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Analyse

Les USA appelés à alléger les sanctions sur l’Iran, et le silence de Netanyahu

Malgré le désastre en Iran, Pompeo a augmenté la pression sur le régime, mais pourrait revoir sa position ; selon les analystes, Jérusalem a raison de rester à l'écart

Raphael Ahren

Raphael Ahren est le correspondant diplomatique du Times of Israël

Un pompier désinfecte une place pour lutter contre le nouveau coronavirus, dans l'ouest de Téhéran, en Iran, le 13 mars 2020. (Vahid Salemi/AP)
Un pompier désinfecte une place pour lutter contre le nouveau coronavirus, dans l'ouest de Téhéran, en Iran, le 13 mars 2020. (Vahid Salemi/AP)

En février 2015, le Premier ministre Benjamin Netanyahu a négligé les préoccupations socio-économiques israéliennes car, selon lui, la plus grande menace pour l’existence de l’État était la quête d’armes nucléaires par l’Iran. « Quand on parle du prix des logements, du coût de la vie, je n’oublie pas un seul instant la vie elle-même », avait-t-il tweeté, s’attirant le mépris des gens qui se moquent de son apparente obsession pour l’Iran.

Aucun homme politique au monde n’a été aussi franc que Netanyahu sur la nécessité d’affronter l’Iran. Mais depuis que le nouveau coronavirus a commencé à se répandre il y a plusieurs semaines, le Premier ministre n’a pas mentionné l’Iran une seule fois. Au contraire, ses déclarations publiques se concentrent exclusivement sur deux questions : la nécessité d’empêcher la pandémie de se propager de peur que des milliers d’Israéliens ne meurent – ce qu’il a appelé « la vie elle-même », si vous voulez – et, dans le domaine politique, la nécessité d’établir un gouvernement d’unité.

Aux États-Unis, l’administration de Donald Trump a continué à mener une guerre verbale et économique avec la République islamique, malgré les milliers d’Iraniens qui meurent de la maladie causée par le virus. En revanche, le gouvernement israélien est resté absolument silencieux sur la question.

Jérusalem est-elle favorable à un assouplissement temporaire des sanctions contre Téhéran, en tant que geste humanitaire ? Ou est-ce que Netanyahu soutient pleinement la campagne de « pression maximale » que la Maison Blanche mène actuellement contre le régime ?

Israël n’a pas pris de position officielle sur ces questions. Le bureau du Premier ministre n’a pas répondu à plusieurs demandes du Times of Israël au sujet de sa position vis-à-vis de l’ennemi régional de Jérusalem en cette période de crise sans précédent.

Le vice-ministre iranien de la Santé, Iraj Harirchi, s’essuie le visage, lors d’une conférence de presse avec le porte-parole du gouvernement de la République islamique, Ali Rabiei, dans la capitale de Téhéran, le 24 février 2020. (Crédit : Mehdi Bolourian/Fars News/AFP)

Malgré le silence radio, le coronavirus n’a pas remplacé l’Iran comme ennemi public numéro un d’Israël, ont déclaré plusieurs analystes cette semaine.

« Je ne suis pas sûr de la valeur ajoutée qu’apporterait à Netanyahu le fait de carillonner ici. Il me semble, du point de vue israélien, qu’il est en fait préférable pour Israël de se faire discret », a déclaré Michael Makovsky, président et directeur général du Jewish Institute for National Security of America, basé à Washington.

L’Iran a beaucoup d’argent et pourrait facilement en consacrer une partie aux soins de santé plutôt qu’à ses aventures militaires, a-t-il ajouté, notant qu’il est favorable à ce que les Etats-Unis augmentent les sanctions déjà sévères contre le régime.

« Mais il est préférable que les États-Unis soient perçus comme agissant seuls », a-t-il déclaré.

L’ancien ambassadeur israélien aux Nations unies, Dore Gold, le 14 novembre 2017 à New York. (Crédit : Perry Bindelglass)

Bien que Netanyahu ne l’ait pas dit explicitement, Jérusalem soutient toujours Washington dans sa lutte contre Téhéran, selon Dore Gold, ancien directeur général du ministère des Affaires étrangères, connu pour être proche de Netanyahu.

« Tant que les milices soutenues par l’Iran en Irak continueront d’attaquer les troupes américaines sur le sol irakien, les États-Unis ont un droit de légitime défense. Le recours aux sanctions économiques est bien moins conflictuel que le choix d’une réponse militaire à grande échelle à chaque fois. Et exclure le droit de l’Amérique à utiliser des sanctions économiques serait la laisser sans défense face à la poursuite de l’agression iranienne », a déclaré M. Gold.

« Je suppose qu’Israël a un point de vue similaire », a-t-il ajouté.

Ehud Eiran, professeur adjoint de relations internationales à l’Université de Haïfa, a avancé plusieurs arguments qui expliqueraient pourquoi Israël reste en dehors du tableau. Tout d’abord, les États-Unis font pression sur l’Iran sans l’encouragement d’Israël, de sorte que Netanyahu n’a pas besoin de gaspiller des capitaux diplomatiques pour faire pression en faveur de nouvelles sanctions.

Deuxièmement, Israël a déjà suffisamment à faire pour lutter contre la pandémie, « il n’est donc pas nécessaire d’ajouter d’autres éléments à traiter, comme un échange houleux avec Téhéran », a-t-il déclaré.

De plus, il n’y a « aucun besoin interne de rallier la nation autour de la direction de Netanyahu, puisque le coronavirus sert cet objectif », a affirmé Eiran. Et enfin, le gouvernement « ne veut pas donner l’impression qu’il cherche à nuire au peuple iranien en ce moment de grande détresse, [puisque] Israël prétend être en conflit avec le régime, et non avec la population iranienne ».

Des personnes en vêtements de protection passent devant des rangées de lits dans un hôpital provisoire de 2 000 lits pour les patients atteints de coronavirus, mis en place par l’armée iranienne au centre d’exposition international dans le nord de Téhéran, en Iran, le 26 mars 2020. (Crédit : AP Photo/Ebrahim Noroozi)

L’Iran est l’un des pays qui a le plus souffert du coronavirus, avec près de 45 000 personnes infectées et plus de 2 800 morts. Le régime a profité de la crise pour appeler la communauté internationale à ignorer les sanctions américaines, arguant qu’elles empêchent les médecins iraniens de traiter correctement les malades du pays. Les autorités de Téhéran accusent les Etats-Unis de « terrorisme médical ».

Le Département d’État américain a poursuivi et même intensifié sa campagne de « pression maximale » contre Téhéran, renforçant les sanctions et les représailles contre les mandataires de l’Iran lorsqu’ils attaquent les intérêts américains.

La médiocrité du système de santé iranien est imputable au régime lui-même, ont affirmé des responsables à Washington, notant également que Téhéran refusait d’accepter l’aide humanitaire des États-Unis.

Au fil des semaines, et alors que le nombre de morts en Iran continuait d’augmenter, certains alliés du régime, de hauts fonctionnaires des Nations Unies et même des personnalités politiques américaines, ont commencé à exhorter l’administration à alléger la pression économique sur la République islamique.

« Plutôt que de continuer à invoquer de nouvelles sanctions au moment où le peuple iranien est dans le besoin, nous vous demandons instamment de suspendre substantiellement les sanctions contre l’Iran pendant cette urgence mondiale de santé publique, dans un geste humanitaire envers le peuple iranien pour mieux lui permettre de lutter contre le virus », ont écrit mardi 34 législateurs démocrates, dont le candidat à la présidence Bernie Sanders, dans une lettre (ici en anglais) adressée au secrétaire d’État Mike Pompeo et au secrétaire au Trésor Steven Mnuchin.

Le secrétaire d’État américain Mike Pompeo s’exprime lors d’un point de presse au Département d’État, le 25 février 2020, à Washington, DC. (Crédit : Alex Wong/Getty Images/AFP)

Pompeo a été le visage de l’hostilité persistante de l’administration envers l’Iran, alors même que le pays était submergé par le virus mortel, ce qui lui a valu de nombreuses critiques.

« Même les alliés proches des Etats-Unis, comme la Grande-Bretagne, demandent à l’administration Trump d’assouplir les sanctions qui empêchent l’envoi de fournitures médicales et d’aide humanitaire aux 80 millions de citoyens iraniens. Pourtant, Pompeo semble considérer l’épidémie comme un moyen pratique d’exercer une ‘pression maximale’. Dans quel but ? » se demandait Jackson Diehl, un éminent chroniqueur du Washington Post.

« Le changement de régime, auquel le secrétaire d’Etat a clairement exprimé sa préférence, a peu de chances d’aboutir. Ce qui est risque de se produire, c’est la mort en masse de personnes innocentes et le discrédit supplémentaire de la prétention de l’Amérique à l’humanitarisme », a-t-il écrit en début de semaine.

L’Allemagne, la France et la Grande-Bretagne, encore parties à l’accord sur le nucléaire, ont indiqué mardi avoir livré du matériel médical à l’>Iran dans le cadre du mécanisme de troc Instex permettant de contourner les sanctions américaines, utilisé pour la première fois.

Plus tard dans la journée, Pompeo a indiqué pour la première fois qu’il était prêt à reconsidérer sa position.

« Bien sûr, nous réévaluons constamment toutes nos politiques. La réponse est donc la suivante : nous y réfléchirons un jour – bien sûr, nous essayons constamment de nous assurer que nos politiques sont correctes », a-t-il déclaré aux journalistes lors d’un point presse.

Le bureau de Netanyahu a refusé mercredi de commenter la déclaration de Pompeo. Mais Yaakov Amidror, son ancien conseiller à la sécurité nationale, a déclaré que les actions du Premier ministre sont plus éloquentes que ses paroles.

Yaakov Amidror, ancien conseiller à la sécurité nationale, en octobre 2013. (Crédit : Flash90)

« Il y a un dicton classique que tous les Américains connaissent : si tu veux tirer, tire. Ne parle pas », a-t-il dit lors d’un entretien téléphonique mercredi. « Hier, Israël a attaqué des cibles en Syrie, selon des sources étrangères. L’État d’Israël continue à faire ce qu’il doit faire, sans parler. Nous continuons à faire ce que nous jugeons nécessaire, et les Américains font ce qu’ils pensent être juste en termes de sanctions. »

Le débat actuel aux États-Unis ne porte pas sur la levée de toutes les sanctions contre l’Iran mais simplement sur la possibilité d’en assouplir certaines pour atténuer les souffrances dues à la pandémie, a souligné Amidror. Même si l’administration venait à le faire, dans le cadre d’un geste humanitaire, Israël serait bien avisé de ne pas faire de commentaires publics sur la question, a-t-il estimé.

« Le Premier ministre est assez sage pour garder ses mots pour les moments critiques », a déclaré Amidror. « Pour l’instant, ce n’est pas critique. Ce qui est critique pour nous en ce moment, c’est de s’occuper du coronavirus. »

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