Miami, en plein essor, est un havre de paix pour les Juifs du Venezuela
Une économie paralysée et une baisse de la sécurité ont entraîné un exode qui a vu de plus en plus de familles aisées s'établir en Floride
NORTH MIAMI BEACH, Floride (JTA) — Jackeline Nichols a su qu’il était temps de quitter son Venezuela natal quand en l’espace de quelques mois, deux de ses voisins ont été kidnappés. Même si tous deux ont finalement été libérés après le paiement d’une rançon par leurs familles, ces incidents ont secoué la jeune femme.
Puis l’un de ces enfants a attrapé une grippe intestinale et son époux a dû se rendre dans cinq pharmacies différentes pour trouver des médicaments.
Ces situations ne sortent pas de l’ordinaire au Venezuela – un pays avec une économie dans le passé florissante et qui s’est écroulée au cours des dernières années, le pays s’étant embourbé dans une crise politique. Des conditions de vie médiocres – avec notamment des enlèvements professionnels et une pénurie de produits alimentaires et de médicaments – ont poussé des millions de personnes qui vivaient au Venezuela à choisir l’exil.
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« Nous faisions courir des risques à nos familles », s’exclame Nichols, âgée de 43 ans, qui a été présidente de Hebraïca, le centre communautaire juif de Caracas, de 2012 à 2014.
« Nous avons trois enfants et ils vont être bientôt adolescents. Nous savions qu’ils voudraient pouvoir commencer à sortir avec des amis, à aller au centre commercial et à faire ce que tout les adolescents aiment. Et nous avions le sentiment qu’ils n’étaient plus en sécurité là-bas ».
C’est ainsi qu’en 2015, Nichols et sa famille se sont installés à Miami.
Bien que son mari soit Américain et ait de la famille à Chicago, le couple ayant des opportunités d’emploi dans d’autres villes, le choix s’est imposé de lui-même.
« Nous savions qu’ici, il y aurait déjà la moitié de leurs camarades de classe ayant déjà déménagé qui se trouveraient sur les bancs de l’école élémentaire », explique Nichols.
« Nous avions des oncles et des cousins avec lesquels faire Shabbat. Les enfants étaient d’ores et déjà familiers de cet environnement parce qu’ils y avaient passé des vacances à de nombreuses reprises. Et Miami a donc été un tremplin. La ville apparaît comme représentant la transition la plus facile, d’une certaine manière, pour un grand nombre d’entre nous », poursuit-elle.
Miami accueille une large population juive originaire d’Amérique latine. La toute première vague d’immigration juive était venue de Cuba, après la révolution de Fidel Castro, en 1959. Le secteur, depuis, a accueilli des Juifs d’un certain nombre de pays de la région – en particulier venant du Venezuela, de Colombie, d’Argentine et du Pérou.
Les visiteurs du centre communautaire juif Michael-Ann Russell, à North Miami Beach, peuvent s’attendre à entendre parler plus espagnol qu’anglais sur le campus de sept hectares.
« Dans la communauté des personnes âgées, vous trouverez plus d’anglophones que d’hispanophones – les 75 ans et plus – et si vous passez en dessous des 50 ans, cette tendance est inversée », explique le directeur-général Alan Sataloff.
Environ 80 % des membres du centre communautaire juif sont originaires des pays latino-américains et les Vénézuéliens sont les plus nombreux dans ce groupe, à 40 %. Lors d’un événement récent des Maccabiades, où les enfants concourent pour leurs pays d’origine, 460 d’entre eux représentaient le Venezuela sur 2 000 participants.
Le groupe ethnique qui augmente le plus vite au sein de la communauté juive de Miami est celui des Juifs hispaniques, ce qui représente la pluralité des adultes nés à l’étranger, selon une étude de la population qui a été réalisée en 2014 par la Fédération juive du Grand Miami.
L’étude a également révélé que le Venezuela était le quatrième pays natal pour les Juifs nés à l’étranger de la région, après Israël, Cuba et l’Argentine.
Les Vénézuéliens ont continué à s’installer depuis, et un grand nombre, parmi eux, choisissent de s’établir à North Miami Beach et dans une banlieue avoisinante de Miami, Aventura. Les Juifs vénézuéliens sont aussi très actifs au sein de la communauté juive locale.
Le centre communautaire juif de Miami Beach a adapté ses programmes à la communauté d’Amérique latine. Il a un département appelé Hebraïca – le nom des centres communautaires juifs dans différents pays d’Amérique latine, pas seulement à Caracas. Le département présente toute une gamme de programmes pour les Juifs hispaniques, notamment un mouvement pour les jeunes.
Même les activités offertes reflètent les préférences de la communauté. Le football et la danse, deux activités populaires en Amérique latine, oui. Le baseball, un produit de base américain, non.
Et avoir un lieu où pratiquer de telles activités peut aider à faciliter la transition pour les nouveaux immigrants. Cela a été le cas pour Nathalia Coriat, qui est arrivée il y a deux ans avec sa famille à Miami. Comme de nombreux autres, Coriat, 43 ans, ne se réjouissait guère à l’idée de laisser derrière elle la petite communauté très soudée de Caracas, et elle regrette Hebraïca, où elle emmenait fréquemment ses enfants.
« J’aimerais bien retourner au Venezuela mais ce n’est pas réaliste aujourd’hui », explique Coriat, qui vit à Aventura.
Même si un grand nombre de personnes, au sein de la communauté juive, sont tristes à l’idée de quitter le Venezuela, presque toutes aimeraient pouvoir le faire, estime Coriat.
« Ceux qui ont la possibilité de partir le font. Il y a beaucoup de gens au Venezuela qui ne peuvent pas s’installer ici, parce que vivre ici coûte très cher », ajoute-t-elle.
Dans les années 1980, il y avait environ 25 000 Juifs qui vivaient au Venezuela mais ce nombre serait passé aujourd’hui à 5 000, dit Nichols, l’ex-dirigeante de la communauté de Caracas qui a quitté le pays en 2015.
Elle ajoute que sur environ 70 lycéens ayant obtenu leurs diplômes à l’école juive de Caracas il y a deux ans, seuls dix sont restés au Venezuela.
Certains Juifs sont partis pour Israël, pour l’Espagne ou pour le Panama – mais Miami est souvent la destination de choix pour les familles plus aisées qui sont en capacité d’obtenir des certificats de résidence en faisant des études ou en trouvant du travail aux Etats-Unis, ou encore par le biais de visas d’investissement.
Et tandis que la communauté juive du Venezuela s’est considérablement réduite et qu’elle a vieilli, les nouveaux arrivants à Miami, plus jeunes, ont aidé à dynamiser de nouvelles communautés.
L’une de ces communautés est la synagogue Skylake, congrégation moderne orthodoxe de North Miami Beach à laquelle Nichols a adhéré.
La synagogue est dirigée par le rabbin Ariel Yeshurun, un Israélien venu à Miami après avoir servi sur l’île de Curacao.
Quand Yeshurun, dont la famille est originaire de l’Iran et du Yémen, a commencé à officier à la synagogue Skylake il y a six ans, cette dernière comptait environ 250 membres.
Aujourd’hui, la synagogue s’enorgueillit de 700 membres, et 90 % d’entre eux sont des immigrants d’Amérique latine. 65 % sont plus spécifiquement originaires du Venezuela.
« Peu de Vénézuéliens venaient ici. Un ami a amené un ami et, lentement mais sûrement, cette communauté est devenue l’un des bastions de la présence des Vénézuéliens ici, à Miami », explique le rabbin.
Pour pouvoir répondre à la demande croissante, Yeshurun, 43 ans, a commencé à acheter des biens immobiliers autour de la synagogue, il y a quatre ans. Il a maintenant acheté cinq lots, prévoyant de faire construire un complexe de plus de 4 000 mètres carrés qui occupera la plus grande partie du bloc de bâtiments.
Le complexe prévu accueillera deux sanctuaires séparés (l’un pour les services ashkénazes, l’autre pour les services séfarades), une salle qui pourra réunir environ 1 000 personnes, des salles de classe, un bain rituel mikvé et un magasin qui vendra des vêtements à très bas prix pour les familles dans le besoin. Il y aura également des activités pour les enfants.
Yeshurun espère que les travaux de construction commenceront après Pessah et, selon lui, il faudra cinq ou six ans pour mener à bien ce projet dont la première phase devrait s’achever dans deux ans environ.
« Nous avons constaté la croissance et le potentiel de davantage de croissance encore », dit-il.
Pour de nombreux membres de la congrégation, la synagogue est un moyen de se connecter à leurs racines tout en s’intégrant dans leurs nouvelles vies et dans leur pays d’adoption.
« On allait à la synagogue tous les vendredis soirs à Caracas et nous connaissions les mélodies par cœur », s’exclame Nichols. « En venant ici pour le Shabbat, le vendredi soir, on se sent d’abord dans un lieu un peu bizarre puis on entend exactement les mêmes morceaux de musique pour Lecha Dodi et Mizmor Shir. Là, les enfants se disent ‘OK, ça, je connais’. »
Les communautés juives du Venezuela, comme dans les autres pays d’Amérique latine, sont formées de Juifs ashkénazes comme de Juifs séfarades. Afin de faire en sorte que les deux groupes se sentent chez eux, Yeshurun utilise des mélodies issues des deux traditions pendant l’office du Shabbat. Et lorsque quelqu’un est appelé pour venir réciter une bénédiction sur la Torah, le rabbin utilise un morceau de musique conforme à la tradition de la personne interpellée.
Ce qui a du sens pour David Bassan, qui a quitté Caracas avec sa famille il y a huit ans.
« [Au Venezuela,] nous sommes une petite communauté mais tout le monde fait ses études dans la même école et tout le monde se connaît. Nous étions tous ensemble, séfarades et ashkénazes, et c’était une grande famille », explique Bassan, âgé de 62 ans.
Les Vénézuéliens de Miami ont également facilité les choses pour les Juifs des autres pays hispanophones, clame Dana Nicolaievsky, arrivée de Mexico à Miami il y a dix ans.
« Ils ont enrichi la communauté latine et non-latine ici, à Miami, parce qu’ils sont aussi actifs qu’ils l’étaient au Venezuela », affirme Nicolaievsky, 49 ans, membre de la synagogue Skylake. Son époux en est le président.
L’expérience a également été forte pour Yeshurun, qui pensait quitter le rabbinat et devenir médecin avant de décider d’accepter son poste au sein de la congrégation.
« Nous nous sommes développés au-delà de nos rêves les plus fous », se réjouit-il.
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