L’exposition Resurrect ou un aperçu des artistes juifs pendant et après la Shoah
Jusqu'au 17 mars, "Munich Displaced", l'exposition du Musée juif de Munich, redonne vie à ce qui fut le haut-lieu des 200 000 Juifs déplacés rescapés de la guerre
Le Musée juif de Munich ressuscite en ce moment une exposition d’art qui montre la manière dont les artistes juifs se sont exprimés pendant et immédiatement après la Shoah.
Ces œuvres d’art sont restées dans l’oubli jusqu’à il y a environ un an, moment auquel Jutta Fleckenstein a rassemblé les pièces de l’exposition intitulée « Munich Displaced : The Surviving Remnant », description de la période durant laquelle Munich, en Allemagne, a été le centre administratif des plus de 200 000 survivants de la Shoah installés dans la zone d’occupation américaine, entre 1945 et 1949.
L’exposition, visible jusqu’au 17 mars 2024, se tient en parallèle d’une autre exposition, cette fois au musée de la ville voisine de Munich, intitulée « Munich Displaced: After 1954 and Without a Homeland [NDLT : Munich déplacée : après 1954 et sans patrie] », qui se termine elle le 1er janvier prochain.
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Après être tombée sur le catalogue répertoriant les œuvres présentées lors d’une exposition, en novembre 1948, à la galerie d’art municipale Lenbachhaus de Munich, Fleckenstein, qui est conservatrice du Musée juif de Munich, a parcouru les galeries du monde entier à la recherche des œuvres originales. Elle a retrouvé certains tableaux de quatre artistes sur les cinq participants originaux et se les est fait prêter de collectionneurs situés en Australie, Pologne, Israël et États-Unis.
« Leurs œuvres vont au-delà de tout récit historique documentaire et révèlent une remarquable variété de formes d’expression », note Fleckenstein. Elle souligne que certaines des peintures ont été créées dans des ghettos et des camps de concentration et qu’elles ont ensuite été récupérées dans des cachettes. D’autres ont été créés une fois les rescapés revenus à la liberté, à Munich ou dans des camps de personnes déplacées à proximité.
Les 14 tableaux de Maximillian Feuerring sont une forme de commentaire subtil sur ses années de captivité dans un camp de prisonniers de guerre allemand pour soldats polonais. Les oeuvres répètent le même paysage, à savoir des montagnes, un lac, le ciel et une clôture. Seules la période de l’année et l’heure de la journée changent. Chaque image est comme un poème haïku, une immersion dans l’ici et maintenant de la nature, sans distraction extérieure.
Les Allemands mirent Feuerring et d’autres prisonniers juifs à part, dans le grenier d’un bâtiment, pour profiter des talents de cet artiste accompli de 44 ans, dont les œuvres avaient été exposées avant-guerre dans les plus grandes galeries de Paris, Berlin et Rome, et exiger que Feuerring fasse leur portrait. En plus de ces 2 000 portraits peints pendant les six années passées dans le camp de prisonniers de guerre, Feuerring a continué à travailler à son œuvre, tout en sachant que les Allemands avaient assassiné sa femme, ses parents et son frère.
A sa libération par l’armée américaine, en avril 1945, Feuerring, comme la plupart des survivants de la Shoah, choisit de ne pas rentrer chez lui, dans sa Pologne natale. Il trouve du travail à Munich, comme enseignant en art dans un centre géré par l’organisation de réfugiés UNRRA et, en 1948, il est l’un des organisateurs de l’exposition d’artistes juifs à la galerie d’art municipale Lenbachhaus de Munich.
Trois des autres exposants ont grandi dans ou près de la ville polonaise de Lodz et ont été forcés par les nazis à vivre dans le ghetto juif. Le plus jeune, l’artiste d’avant-garde Pinkus Schwarz, a 22 ans lorsque la guerre éclate. Depuis Lodz, il est déporté dans les camps de concentration d’Oranienburg et de Sachsenhausen avant d’être libéré par les Soviétiques. En mauvaise santé, il ne reprend la peinture qu’après sa convalescence dans des établissements médicaux mis en place pour les personnes déplacées à St. Ottilien et Gauting.
Une de ses peintures à l’huile, qui date de 1945, montre un personnage solitaire affalé à côté de ce qui semble être une pile de vêtements. La désolation que véhicule le tableau de Schwarz offre un fort contraste avec l’ambiance tamisée mais joyeuse de l’œuvre d’Ewa Brzezinska. Son paysage aux couleurs douces est un souvenir nostalgique de sa ville natale de Lodz, ou peut-être une vue de la ville bavaroise de Bad Worishofen, où elle a vécu dans un camp de personnes déplacées.
Brzezinska, l’unique femme du groupe, a 28 ans lorsque les Allemands la forcent à vivre dans le ghetto de Lodz.
« Ce devait être une femme très forte », dit Fleckenstein, notant qu’elle a continué à peindre dans le ghetto et qu’elle a emporté 30 de ses tableaux lorsqu’elle a été déportée à Auschwitz, où ils ont été confisqués par les nazis.
Elle a ensuite été transférée dans les camps de concentration de Bergen-Belsen et Dachau avant d’être libérée.
Hirsch Szylis, le troisième peintre de Lodz, ne pèse plus que 40 kilos à son arrivée au camp de personnes déplacées de Feldafing, après avoir survécu à quatre camps de concentration. Dans le ghetto de Lodz, il utilise la peinture à l’huile qu’on lui donne pour peindre des portraits d’officiers SS pour croquer secrètement la vie du ghetto, sur des morceaux de papier ou des sacs d’épicerie.
Plusieurs de ces peintures ont été retrouvées après-guerre et incluses dans l’exposition de 1948.
L’une de ces œuvres, « Wagon de fumier dans le ghetto de Lodz », déploie des tons extrêmement sombres et montre un panneau, à l’entrée du ghetto, interdisant l’entrée des étrangers.
Un autre tableau de Szylis, de 1940, qui ne figure pas dans l’exposition de 1948 mais fait partie de l’exposition actuelle, révèle la dureté de nombreux Juifs à l’égard de Mordechaï Chaïm Rumkowski, le chef controversé du Judenrat de Lodz (conseil administratif du ghetto juif). Szylis dépeint Rumkowski comme un personnage plus grand que nature, avec une expression de culpabilité sur le visage, regardant en contrebas des Juifs suppliants. C’est Rumkowski qui a accepté les exigences nazies d’abandonner les enfants et les personnes âgées inaptes à travailler dans l’usine de munitions de Lodz. Vers la fin de la guerre, Rumkowski a lui-même été envoyé à Auschwitz où il aurait été tué par d’autres Juifs.
Les décisions de Rumkowski restent discutables aujourd’hui. Beaucoup pensent de lui qu’il a été un collaborateur, mais ce qu’il a fait a permis aux Juifs de survivre à Lodz deux ans de plus que dans les ghettos de Varsovie et d’autres. Comme l’a souligné l’historien Yehuda Bauer, si les Soviétiques avaient libéré Lodz quelques mois plus tôt, Rumkowski aurait été considéré sous un tout autre jour.
L’exposition d’aujourd’hui comprend également plusieurs caricatures de personnes déplacées, tirées d’un livre d’Arie Navon, caricaturiste du journal israélien Davar, qui s’est lui-même rendu dans les camps de personnes déplacées en 1945. Navon accompagne ses descriptions des personnes déplacées – qu’il dit faibles et effrayées – de légendes sarcastiques. Comme le suggère l’écrivaine Lea Fleischmann, dans une critique de l’œuvre de Navon, ses stéréotypes étaient typiques de la condescendance avec laquelle les survivants de la Shoah étaient regardés par nombre de personnes dans l’Israël pré-Étatique.
Il est intéressant de noter qu’une vision plus positive des rescapés est l’oeuvre de critiques d’art allemands publiés en 1948. Le Süddeutsche Zeitung dit en effet de Feuerring qu’il a un « talent fort et discipliné » et que ses gouaches superposées « sont indubitablement influencées par la peinture parisienne, en particulier celle de Matisse et Bonnard ».
Le Münchner Merkur a également fait l’éloge des artistes : les œuvres florales de Feuerring « brillent d’une splendeur harmonieuse », Szylis est encensé pour sa capacité « sans ressentiment ni ironie à exécuter de mémoire, avec des fusains et des pastels, des images qui témoignent de l’oppression la plus sombre », et Brzezinska est complimentée pour « la texture et le style décoratif de son tapis coloré de paysages ». En résumé, note Munchner Merkur, les « reflets colorés du monde » des rescapés leur ont apporté du réconfort pendant leurs souffrances.
Ces revues de presse allemandes sont l’unique description existante des œuvres du cinquième artiste, Leon Kraicer, né à Varsovie, qui a vécu dans le camp de personnes déplacées de Geretsried. Selon le Münchner Merkur, l’expression des visages des sculptures en bois de Kraicer « est du pur naturalisme figuratif ».
Fleckenstein s’est mise en quête d’informations sur Kraicer, car on ignore l’endroit où il se trouve après 1948. Elle espère que les visiteurs de cette exposition, en particulier les descendants des familles de personnes déplacées, auront des informations non seulement sur les artistes déplacés, mais aussi sur la période, qui, souligne-t-elle, est peu étudiée.
L’une des découvertes permises par cette exposition concerne une affiche commandée par le Comité central des Juifs libérés pour encourager les personnes déplacées à apporter leur témoignage. L’affiche est signée d’un certain Pinkus Schuldenrein. En voyant une photo de l’affiche, le fils de Schuldenrein, David Sharon, qui vit aujourd’hui à New York, a reconnu l’œuvre de son père, qui a changé son nom en Paul Sharon après son arrivée aux États-Unis.
Il est ironique que l’exposition de 1948 ait eu lieu à la galerie d’art municipale Lenbachhaus. Située près du siège détruit du parti nazi, le Lenbachhaus avait dans les années 1930 interdit les œuvres d’artistes juifs et présenté les œuvres d’artistes allemands vus d’un bon oeil par le régime nazi.
Au moment de l’exposition des artistes déplacés, qui a eu lieu en 1948 quelques mois seulement après la déclaration d’indépendance d’Israël, les Juifs commencent à regarder l’avenir avec un optimisme retrouvé. Cela marque la fin de la période d’après-guerre, préoccupée par l’introspection et le passé.
Les artistes participants se sont rapidement dispersés dans le monde entier – Feuerring en Australie, Szylis en France, Brezezinska et Schwarz en Israël -. Comme la plupart des rescapés de la Shoah dans ces années-là, ils ont mis de côté les souvenirs de ces jours sombres pour se reconstruire une vie dans un nouveau pays.
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