Les premières manifestations anti-Hamas ne l’évinceront peut-être pas, mais elles minent son emprise
Le Hamas a choisi de ne pas réprimer brutalement ces rassemblements. Cela pourrait changer, mais il sait que le monde le regarde, et ses hommes armés, que des drones israéliens les survolent

Ces trois derniers jours, contre toute attente, des manifestations contre le Hamas se sont produites en plusieurs endroits de la bande de Gaza, suivies par des centaines, voire des milliers, de Palestiniens.
Des manifestations ont ainsi eu lieu à Beit Lahiya ainsi que dans le camp de réfugiés de Jabaliya, dans le nord, dans le quartier de Sabra de la ville de Gaza, et aussi à Khan Younès et Nuseirat, dans le sud, sans oublier le centre de l’enclave.
Nous ne disposons pas encore d’images des manifestations anti-Hamas qui se sont déroulées à Deir al-Balah, dans le centre de Gaza, où des centaines de milliers de personnes déplacées du nord et du sud ont trouvé refuge, mais là aussi, il y a eu des rassemblements contre la guerre et en solidarité avec les Gazaouis qui manifestent ailleurs.
Il ne s’agit pas là d’un phénomène isolé.
Ces manifestations ont donné lieu à des appels sans ambages à l’éviction du Hamas, ainsi qu’à des chants anti-israéliens et à des demandes de mettre fin à la guerre et aux souffrances infligées aux civils de Gaza. Début mars, Israël a cessé de laisser passer l’aide à Gaza afin de faire pression sur le Hamas pour qu’il libère davantage d’otages dans le cadre d’une première phase prolongée de l’accord de cessez-le-feu aujourd’hui caduc. Cette décision a fait grimper les prix et très sensiblement réduit la disponibilité alimentaire à Gaza.
La reprise de la guerre, il y a de cela près de deux semaines, s’est accompagnée de nouvelles frappes aériennes et de nouveaux ordres d’évacuation.
La population civile souffre, mais le Hamas demeure inflexible, campant sur l’accord initial en vertu duquel aurait dû advenir une seconde phase au cours de laquelle tous les otages vivants auraient été libérés, l’armée israélienne se serait totalement retirée et un cessez-le-feu permanent serait entré en vigueur.
Le Dr Harel Chorev, chercheur principal au Centre Moshe Dayan pour les études sur le Moyen-Orient et l’Afrique à l’Université de Tel Aviv, estime que ces manifestations trouvent leurs racines dans la guerre déclenchée par le pogrom commis par le Hamas le 7 octobre 2023
« Une partie au moins de ces résistances au régime du Hamas couvent depuis plus d’un an et demi – avant la guerre. Mais c’est la guerre qui les a déclenchées, à cause des destructions qu’elle a infligées. La goutte d’eau qui a fait déborder le vase a été la reprise des combats ce mois-ci. Les Gazaouis pensaient en avoir enfin terminé mais ils ont de nouveau été bombardés et déplacés. C’est très démoralisant », explique-t-il.
Chorev a vu des signes avant-coureurs en ligne : « Il y a de cela deux semaines, lorsque les combats ont repris, des Gazaouis se sont fendus de vives critiques envers le Hamas sur les réseaux sociaux : « Nous en avons marre de vous ; vous avez détruit Gaza ; Vous êtes une bande de meurtriers. » Ce sont les mêmes messages que l’on retrouve maintenant sur les pancartes et dans les chants des manifestations. Ce qui a commencé en ligne a fini par desecndre dans la rue. »
وتتواصل مظاهرات الأهالي في #غزة والمطالبة لحماس بترك الحكم والمشهد في #قطاع_غزة .. والأهالي يطالبونها بالرحيل .. #أوقفوا_الحرب #اوقفوا_الحرب pic.twitter.com/kZ4VFcJjlM
— تيسير تربان/أبوعبدالله (@tyesertrban) March 27, 2025
Dans la mesure où il s’agit des toute premières grandes manifestations à Gaza contre le Hamas depuis le début de la guerre, qu’une grande partie de l’enclave en ruines et que des dizaines de milliers de civils sont morts, on peut se demander pour quelle raison l’opposition publique n’émerge que maintenant.
Selon Hamza Hawidi, Gazaoui qui a participé, par le passé, à une manifestation bien moins spectaculaire contre le Hamas et qui vit désormais en Allemagne, l’angoisse et le désespoir des manifestants semblent aujourd’hui l’emporter sur la peur de représailles brutales de la part du Hamas.
« La raison pour laquelle les gens n’ont pas fait cela ces dix-huit derniers mois, c’est qu’ils avaient peur », explique-t-il au Times of Israel dans le cadre d’une interview via Zoom. Ziad Abou Haya, habitant de Gaza interviewé par la télévision durant la guerre, disait : « Il faut nous protéger du Hamas avant de nous protéger des Juifs. » Après avoir été battu pour avoir dénoncé le Hamas en août dernier, Abou Haya aurait été tué par le Hamas en décembre. Le Hamas, accuse Hawidi, « l’a battu à mort juste pour ça ».
« Si les personnes qui s’expriment se font tuer, les gens ne critiquent plus le Hamas », poursuit Hawidi. Mais aujourd’hui, précise-t-il, il semble bien que la barrière de la peur soit tombée.

Pendant près de deux jours, le Hamas n’a publiquement pas réagi à ces manifestations – ni condamnation ni répression violente, une situation radicalement différente de celle qui a prévalu avec 2019, lorsque la police du Hamas a rapidement écrasé un mouvement de protestation.
Mercredi soir, Bassem Naim, un haut responsable du Hamas, est le premier à avoir réagi aux manifestations en déclarant qu’elles étaient le fait d’un peuple en proie à des destructions massives et qu’il était naturel qu’ils demandent la fin de l’agression israélienne. Il a expliqué les appels à renverser le régime du Hamas par les agissements « d’entités extérieures exploitant des manifestations spontanées pour servir les intérêts israéliens ».
Les propos de Naim, tenus en réponse à une question lors d’une interview avec une chaîne de télévision qatarie, signalent que le Hamas ne peut plus ignorer le phénomène et que sa stratégie consiste, pour l’heure, à présenter ces manifestations comme des mouvements opposés à la guerre et à Israël, et non au Hamas.
Ces manifestations ont en effet permis d’entendre des condamnations de la guerre et des souffrances endurées à Gaza, mais aussi des appels directs au renversement du Hamas, jugé responsable de la situation actuelle dans la bande de Gaza.
« Le Hamas est trop intelligent pour aller réprimer les manifestants par la force », estime Hawidi. « Il sait que le monde entier a les yeux tournés vers ces manifestations. Il entend désamorcer les protestations en les présentant comme des manifestations contre la guerre, et non contre le Hamas.
Un autre Gazaoui, qui vit aujourd’hui à l’étranger, analyse un autre élément de la stratégie du Hamas pour contrer et réprimer les manifestations. Hamza al-Masri, Gazaoui émigré en Turquie à l’origine de la diffusion d’images des manifestations reçues à titre privé de la part de connaissances à Gaza, a publié mercredi soir une vidéo affirmant que le Hamas le menaçait.
« C’est la première vidéo dont je sois l’auteur, une sorte de testament », l’entend-on dire. « J’ai reçu des menaces de mort de la part de la direction du Hamas. Je suis très heureux d’aider Gaza à s’exprimer. C’est une victoire. Cela fait 18 ans [la durée du régime du Hamas], que personne à Gaza ne peut parler. Si vous ne me voyez plus, soyez-en heureux. S’ils me tuent ou me kidnappent, alors ce sera entre les mains de Dieu. »
Chorev, du Centre Dayan, entrevoit une autre explication au fait que le Hamas ne réprime pas violemment les manifestations, de façon ouverte et publique, du moins pour l’instant.
« Le fait que ces manifestations se déroulent en un temps de reprise des hostilités rend la tâche du Hamas plus difficile. Disons les choses simplement, si les agents du Hamas sortent à découvert pour réprimer les rassemblements par les armes, ils sont une cible facile pour les drones israéliens », analyse-t-il.
Et pour l’heure, poursuit-il, « ils préfèrent menacer les dirigeants locaux à Gaza, y compris les principaux chefs de clan ».
Les chances de succès des manifestations demeurent incertaines. Il y a deux millions d’habitants à Gaza et des dizaines de milliers d’entre eux appartiennent à l’aile militaire du Hamas. Le renversement du régime suppose donc l’effondrement interne de la force armée la plus puissante de Gaza.

Chorev n’exclut pas cette possibilité, et pense que la reprise de la campagne militaire d’Israël et la diminution de l’aide humanitaire pourraient peser dans la balance.
« Il est possible qu’à terme, ceux qui se trouvent dans les rangs de l’aile militaire du Hamas l’abandonnent, lorsque les vivres et l’eau qu’ils reçoivent en échange de leur participation seront épuisés, à cause de l’interdiction actuelle de l’aide humanitaire à Gaza », explique-t-il.
Le Hamas a recruté des personnes, parfois très jeunes, « qui, sur le plan idéologique, sont bien moins engagés que leurs prédécesseurs – qui ont payé leur engagement de leur vie », ajoute-t-il. « Cela pourrait avoir un impact. Le blocus actuel pourrait finir par mettre le Hamas dans une situation insoutenable. »
Chorev parle également du « feu vert de l’Amérique » à la poursuite du blocus de l’aide : « J’ai rencontré un officier de Tsahal qui avait l’habitude de donner chaque semaine des informations à la précédente administration américaine au sujet de l’aide humanitaire entrant à Gaza. Les Américains étaient très attentifs à la nature et à la quantité de l’aide livrée. L’administration Trump ne s’y intéresse absolument pas ; ils ne veulent pas de compte-rendus sur la question. C’est là une différence cruciale, qui ouvre la voie à une pression accrue sur le Hamas comme sur la population civile. »
Même si le mouvement actuel de protestations finit par s’affaiblir ou est réprimé, Chorev estime qu’il n’aura pas été vain : « Le Hamas est un mouvement social ancré dans le cœur des gens, mais une fois que son image est écornée, il perd toute emprise. Cela a un effet à long terme, un effet social qui pourrait façonner la gouvernance de Gaza après la guerre et conduire la population de Gaza à accepter un gouvernement différent à la place du Hamas. »
Hawidi estime que les manifestations ne feront pas, à elles seules, tomber le Hamas, mais qu’elles sont très importantes, ne serait-ce que symboliquement.
« Nous ne voulons pas que le Hamas sans que les gens ne réagissent. Ils ne devraient pas penser que le fait de renverser le Hamas correspond à une exigence israélienne ; c’est une demande de la population de Gaza. Mais sera-t-il le seul à renverser le régime du Hamas ? De ce que j’en sais et de ce que je connais du Hamas, non. »
Pourtant, Hawidi reste relativement optimiste devant les événements, à commencer par les raisons qui l’ont conduit à décider de quitter Gaza à l’été 2023 : « Je n’ai pas quitté Gaza parce que je la déteste. Je suis parti parce qu’il n’y avait aucun espoir de changement. Tout le monde a traité le régime du Hamas à Gaza comme une réalité permanente, rien de plus. »
« Au moment où je suis parti, le simple fait de dire que le Hamas était une organisation terroriste vous valait d’être exécuté. Mais aujourd’hui, je vois et entends mon peuple dire : « Le Hamas est une organisation terroriste ».
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