Une université américaine accusée d’honorer un négationniste de la Shoah
Selon l'ADL et d'anciens élèves de l'Arkansas Tech University, le défunt professeur ayant travaillé au sein de l'institution présente des antécédents antisémites
JTA — Au mois de décembre, la Tech University, dans l’Arkansas, a annoncé qu’une nouvelle bourse de scolarité porterait le nom d’un professeur qui y a travaillé pendant longtemps et qui a légué environ 200 000 dollars en faveur de sa création.
Michael Link, un professeur associé d’histoire, travaillait au sein de l’institution publique depuis 51 ans au moment de son décès, en 2016. Il avait demandé que la bourse de scolarité porte son nom ainsi que le nom de sa mère.
Peu après cette annonce, Sarah Stein, professeure-adjointe d’anglais à l’université – qui accueille presque 10 000 étudiants sur son principal campus de la ville de Russellville – a expliqué que l’un de ses collègues lui avait confié que Link faisait preuve de négationnisme dans son évocation de la Shoah.
S’intéressant alors de plus près à l’affaire, Stein a découvert une lettre écrite en 2005 par un professeur de l’université qui l’avait adressée au président de l’époque. Dans son courrier, le professeur stipulait qu’un élève avait porté à son attention que Link avait donné à ses élèves la possibilité de choisir un livre à lire sur la Shoah dans une liste de lecture.
Au moins deux des ouvrages relevaient clairement du négationnisme. L’un d’entre eux avait été publié par Noontide Press, connu pour avoir sorti des livres pseudo-historiques antisémites comme Le protocole des sages de Sion – un texte fabriqué de toutes pièces présentant un plan présumé des Juifs pour contrôler le monde.
Les ouvrages incriminés auraient été présentés comme valides au niveau historique par Link.
Stein s’est entretenue avec d’anciens étudiants et élèves de Link, qui ont déclaré qu’ils avaient été témoins de propos négationnistes de sa part – ou qu’ils en avaient entendu parler – pendant des cours, antérieurs à l’incident de 2005. Elle a également retrouvé deux ouvrages publiés par Link dans les années 1960 et 1970 – une dissertation d’examen et un livre publié à compte d’auteur – qui, selon elle, contiennent des thématiques antisémites.
Stein, qui est Juive, s’est retrouvée atterrée. Entre les mois de décembre et janvier, elle a rencontré les responsables de l’université à plusieurs reprises afin de faire part de ses inquiétudes. De surcroît, son époux, Robert Vork, qui est également professeur-adjoint d’anglais au sein de l’établissement, s’est entretenu avec l’un des doyens de l’université pour évoquer la question.
Au mois de janvier, la branche locale de l’ADL (Anti-Defamation League) s’est impliquée dans l’affaire, recommandant vivement à l’université de ne pas donner à la bourse de scolarité le nom de Link.
Mais au mois de février, a expliqué Stein, le président de l’université, Robin Bowen, lui a dit que la bourse porterait bien son nom.
« Je ne me sens plus soutenue à l’université en tant que membre juive de la faculté alors même que cette bourse de scolarité va rester en place », a confié Stein lors d’un entretien téléphonique accordé jeudi à JTA.
Jeudi également, la branche régionale de l’ADL a communiqué une lettre publique à Bowen condamnant le nom donné à la bourse. Ce courrier a été signé par des responsables de la communauté juive locale et par plus de 40 spécialistes en études juives, notamment par Deborah Lipstadt, éminente experte de la Shoah, dont les écrits ont été largement consacrés au négationnisme.
« En honorant et en cherchant simultanément à dissimuler l’antisémitisme du docteur Link, l’université devient complice de sa haine », dit la lettre. « Nous appelons l’université du Kansas à résoudre dans les meilleurs délais cette situation. »
Interrogé dans un premier temps par l’agence JTA sur les inquiétudes exprimées par l’ADL, le directeur des relations de l’université, Samuel Strasner, a écrit dans un courriel que « la lettre ne reflète pas un récit complet ou tout à fait exact des circonstances qui ont entouré la création de cette bourse de scolarité ».
Dans un second temps, Strasner a expliqué que l’université « prend au sérieux les inquiétudes exprimées par la branche centre-sud de l’ADL ».
« D’anciens étudiants et d’anciens collègues de faculté du docteur Link – dont certains figurent parmi ceux qui le connaissaient le mieux – ont été consultés durant notre réexamen de l’affaire. Et à travers tout ce processus de recherche, nous n’avons trouvé aucune preuve venant soutenir les accusations de l’ADL », a-t-il dit.
Strasner a ajouté que l’ADL avait évoqué auprès de l’université des ouvrages que Link avait écrit dans les années 1960 et 1970, notamment un livre « qui examinait les théories d’un autre spécialiste ».
En effet, des écrits publiés à compte d’auteur par Link en 1975 s’intéressent à la philosophie du théologien Reinhold Niebuhr. Selon Stein et l’ADL, ils contiennent également des tropes antisémites.
« Après révision de ces documents, nous avons répondu à l’ADL en demandant une preuve spécifique qui vienne soutenir leurs accusations dans ces textes précisément et nous n’avons pas reçu de réponse », a clamé Strasner.
Au moment de la publication de cet article, il n’avait pas encore répondu à une question concernant la liste de lecture présentée par Link à ses élèves.
Dans sa lettre, l’ADL explique avoir examiné les écrits de Link – en plus des témoignages apportés par d’anciens élèves et des circonstances dans lesquelles s’était déroulé l’incident de 2005 – comme l’ont fait également les responsables Juifs locaux et des experts de la Shoah.
« Tout ce que nous avons trouvé est à la fois crédible et convaincant. Nous sommes tous d’accord sur le fait que le docteur Link a présenté une désinformation antisémite remplie de haine et non-factuelle à ses étudiants en laissant penser qu’il s’agissait d’un matériel valide au niveau historique », a-t-elle fait savoir.
Aaron Ahlquist, à la tête de la branche régionale de l’ADL, a noté que son organisation avait été « très déçue » par la décision prise par l’université.
« Nous avons passé des mois à tenter de trouver une solution qui ait du sens avec l’université sur ce problème qui semble pourtant simple », a-t-il indiqué jeudi à JTA. « Mais l’université a fait preuve d’intransigeance et n’a pas montré la volonté de prendre des mesures, ne serait-ce que les plus évidentes. »