Lors des discussions avec Israël, les Saoudiens écartent l’Initiative de paix arabe
Ryad manifeste son intérêt à l'égard des propositions palestiniennes qui conditionneraient la paix - mais le royaume serait prêt à normaliser les liens avec Israël pour bien moins
Jacob Magid est le correspondant du Times of Israël aux États-Unis, basé à New York.
WASHINGTON — L’Arabie saoudite est en train de mettre discrètement en suspens l’Initiative de paix Arabe qu’elle avait chapeautée il y a plus de vingt ans. Et elle se prépare à la possibilité de normaliser ses relations avec Israël sans garantir avant tout qu’un État palestinien sera bien établi, ont déclaré trois responsables proches du dossier au Times of Israel.
En public, les Saoudiens continuent à souligner qu’ils soutiennent cette initiative qui avait été avancée en 2002 – qui offrait à Israël la normalisation des relations avec tout le monde arabe une fois une solution à deux États mise en place dans le conflit qui l’oppose aux Palestiniens. Un cadre qui a encore été vanté dans le discours prononcé par le chef de la diplomatie saoudienne, Faisal ben Farhan, lors de l’Assemblée générale des Nations unies, samedi, et par l’ambassadeur du royaume auprès des Palestiniens pendant son premier déplacement, mardi, à Ramallah.
Mais alors que Ryad s’engage dans des négociations avec l’administration du président américain Joe Biden concernant la normalisation des relations avec Israël, les officiels impliqués disent que ces déclarations publiques s’apparentent dorénavant à des manifestations d’intérêt de pure forme.
Le prince héritier Mohammed Ben Salmane a semblé sur le point de dire, la semaine dernière, que Ryad pourrait normaliser ses liens avec l’État juif en échange de concessions qui n’iraient pas jusqu’à autoriser l’établissement d’un État palestinien indépendant.
« Nous espérons que nous pourrons trouver quelque chose qui rendra la vie des Palestiniens plus facile », a-t-il ainsi déclaré, se référant aux discussions avec les États-Unis en les présentant comme une chance d’améliorer les moyens de subsistance des Palestiniens – mais sans évoquer leur souveraineté politique par ailleurs.
Karine Jean-Pierre, l’attachée de presse de la Maison Blanche, s’est abstenue de la même manière d’inclure l’établissement d’un État palestinien dans les objectifs poursuivis par les pourparlers. « Un accord de normalisation entre Israël et l’Arabie saoudite comprendra une importante composante relative à la question israélo-palestinienne », a-t-elle signalé, la semaine dernière.
« Ce n’est pas l’IPA qui est d’actualité aujourd’hui », a dit un haut-responsable impliqué dans les discussions, faisant référence à l’Initiative de paix arabe. Toutefois, les Saoudiens « ne vont pas venir pour dire publiquement qu’elle n’a plus de pertinence, parce qu’ils avaient beaucoup parié sur cette proposition ».
« Même si nos discussions aboutissent, je ne m’attends pas à ce que les Saoudiens reconnaissent ce désintérêt soudain. Mais en particulier maintenant, alors qu’il y a une possibilité que cela n’aboutisse pas, ils veulent pouvoir couvrir leurs arrières », a-t-il ajouté.
Un officiel palestinien a convenu que l’Arabie saoudite était prête à mettre de côté la formule de l’Initiative de paix arabe, en normalisant ses relations avec Israël avant qu’un État palestinien puisse être établi.
« Les Saoudiens nous ont dit clairement qu’ils n’abandonneraient pas la cause palestinienne, mais c’est vrai que ce qui est discuté en ce moment comprend des éléments qui ne vont pas jusqu’à réclamer l’établissement d’un État palestinien. On parle plutôt d’ouvrir une voie qui nous permettrait, à terme, d’y arriver », a noté l’officiel palestinien.
Un diplomate originaire du Golfe a lui aussi reconnu que Ryad n’irait pas jusqu’à demander la création d’un État palestinien comme condition à la normalisation des liens avec Israël, au vu des autres mesures que l’Arabie saoudite souhaite avoir acceptées par l’administration Biden dans le cadre d’un accord – comme un pacte de défense mutuelle, similaire à l’OTAN ; l’acquisition d’équipements militaires de pointe et le soutien des Américains à un programme nucléaire civil.
Les Saoudiens « se préoccupent profondément des Palestiniens et ils ne vendront pas la cause – mais ils ont aussi leurs intérêts propres qu’ils cherchent à avancer et cela implique de faire des demandes réalistes », a expliqué le diplomate du Golfe, laissant entendre que conditionner la normalisation à l’établissement immédiat d’un État pour les Palestiniens ne serait pas faisable.
Un porte-parole de l’ambassade de l’Arabie saoudite à Washington n’a pas répondu à notre demande de commentaire.
Hussein Ibish, expert au sein de l’Arab Gulf States Institute à Washington, indique que l’Initiative de paix arabe avait déjà subi un revers important en 2020 avec la conclusion des Accords d’Abraham. Plusieurs pays arabes avaient alors normalisé leurs liens avec Israël, inversant la chronologie définie dans l’Initiative de paix arabe.
« Les Saoudiens eux-mêmes ne peuvent pas vraiment porter entièrement seuls l’Initiative de paix arabe », ajoute-t-il.
« Eux aussi n’insistent pas sur une fin de l’occupation avant d’examiner la possibilité de normaliser les liens avec Israël parce qu’ils reconnaissent que ce gouvernement israélien, et qu’aucun gouvernement israélien viable, n’acceptera de discuter d’une telle chose », continue-t-il.
La défense, en public, de l’Initiative de paix arabe par le royaume est « un simple travail de diplomatie » qui transmet certains messages à Israël ainsi que des signaux politiques déterminants sur le sol saoudien, poursuit Ibish.
Il compare les propos tenus par les hauts-responsables à Ryad en soutien à l’Initiative de paix arabe à ceux tenus par leurs homologues à Jérusalem qui excluent tout geste à l’égard de Ramallah dans le cadre d’un accord, alors que le Premier ministre Benjamin Netanyahu a reconnu qu’il y aurait une composante palestinienne dans un éventuel pacte.
Expliquant les priorités de l’Arabie saoudite dans ses discussions avec les États-Unis, Ibish déclare : « Ils négocient des points existentiels concernant la défense de leur pays… et ils ne vont pas remettre ça en jeu pour maximiser ce qu’ils peuvent obtenir pour les Palestiniens ».
Il suppose que Ryad se satisfera de mesures qui permettraient d’apporter une aide financière significative à l’Autorité palestinienne, de transférer des territoires placés sous le contrôle d’Israël, en Cisjordanie, à l’Autorité palestinienne ; de limiter les activités stratégiques d’implantation avec l’assurance que l’État juif ne fera aucune démarche vers l’annexion de Cisjordanie et avec un engagement plus général en faveur de la solution à deux États.
Des responsables palestiniens ont indiqué, la semaine dernière, au Times of Israel qu’ils prônaient l’arrêt mutuel des initiatives unilatérales dans le contexte des négociations de normalisation en plus d’autres « mesures irréversibles » susceptibles d’aider à créer « un horizon diplomatique » bénéfique pour un futur accord.
Des mesures qui pourraient néanmoins être rejetées par le gouvernement israélien actuel. Ainsi, le ministre de la Sécurité nationale d’extrême-droite, Itamar Ben Gvir, a averti vendredi que son parti Otzma Yehudi et la formation Hatzionout HaDatit du ministre des Finances, Bezalel Smotrich, quitteraient le gouvernement si des concessions devaient être faites en direction des Palestiniens. Le même positionnement a été revendiqué par une douzaine de députés du Likud.
De leur côté, les États-Unis ont demandé à Benny Gantz, le président du parti HaMahane HaMamlahti, et au chef de l’opposition, Yair Lapid, s’ils accepteraient d’intégrer la coalition pour permettre à un accord de normalisation avec l’Arabie saoudite d’être finalisé. Les réponses ont été négatives, ont confié des responsables israéliens et américains au Times of Israel.