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Nonna Mayer : Les Juifs en « première ligne » face aux attentats jihadistes

"Et quand ce ne sont pas les hommes, ce sont les cimetières," déplore le grand rabbin de France cinq ans après l'attentat à l'Hyper Cacher

Hommage aux victimes de la prise d'otages de l'HyperCacher de Vincennes, le 9 janvier 2019. (Crédit : FRANCOIS GUILLOT / AFP)
Hommage aux victimes de la prise d'otages de l'HyperCacher de Vincennes, le 9 janvier 2019. (Crédit : FRANCOIS GUILLOT / AFP)

La prise d’otages meurtrière dans le magasin Hyper Cacher en janvier 2015 a ravivé chez les Juifs français une « angoisse » des crimes antisémites renforcée par le sentiment d’être en « première ligne » face aux attentats terroristes jihadistes.

Il y a cinq ans, le 9 janvier, Amédy Coulibaly tuait quatre hommes de confession juive dans cette supérette de l’est parisien où il avait retenu en otage 29 personnes avant de périr dans l’assaut policier.

Jeudi, comme chaque année, une cérémonie rendra sobrement hommage à François-Michel Saada, Philippe Braham, Yohan Cohen, Yoav Hattab, les quatre victimes d’un attentat qui a rappelé ceux commis en 2012 par Mohammed Merah.

« L’Hyper Cacher, c’était la répétition de la tuerie de l’école juive de Toulouse et le sentiment, que partout, en permanence, on devenait une cible », confie à l’AFP le grand rabbin Haïm Korsia.

Les quatre victimes de l’Hyper Cacher, de gauche à droite : Yoav Hattab, Yohan Cohen, Francois-Michel Saada, Philippe Braham. (Crédit : autorisation)

En mars 2012, le jihadiste Mohammed Merah avait tué trois soldats avant d’abattre, dans l’école juive Ozar Hatorah de Toulouse, Jonathan Sandler, un professeur de religion, ses deux fils de 3 et 5 ans Aryeh et Gabriel, et Myriam Monsonego, une fillette de 8 ans – un traumatisme pour de nombreux Juifs qui avaient déploré l’absence totale de sursaut au sein de la société française.

Le grand rabbin de France, Haïm Korsia, lors de la commémoration du 11 février dans le jardin Ilan-Halimi (Crédit : Times of Israël Staff/Glenn Cloarec)

L’Hyper Cacher « a créé une sorte de perte d’innocence » et « une angoisse », « ravivée » par des faits plus récents, ajoute Haïm Korsia, citant le meurtre en 2017 de Sarah Halimi ou de Mireille Knoll en 2018.

« Et quand ce ne sont pas les hommes, ce sont les cimetières », déplore-t-il, faisant allusion à la profanation de plus de 100 tombes d’un cimetière alsacien en décembre – pour ne citer que ceux de décembre en France.

« Interrogation légitime »

« Il y a chez les Juifs de France une peur croissante, qui commence dans les années 2000 après la Seconde Intifada, quand se multiplient les attaques de synagogues, de lieux et de personnes identifiés comme juifs », analyse Nonna Mayer, directrice de recherche à Sciences Po/CNRS.

Ilan Halimi, enlevé et assassiné en 2006. (Crédit : autorisation de Stephanie Yin/JTA)

« Elle continue avec le meurtre d’Ilan Halimi (assassiné après avoir été torturé pendant trois semaines en 2006, ndlr) et se poursuit avec la montée du terrorisme au nom du jihad, dont relève l’attentat contre l’Hyper Cacher ».

« Cette montée du terrorisme jihadiste ne vise pas seulement les Juifs mais l’Occident. Mais les Juifs sont en première ligne car ils sont d’une certaine manière le symbole d’un Occident détesté », poursuit-elle.

Pour le président du Consistoire, Joël Mergui, « pendant des années, on n’osait pas parler d’un ‘antisémitisme islamiste radical’, on a commencé à le faire un peu après Toulouse et clairement après l’Hyper Cacher ».

Au sein de la première communauté juive d’Europe avec près de 500 000 personnes, « cela a généré une interrogation, légitime, sur son avenir », souligne-t-il.

Les portraits des sept victimes – Imad Ibn Ziaten, Abel Chennouf, Mohamed Legouad, Gabriel Sandler, Aryeh Sandler, Myriam Monsonégo et Jonathan Sandler – de Mohamed Merah pendant une cérémonie de commémoration organisée par le CRIF à Toulouse, le 19 mars 2014. (Crédit : Rémy Gabalda/AFP)

« L’Alyah (le départ vers Israël, ndlr) a connu des pics en 2014 et en 2015 », note-t-il, avec 8 000 départs enregistrés à chacune de ces deux années. Un chiffre retombé en 2016 et qui s’est établi à environ 2 600 en 2018, selon l’Agence juive. D’autres ont fait leur « Alyah interne », quittant certains quartiers pour des raisons de sécurité.

Pour Gad Weil, coprésident du mouvement libéral Judaïsme en mouvement, demeure en outre un sentiment d’incompréhension face à des décisions de justice qu’il estime « hors sol », déplorant notamment que le suspect du meurtre de Sarah Halimi ait été récemment déclaré pénalement irresponsable par la cour d’appel de Paris.

Paradoxalement, les enquêtes d’opinion récentes montrent que l’image des Juifs s’est « beaucoup améliorée » ces vingt dernières années dans l’opinion, selon Nonna Mayer. « C’est la minorité la mieux acceptée, et les attaques dont elle est l’objet sont massivement condamnées », estime-t-elle, alors que beaucoup de Juifs français reprochent aux citoyens non juifs français de ne pas se sentir concernés lorsqu’il s’agit de crimes antisémites, déplorant que les rassemblements contre l’antisémitisme ne réunissent que des citoyens juifs.

« Il y a aussi une vitalité de la communauté, qui prend son destin en main », estime Joël Mergui.

Joël Mergui, président du Consistoire, devant les députés français pour parler de l’abattage rituel et de la circoncision, à l’Assemblée nationale, le 23 juin 2016. (Crédit : capture d’écran YouTube)

Mais l’antisémitisme ordinaire, mesuré chaque année par le ministère de l’Intérieur a connu un regain en 2018 : après deux années de stagnation, les actes anti-juifs ont bondi de 74 % en 2018. Les chiffres pour 2019 ne sont pas meilleurs, selon les premières données du Conseil représentatif des institutions juives de France, qui espère que 2020 soit l' »année de la sécurité rétablie pour tous ».

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