifiques pour soutenir les industries qu’il souhaite aider.
L’intervention de la Banque centrale sur le marché du Forex – en achetant des devises étrangères comme elle l’a fait dans le passé – pour affaiblir le shekel, quoique à un moindre degré récemment, « peut au moins ralentir les choses… à savoir un éventuel renforcement supplémentaire » du shekel, ce qui peut donner le temps nécessaire à ces industries pour se réadapter à une réalité en pleine évolution, déclare-t-elle.
L’économie a fait une transition, au fil des années, passant d’une économie basée sur la fabrication à une économie tournée vers les services, une mutation entraînée par le secteur hi-tech en pleine expansion.
Concernant les industries qui valent la peine d’être sauvées, note-t-elle, le gouvernement doit faire un « vrai travail » et prendre en compte un certain nombre de facteurs, notamment l’environnement.
« On ne prend guère en considération, en Israël, les impacts sur l’environnement. Et nous avons un écosystème très fragile… nous n’avons nulle part ailleurs où aller », continue-t-elle. Et lorsqu’il s’agira de déterminer quelles sont les industries qui méritent d’être sauvées, le gouvernement devra déterminer celles qui sont le plus nuisibles à l’environnement.
« Quand on réfléchira aux industries à soutenir, il faudra qu’on s’interroge de manière bien plus large. Et je pense que très souvent, nous n’avons pas utilisé notre système de subventions fiscales de manière suffisante pour pousser le public et les industriels à adopter un comportement bénéfique au point de vue social ».
La moyenne des températures, l’été, pourrait s’élever de quatre degrés, a établi une étude réalisée en 2020. L’État juif émet également des émissions de gaz à effet de serre dans une quantité habituellement retrouvée dans les pays de taille moyenne, a révélé un rapport du contrôleur de l’État Matanyahu Englman, le mois dernier.
Le secteur technologique a aidé la nation à émerger des ravages de la pandémie de coronavirus, l’industrie ayant non seulement continué à travailler pendant la crise – les employés passant en télétravail – mais ayant aussi prospéré, les demandes de technologies de travail à distance connaissant un fort essor alors que les entreprises, les foyers et les écoles recouraient à Internet pour pouvoir continuer leurs activités.
L’économie israélienne devrait connaître une croissance de 7 % cette année, selon la Banque d’Israël, et de 5,5 % en 2022, après s’être contractée, l’année dernière, dans le contexte de la pandémie. Le taux d’inflation devrait aussi continuer à augmenter cette année, restant toutefois dans la cible qui a été définie par la Banque d’Israël – entre 1 % et 3 %. Il devrait totaliser ainsi 2,5 % à la fin de l’année 2021. L’important taux de chômage, qui a connu une forte recrudescence l’année dernière, devrait continuer à baisser et atteindre 5,2 % à la fin 2022, prévoit la Banque centrale.
La demande en termes de technologie a entraîné un essor des valorisations des firmes du secteur dans le monde et dans le pays – et la nation a vu fleurir des entreprises valant plusieurs milliards de dollars dans ses frontières, ce qui amènera le visage de l’économie israélienne à changer dans les prochaines décennies, ont estimé les experts.
Le destin des firmes hi-tech de type licorne n’est jamais certain, continue Baudot-Trajtenberg. Ces compagnies peuvent n’être importantes que « parce que le prix de leurs actions, sur le marché, est élevé… Elles sont licornes cette année et, l’année prochaine, ces actions pourront bien être à un dixième de leur prix ».
Et pourtant, continue-t-elle, en observant la tendance à long-terme et indépendamment des hauts et des bas du marché des actions, il y a un réel changement qui est actuellement en cours dans l’économie israélienne, les licornes technologiques et les start-ups de taille plus modeste commençant à embaucher des employés aux compétences larges – plus seulement des programmateurs informatiques et des experts du cyber.
« Nous commençons à voir des infiltrations dans cet écosystème qui était très fermé. C’était toujours les mêmes hommes qui y travaillaient auparavant – et des hommes en particulier, il faut le noter », dit-elle.
Un changement qui souligne d’autant plus la nécessité « urgente » pour Israël d’améliorer les compétences du reste de la population, notamment celles des Arabes israéliens, des ultra-orthodoxes et des femmes.
« Nous n’avons pas eu de croissance économique inclusive au cours des 20 dernières années, » déplore-t-elle. Il y a aujourd’hui , selon elle, le « potentiel » pour cela : « Nous commençons à observer un tel phénomène. Il y a plus de personnes employées, et il y a plus de personnes avec des qualifications différentes » qui sont intégrées dans le secteur technologique. « Mais si nous voulons véritablement l’inclusivité, alors il faut sans attendre améliorer les compétences, en particulier dans le secteur numérique, du reste de la population ».
« Avec la transformation de l’économie, il faut nous assurer que nous n’avons pas uniquement les capitaux qui permettront de réaliser cette transformation mais que nous avons aussi le capital humain nécessaire. Et ce n’est pas une question de force économique. C’est une question d’idéologie. Et si nous ne comprenons pas, au niveau idéologique, qu’il faut mettre de l’argent, alors cette transformation s’arrêtera ».
Baudot-Trajtenberg, née au Canada, a obtenu une maîtrise de Philosophie, de Politique et d’Économie à l’université d’Oxford, en Angleterre, et un doctorat à l’université de Harvard. Après avoir quitté son poste à la banque d’Israël en 2019, elle a passé quelques mois à la Banque des règlements internationaux qui, avec la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI), établissent les politiques économiques. Elle a dorénavant rejoint la faculté de l’école d’économie Tiomkin à l’université Reichman (l’ex-centre interdisciplinaire de Herzliya), une université privée.
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