Nasrallah à l’Iran : le Hezbollah se battra seul en cas de guerre avec Israël
Le chef du groupe terroriste libanais a assuré le mois dernier à Esmail Qaani, chef des forces al-Quds iraniennes, que Téhéran ne sera pas entraîné dans une guerre ouverte
Alors que le Hamas, le groupe terroriste allié de Téhéran, est actuellement en guerre contre Israël dans la bande de Gaza, le chef des forces al-Quds s’est rendu à Beyrouth, au mois de février, pour discuter du risque que poserait une déclaration de guerre au Hezbollah de la part d’Israël – une offensive qui serait susceptible de gravement porter atteinte au principal partenaire du régime des Ayatollahs dans la région, ont fait savoir sept sources.
A Beyrouth, le responsable des forces al-Quds, Esmail Qaani, s’est entretenu avec le leader du Hezbollah, Hassan Nasrallah, ont-elles indiqué. C’était au moins la troisième rencontre entre les deux hommes depuis l’assaut meurtrier commis, le 7 octobre 2023, dans le sud d’Israël, une attaque qui a été à l’origine de la campagne militaire lancée par Israël à Gaza, dont l’objectif est d’éliminer le groupe terroriste.
Les échanges ont porté sur la possibilité d’une offensive israélienne sur la frontière nord de l’État juif, au Liban, ont ajouté les sources. Une telle escalade, dans la situation, serait non seulement susceptible de porter atteinte au groupe terroriste chiite mais elle pourrait aussi obliger l’Iran à s’impliquer davantage dans le conflit que cela n’a été le cas depuis le 7 octobre, ont confié trois des sources, des personnalités iraniennes qui gravitent dans le cercle du pouvoir.
Depuis le 8 octobre, les terroristes, avec à leur tête le Hezbollah, attaquent les communautés et les postes militaires israéliens situés le long de la frontière nord presque quotidiennement – des frappes qui ont entraîné des morts et d’importants dégâts. L’organisation libanaise déclare s’en prendre à l’État juif en signe de soutien à Gaza, où la guerre fait rage.
Lors de la réunion – dont aucune information n’avait filtré jusqu’à présent – Nasrallah a assuré à Qaani qu’il ne voulait pas que l’Iran se laisse entraîner dans une guerre contre Israël ou contre les États-Unis. Il a affirmé que le Hezbollah saurait se battre seul, ont noté les sources.
« C’est notre combat », a dit Nasrallah à son interlocuteur, selon une source iranienne proche de la discussion.
Réfléchies de manière à éviter toute escalade, les hostilités, au Liban, ont néanmoins obligé des dizaines de milliers de personnes à quitter leurs habitations des deux côtés de la frontière. Les frappes du Hezbollah ont entraîné la mort de sept civils du côté israélien et celle de dix soldats et réservistes de Tsahal. Des agressions ont aussi été lancées depuis la Syrie, sans faire de blessé.
Le Hezbollah, pour sa part, a fait savoir que 244 de ses membres ont été tués par Israël lors de ces escarmouches, principalement au Liban, mais aussi en Syrie. Au Liban, 37 membres d’autres organisations terroristes, un soldat libanais et 30 civils au moins, parmi lesquels trois journalistes, ont été tués.
Ces derniers jours, les contre-offensives d’Israël se sont renforcées à la fois en intensité et en envergure, laissant craindre des violences qui pourraient devenir incontrôlables même si les négociateurs devaient parvenir à finaliser un accord de trêve temporaire à Gaza.
Le ministre de la Défense Yoav Gallant a indiqué, au mois de février, qu’Israël prévoyait de continuer à intensifier ses attaques pour repousser les combattants du Hezbollah de la frontière si un cessez-le-feu temporaire devait avoir lieu à Gaza, même s’il a laissé la porte ouverte à la diplomatie.
En 2006, Israël avait connu une guerre menée par voie terrestre et maritime contre le Hezbollah qui avait été courte mais qui avait été dévastatrice pour le Liban.
Des sources israéliennes proches des services de sécurité ont fait savoir qu’Israël ne cherchait pas à élargir les hostilités, mais elles ont ajouté que le pays était prêt à se battre sur de nouveaux fronts si cela devait s’avérer nécessaire. Une guerre ouverte, sur la frontière nord, entraînerait des tensions sur les ressources militaires de l’État juif.
L’Iran et le Hezbollah sont conscients des graves dangers que poserait un conflit plus large au Liban, ont dit deux sources proches du gouvernement de Téhéran, et ils gardent à l’esprit la possibilité d’une propagation des violences, avec le risque que les installations nucléaires de la république islamique soient prises pour cible par des attaques.
Les États-Unis considèrent l’Iran comme un État qui parraine le terrorisme et cela fait des années qu’ils s’efforcent de freiner le programme nucléaire de Téhéran. Israël, de son côté, estime depuis longtemps que la république islamique lui pose une menace existentielle. Cette dernière nie vouloir se doter d’une bombe atomique.
L’agence Reuters s’est entretenue, pour les besoins de cet article, avec deux sources iraniennes et avec deux sources régionales, ainsi qu’avec une source libanaise qui a confirmé l’objectif poursuivi dans le cadre de la discussion entre les deux hommes. Deux sources américaines et une source israélienne ont indiqué que l’Iran voulait éviter les contrecoups d’une guerre opposant Israël au Hezbollah. Toutes ces sources ont réclamé de s’exprimer sous couvert d’anonymat, compte-tenu de la sensibilité du sujet.
Le Département d’État américain, le gouvernement israélien, Téhéran et le Hezbollah n’ont pas répondu à une demande de réaction.
Cet entretien entre les deux hommes, à Beyrouth, souligne les contraintes pesant sur la stratégie de l’Iran qui veut éviter une escalade majeure dans la région tout en offrant son soutien et ses forces à Gaza par le biais de tous ses groupes armés alliés en Irak, en Syrie et au Yémen, estiment les analystes.
Qaani et Nasrallah « veulent épargner l’Iran des conséquences du soutien apporté à ses proxies dans tout le Moyen-Orient », explique Jon Alterman, membre du think-tank Center for Strategic and International Studies, dont le siège est à Washington, en réponse à une question sur cette rencontre.
« Et c’est probablement parce qu’ils estiment que la possibilité d’une action militaire au Liban se renforce plus qu’elle ne diminue », ajoute-t-il.
L’influence de Téhéran dans la région est d’ores et déjà entravée, notamment par l’offensive lancée par Israël contre le Hamas et par de potentiels accords susceptibles d’être finalisés – un pacte de défense entre les États-Unis et l’Arabie saoudite, et un accord de normalisation des liens entre l’Arabie saoudite et Israël. A cela viennent s’ajouter les mises en garde lancées par Washington, qui a sommé l’Iran de rester à l’écart de la campagne en cours dans la bande de Gaza.
Dans la ligne de mire d’Israël
A eux deux, Qaani et Nasrallah disposent de dizaines de milliers de combattants et d’un large arsenal de roquettes et de missiles. Ils sont les principaux adversaires d’Israël dans tout le réseau d’alliés et de milices mandataires de la république islamique, avec les forces d’élite al-Quds de Qaani qui agissent en tant que légion étrangère pour le compte du Corps des gardiens de la révolution islamique.
Si le Hezbollah a ouvertement déclaré qu’il cesserait d’attaquer Israël dès que l’offensive à Gaza se terminerait, l’envoyé spécial américain Amos Hochstein a expliqué, la semaine dernière, qu’une trêve à Gaza n’entraînerait pas nécessairement le calme dans la partie sud du Liban.
Les diplomates arabes et occidentaux ont signalé, de leur côté, qu’Israël a fait part de sa forte détermination à ne plus tolérer la présence des combattants du Hezbollah sur la frontière, craignant une incursion similaire à celle du Hamas, le 7 octobre, lorsque les hommes armés du groupe terroriste avaient tué 1 200 personnes, des civils en majorité, et qu’ils avaient kidnappé 253 personnes, prises en otage dans la bande de Gaza.
« S’il y a un cessez-le-feu à Gaza, il y a deux écoles de pensée en Israël et mon impression est que celle qui recommande de continuer la guerre à la frontière, avec le Hezbollah, est celle qui domine actuellement », commente Sima Shine, ancienne responsable des services de renseignement qui dirige actuellement le programme iranien à l’Institut d’études de sécurité nationale.
Un haut-responsable du Hamas a reconnu que l’Iran ne cherchait pas une guerre ouverte, notant la réponse apportée par la république islamique à l’offensive israélienne contre le Hamas, où Téhéran a fait preuve de retenue.
« Il semble qu’ils considèrent qu’ils font face à une menace militaire crédible. Mais cette menace pourrait devoir devenir encore plus crédible qu’elle ne l’est déjà », a dit l’officiel.
Washington, via Hochstein, et la France travaillent actuellement sur des propositions diplomatiques qui éloigneraient les terroristes du Hezbollah de la zone frontalière, conformément à la Résolution 1701 des Nations unies qui avait aidé à mettre un terme à la guerre de 2006 – mais un accord semble encore hors d’atteinte.
« Première ligne de défense »
Une guerre qui porterait gravement atteinte au Hezbollah, sur le territoire libanais, porterait un coup à l’Iran, qui compte sur ce groupe fondé avec son soutien 1982 pour être un rempart contre Israël et pour consolider ses intérêts dans la région plus largement, selon deux sources régionales.
« En fait, le Hezbollah est la première ligne de défense de l’Iran », déclare Abdulghani Al-Iryani, chercheur au sein du Centre d’études stratégiques de Saana, un think-tank du Yémen.
Si Israël devait lancer une action militaire majeure contre le Hezbollah, ont déclaré les sources proches du cercle du pouvoir en Iran, Téhéran pourrait être dans l’obligation d’intensifier la lutte à travers ses proxies.
Un responsable iranien de la sécurité reconnaît toutefois que le coût d’une telle escalade serait excessivement élevé pour les groupes alliés de la république islamique. Une implication directe de cette dernière, ajoute-t-il, pourrait bénéficier aux intérêts d’Israël et offrir une justification à la présence continue des troupes américaines dans la région.
Au vu des liens étroits tissés entre Téhéran et le Hezbollah, depuis des décennies, il serait difficile, voire impossible, de les éloigner l’un de l’autre, fait pour sa part remarquer un officiel américain.
Depuis le massacre qui a été commis par le Hamas en Israël, l’Iran a donné sa bénédiction aux actions lancées en soutien à son allié de Gaza, notamment aux attaques commises par les groupes irakiens contre les intérêts américains. La république islamique a aussi fourni des informations et des armes aux Houthis dans leurs frappes à l’encontre des bateaux commerciaux qui naviguent en mer Rouge.
Mais Téhéran a pris soin de ne pas mener une guerre sur de multiples fronts contre l’État juif – ce qu’espérait le Hamas en signe de soutien après le 7 octobre, ont confié trois sources palestiniennes.
Avant ses échanges à Beyrouth avec Nasrallah, Qaani avait présidé une rencontre de deux jours, début février, qui avait réuni en Iran les commandants des milices du Yémen, d’Irak et de Syrie ; trois représentants du Hezbollah et une délégation des Houthis, a indiqué un responsable iranien.
Le général Hossein Salami, commandant en chef du Corps des gardiens de la révolution islamique, était lui aussi présent, a ajouté l’officiel qui a précisé que le Hamas n’avait pas été représenté à cette occasion.
« Tous les participants ont finalement convenu du fait qu’Israël voulait un élargissement de la guerre et qu’il fallait éviter de tomber dans le piège, dans la mesure où cela justifierait la présence d’un plus grand nombre de soldats américains dans la région », a continué le responsable.
Peu de temps après, Qaani a finalement décidé d’une pause dans les attaques commises par les groupes irakiens. Jusqu’à présent, le Hezbollah a maintenu ses ripostes contre Israël dans les limites de ce que les observateurs appellent « les règles officieuses d’engagement » qui prévalent dans les hostilités opposant le groupe terroriste à l’État juif.
Malgré des décennies de conflit par proxies interposés depuis la révolution iranienne, en 1979, la république islamique n’a jamais directement combattu Israël dans le cadre d’un conflit ouvert et, selon les quatre sources iraniennes, elle ne souhaite guère que les choses changent.
Selon une source, le guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei, ne désire entraîner l’Iran dans un conflit – un pays où le mécontentement de la population face au régime, l’année dernière, avait entraîné des mouvements de protestation massifs.
« Les Iraniens sont pragmatiques et ils ont peur de l’expansion de la guerre », dit Iryani. « Si l’État d’Israël était seul, ils se battraient mais ils savent pertinemment que si la guerre s’élargit, alors les États-Unis y seront entraînés ».