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L’IBA est-il voué à être la voix de l’Etat ?

"Ce moment, quand Bibi prend le contrôle de l'IBA, jette une ombre sur la presse et la démocratie", selon le chef de l'Union sioniste Isaac Herzog

Marissa Newman est la correspondante politique du Times of Israël

Tandis que le gouvernement a décidé d’abolir l’Autorité de radiodiffusion israélienne (IBA) financée par l’État et de la remplacer par une nouvelle institution, les législateurs de l’opposition accusent cette semaine le Premier ministre Benjamin Netanyahu de tuer un élément de base de la démocratie – dysfonctionnel, certes – pour le transformer en un autre organe du gouvernement, de l’acabit du quotidien résolument pro-Netanyahu Israel Hayom.

La Knesset a tenu lundi une séance orageuse lors d’une commission débattant d’un amendement d’une loi adoptée l’an dernier, qui doit être soumise en deuxième et troisième lectures mercredi.

La majeure partie de la critique est centrée sur les licenciements collectifs à l’IBA, initialement prévus dans la législation mais finalement retirés de l’amendement, et sur l’incapacité de Netanyahu à nommer un conseil indépendant chargé de superviser la mise en place de la nouvelle entité. Le dernier point, disent les critiques, montre que le Premier ministre, qui détient également le portefeuille de la Communication, veut museler la presse.

Bien sûr, l’IBA a un besoin urgent de réforme, concèdent plusieurs députés de l’opposition du parti de l’Union sioniste, mais la façon dont le Premier ministre manipule la question met en péril la liberté d’expression en Israël.

« Ce moment, quand Bibi prend le contrôle de l’IBA, jette une ombre sur la presse et la démocratie », déclare le chef de l’Union sioniste Isaac Herzog lundi.

Sa collègue, Tzipi Livni, qui a soutenu la réforme dans la précédente Knesset, renchérit que le « contrôle politique de Netanyahu sur l’ensemble des médias est, à ses yeux, l’objectif principal qui garantira sa survie future. Voilà comment agit un régime totalitaire, voilà comment il contrôle l’opinion publique. » Toutefois, reconnaît Livni, « il est vrai, l’IBA est devenu « encombrant, un gaspillage de fonds publics » et soumis aux ingérences politiques.

« Le radiodiffuseur public a été assassiné, et la démocratie israélienne a reçu une balle entre les deux yeux, » a déclaré un autre député de l’Union sioniste, Itzhik Shmuli, de manière spectaculaire lundi, tout en notant que l’IBA a en « besoin désespéré de réforme, d’une immense réforme ».

Démanteler l’IBA, avec ses quatre stations de télévision, ses stations de radio multiples et son long passé, est certes un geste traumatique. Et derrière la controverse se cache une divergence profonde, inhérente aux croyances que le radiodiffuseur d’État est un impératif démocratique, remarquablement sujet à une ingérence politique.

Pourquoi Israël a-t-il besoin d’un IBA ?

En principe, le radiodiffuseur d’État est présenté comme la seule forme de médias qui défende pleinement l’intérêt public, libéré des intérêts commerciaux et des marionnettes politiques qui infestent d’autres médias. En pratique, toutefois, en Israël, il est affecté des deux à la fois.

Selon l’employé de longue date de l’IBA, Itay Nevo, le radiodiffuseur public est la clé de la démocratie israélienne, puisque « ses propriétaires sont le public. Et les gens qui paient leurs salaires sont le public ».

Vu que l’IBA est actuellement financé par une taxe TV payée par les citoyens israéliens (la taxe a été annulée dans le cadre de la nouvelle loi), « la capacité de maintenir l’indépendance journalistique est beaucoup plus grande que celle des journalistes travaillant pour les chaînes commerciales, » soutient Nevo.

Dr Klein Oranit Shagrir, une chercheuse qui a étudié l’IBA, a déclaré dans un courriel que « le radiodiffuseur public est essentiel en tant qu’organe de la critique, et en tant qu’institution qui protège l’intérêt public ».

« Surtout dans la société israélienne, qui est une société hétérogène, surtout ici, les médias publics sont très importants en tant que lieu de rencontre entre tous les groupes et opinions, un espace où les questions controversées peuvent être débattues, et les clivages sociaux réduits, » ajoute Klein Shagrir.

Dr Tehilla Shwartz Altshuler, chercheuse à l’Institut de démocratie d’Israël qui a contribué à rédiger la législation, affirme que le petit marché de téléspectateurs, parlant une langue spécifique, et la préférence israélienne pour le contenu hébreu, expliquent la nécessité du radiodiffuseur.

Produire une TV et une radio hébraïques – à la fois de nouvelles et de divertissement – sans financement public complétant ces projets ne serait tout simplement pas viable financièrement pour les investisseurs.

« Dans un petit marché comme Israël, vous devez compléter le marché, tant en termes de nouvelles que de [de programmation] d’une TV d’origine, » dit-elle.

En outre, sans radiodiffuseur public, le marché israélien des médias se transformera en monopole, limitant ainsi le « marché des idées », ajoute-t-elle.

Malgré les nobles aspirations attribuées à cette entité, ces quelques dernières années, l’IBA a été accusé de dépenses excessives, de verser des salaires gonflés et de tolérer une ingérence politique profonde dans ses affaires quotidiennes.

Nevo de l’IBA attribue les nombreux maux de l’entité aux politiciens qui ont nommé son leadership.

« Pourquoi l’ingérence politique est-elle si nuisible ? Parce que les gens qui ont nommé les dirigeants du radiodiffuseur public jusqu’à maintenant sont des politiciens. Et qui ont-ils nommé ? Ils n’ont pas nommé des professionnels [des médias]. Ils ont nommé des gens qui leur sont proches politiquement, qui peuvent préserver leur temps d’antenne et [produire] des reportages qui correspondent à leur vision du monde », dit-il.

« Netanyahu était celui qui a nommé Yoni Ben-Menachem, le dernier directeur général, et le président Amir Gilat. Tous les membres du comité – c’est Netanyahu qui les a nommés », dit-il.

Avec ces dirigeants à la barre, l’IBA a fait une série de mauvais choix financiers qui ont été plus tard attribués à ses employés. Par exemple, entre 2002 et 2004, le gouvernement a dépensé 240 millions de shekels pour produire « une chaîne de propagande qui serait diffusée dans les pays arabes ». « En fin de compte, cela a échoué. Et cela a été fait avec l’argent de la taxe sur la télévision, ce qui signifie avec les fonds publics… de l’argent qui est allé à la poubelle », raconte Nevo.

Shwartz Altshuler déclare que l’Etat d’Israël dépensait 900 millions à un milliard de shekels par an pour l’IBA.

Produire des nouvelles de meilleure qualité devrait coûter entre 250 à 300 millions, évalue-t-elle. « Où est le reste de l’argent ? Il est censé aller à la télévision », et dans la production de documentaires de type de ceux de la BBC. « Dans la pratique, ce n’est pas le cas. Il va dans la corruption, dans les salaires gonflés, dans les syndicats des travailleurs. »

La nouvelle législation forcera le Trésor à mettre de côté quelque 500 millions de shekels par an pour la nouvelle société, dont une partie sera prélevée sur la taxe sur les véhicules, explique Shwartz Altshuler.

« Il est très facile pour eux de dire que si vous fermez l’IBA, cela nuira à la démocratie, mais la vérité est que la réforme est conçue pour mieux dépenser l’argent », dit-elle.

Sur la question de l’ingérence politique, elle dit que chaque gouvernement israélien – de droite comme de gauche – a été reconnu coupable d’ingérence dans l’IBA, à des degrés divers. « La question est dans quelle mesure les Premiers ministres peuvent se retenir, quelles sont leurs limites ».

Le Premier ministre Benjamin Netanyahu assiste à la réunion hebdomadaire du cabinet à son bureau à Jérusalem le 16 août 2015 (Abir Sultan/AFP/POOL)
Le Premier ministre Benjamin Netanyahu assiste à la réunion hebdomadaire du cabinet à son bureau à Jérusalem le 16 août 2015 (Abir Sultan/AFP/POOL)

Klein Shagrir acquiesce. « Il est très facile de brandir le slogan ‘Netanyahu tente de contrôler le radiodiffuseur public’. De toute évidence, le Premier ministre serait heureux de contrôler un corps médiatique central comme l’IBA, mais les Premiers ministres et les politiciens le voulaient depuis sa création. Et ils le contrôlent effectivement : à travers la commission des Finances de la Knesset, qui devait approuver la taxe TV et le budget IBA chaque année et via le leadership, le comité exécutif, et la plénière. »

L’amendement à la loi, qui devrait passer à la Knesset mercredi, retarde la date d’ouverture de la nouvelle société à mars 2016. Nevo, cependant, est certain que cela prendra plus longtemps – si elle ouvre – et Shwartz Altshuler estime qu’un autre délai sera accordé jusqu’à septembre 2016.

« Malheureusement, je ne suis pas optimiste sur le processus de démantèlement [IBA] et de réinstitution », ajoute Klein Shagrir. « Il y a trop d’intérêts politiques en jeu, et trop peu d’intérêts publics et de considérations professionnelles. Nous devons mettre en place un nouveau radiodiffuseur public, fort, professionnel, indépendant, appartenant au gouvernement ou aux parties intéressées. C’est un objectif auquel chaque citoyen israélien devrait aspirer. »

Pourquoi Netanyahu essaie-t-il de gagner du temps ?

Pour un plus grand détachement entre le leadership politique et le radiodiffuseur public, le nouvel amendement exige qu’un conseil indépendant soit mis en place pour superviser la création de la nouvelle société de radiodiffusion.

Des candidats ont été sélectionnés, mais Netanyahu, sans explication, a suspendu la nomination officielle du conseil – un mouvement qui alimente une grande partie du débat actuel sur le nouveau radiodiffuseur.

« Tout ce qu’il [Netanyahu] devait faire était de nommer le conseil de la nouvelle télévision publique, qui a déjà été sélectionné, » déclare la députée de l’Union sioniste Merav Michaeli, une ancienne employée d’IBA, lundi.

« Mais Netanyahu ne le nomme pas, parce qu’il ne veut pas de radiodiffuseur indépendant. » Le député Erel Margalit, également de l’Union sioniste, a déposé lundi une requête auprès de la Haute Cour pour le forcer à nommer le conseil.

Le bâtiment de l’IBA à Jérusalem le 6 mars 2014. (Yonatan Sindel/ Flash90)
Le bâtiment de l’IBA à Jérusalem le 6 mars 2014. (Yonatan Sindel/ Flash90)

Shwartz Altshuler affirme que deux théories principales ont émergé pour expliquer la lenteur de Netanyahu. Soit, comme le blâme Michaeli, Netanyahu veut garder le contrôle sur l’entité. Soit – et elle-même penche pour cette explication – vu qu’une élection a eu lieu depuis que les candidats au conseil ont été choisis, Netanyahu veut redémarrer le processus, mais, sachant qu’il faudra du temps, il cherche à ce que le directeur général commence la construction de la nouvelle organisation.

Le nouveau directeur général – officiellement temporaire – Eldad Koblantz, est « super-professionnel. Il n’est pas lié à Netanyahu. Je ne pense pas qu’il ait voté pour lui. Il ne fera  probablement pas tout ce que Netanyahu lui dira », dit-elle.

Nevo désapprouve fortement. Des réformes ont été conçues pour séparer le radiodiffuseur du gouvernement par l’intermédiaire du Conseil, dit-il. Mais Netanyahu a suspendu la création du conseil, et embauché Koblantz comme directeur général temporaire à la place.

« Et le Premier ministre commande Eldad Koblantz. Il peut lui dire, ‘Donne-moi cette émission, annule cette diffusion, renvoie cet homme, embauche celui-là’. L’ingérence politique est aggravée, et c’est une tragédie, tout simplement une tragédie. »

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