Israël en guerre - Jour 374

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Ou "l'art de tourner casaque"

Maisons de ventes aux enchères, musées – leurs florissants bénéfices sous Vichy

L'exposition gratuite "Le Marché de l'art sous l'occupation" commence mercredi jusqu'au 3 novembre au Mémorial de la Shoah, à Paris

Rome, Italie, le 4 janvier 1944. Des soldats allemands de la division "Hermann Göring" posent près de l'entrée principale du Palazzo Venezia, exhibant une photographie volée dans la galerie de photos du Musée national de Naples (aujourd'hui le Museo di Capodimonte) avant la libération de la ville, lors d'une cérémonie de propagande. La photo présentée est de Giovanni Paolo Pannini et représente Carlo III de Borbone visitant le pape Benoît XIV à Rome" (Museo di Capodimonte).
Rome, Italie, le 4 janvier 1944. Des soldats allemands de la division "Hermann Göring" posent près de l'entrée principale du Palazzo Venezia, exhibant une photographie volée dans la galerie de photos du Musée national de Naples (aujourd'hui le Museo di Capodimonte) avant la libération de la ville, lors d'une cérémonie de propagande. La photo présentée est de Giovanni Paolo Pannini et représente Carlo III de Borbone visitant le pape Benoît XIV à Rome" (Museo di Capodimonte).

Des oeuvres d’art appartenant à des familles juives spoliées parmi des milliers d’objets de luxe vendus entre 1940 et 1944 à l’hôtel Drouot dans des salles bondées, avec les musées français parmi les acquéreurs : c’est ce que montre une exposition gratuite qui démarre mercredi au Mémorial de la Shoah.

Avec 300 documents, affiches, photos, objets, elle rappelle comment galeristes et collectionneurs juifs ont été victimes du zèle antisémite déchaîné du régime français de Vichy, autant que des oukazes de l’occupant nazi.

« Sous l’Occupation, c’est la pénurie partout ! Or à Drouot, on vend de tout, et les cliquetis des maillets d’ivoire sont incessants », évoque à l’AFP Emmanuelle Polack, commissaire scientifique et auteure du livre de référence Le marché de l’art sous l’Occupation paru en février dernier.

Ces ventes étaient réalisées parfois à prix élevés. Des affiches étaient apposées dehors, interdisant l’entrée des Juifs, accusés par la propagande française vichyste « d’avoir volé les richesses » des Français. On contrôlait les identités. Des visiteurs étaient chargés de débusquer ceux qui réussiraient à s’infiltrer.

Selon Mme Polack, sur la période 1941/42, plus de deux millions d’objets ont été ainsi vendus à Paris, principalement à la maison Drouot.

À compter de l’été 1941, les administrations confisquent aux Juifs biens immobiliers, financiers et œuvres d’art. Leurs comptes sont bloqués, leurs galeries sont « aryanisées ».

Privés de ressources qui leur auraient permis de fuir, des milliers de Juifs seront « pris dans la nasse » de la persécution nazie.

Des œuvres d’art ont été rendues à leurs propriétaires à l’issue de longs combats juridiques : c’est le cas de tableaux de John Constable ou Thomas Couture, qui sont exposés.

La dispersion de la collection Dorville

Albert Gleizes, 1912, « Paysage près de paris, Paysage de Courbevoie », peinture à l’huile, 72.8 x 87.1 cm, disparu de Hanovre depuis 1937.

Les enchères bondées n’ont pas seulement eu lieu à Drouot. Mais aussi à Nice avec la vente du « cabinet d’un amateur parisien » en juin 1942 au Savoy-Palace. Sous ce nom, s’opère la dispersion de la collection du grand amateur d’art, Armand Isaac Dorville, mort un an plus tôt dans le Midi. L’État français vichyste récolte avec cynisme les copieuses liquidités générées par la vente.

Une douzaine des tableaux issus de la collection Dorville sont encore dans les collections nationales. Le Louvre, le Musée d’Orsay et le Musée des Arts décoratifs en ont prêté quatre au total au Mémorial.

L’exposition fait revivre le destin de quatre galeries illustres : la galerie de Paul Rosemberg (le grand-père d’Anne Sinclair), un des principaux collectionneurs de l’avant-garde, dont une cinquantaine d’œuvres restent aujourd’hui en déshérence ; celle de Berthe Weill, découvreuse appréciée de tableaux émergents ; celle de René Gimpel, qui meurt au camp de Neuengamme en janvier 1945 ; celle enfin de Pierre Loeb, qui, émigré à Cuba, s’entend avec un confrère resté à Paris pour qu’il prenne les rênes de la galerie, lui évitant d’être spolié. Quand, à son retour, ce confrère ne veut plus lui rendre la galerie, c’est Pablo Picasso qui ordonnera à ce dernier d’obtempérer…

L’exposition montre aussi comment certaines maisons d’enchères les plus zélées sous l’Occupation ont « eu l’art de tourner casaque » : elles confectionneront en 1945 de beaux catalogues pour des ventes en faveur des FFI, des déportés…

Appel aux musées nationaux

« Une femme juive vendant des oranges » du peintre Aleksander Gierymski, volé du Musée national de Varsovie entre 1939 et 1944 et retrouvé lors d’une vente aux enchères à proximité d’Hambourg en 2010. La toile a depuis été restituée au musée.

Mme Polack a appelé les musées nationaux à intensifier les recherches des œuvres spoliées dans leurs collections sur cette période 1940/44.

« Les musées, en restituant, gagneraient » en considération, a-t-elle argumenté, s’appuyant sur l’annonce en juillet 2018 par le Premier ministre Edouard Philippe d’un renforcement des services dédiés à la restitution des biens spoliés aux familles juives.

Elle voit un premier pas dans le fait que des œuvres issues de la collection Dorville aient été prêtées : « Cela montre la volonté de travailler ensemble. On est à l’aube de nouvelles prises de positions des musées qui vont travailler sur l’origine des provenances », estime-t-elle.

L’exposition « Le Marché de l’art sous l’occupation » aura lieu du du 20 mars au 3 novembre au Mémorial de la Shoah, à Paris. Entrée libre.

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