Pays-Bas: La campagne d’un jeune Juif néerlandais amène son parti au Parlement
Faisant campagne sur les marchés et la plateforme de jeux vidéo Twitch, Itay Garmy avance la vision d'une Europe forte et unie et celle d'une nouvelle forme de politique
AMSTERDAM (JTA) — Quand il a eu dix-huit ans, Itay Garmy a fait un choix – pour le moins – peu conventionnel parmi les jeunes fraîchement diplômés de son grand lycée public d’Amsterdam : Il est parti en Israël avec le projet de rejoindre l’armée.
Garmy, dont les parents s’étaient rencontrés au sein de l’État juif, a alors intégré un programme préparatoire prémilitaire, dans le désert du Negev, nourrissant de fortes ambitions. « Je voulais devenir Premier ministre d’Israël », se souvient-il, amusé.
Mais il a rapidement déchanté devant la politique polarisée dans le pays et il est retourné aux Pays-Bas.
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« J’ai parlé à des gens d’extrême-gauche et à des gens d’extrême-droite et j’ai réalisé que la paix n’était pas faisable », a-t-il déclaré à l’hebdomadaire juif néerlandais NIW au début de l’année. « Les Pays-Bas me manquaient. Je ne me sentais pas à mon aise là-bas ».
Moins d’une décennie plus tard, Garmy vient d’arracher sa première victoire politique en Hollande : Un nouveau parti progressiste, Volt, a remporté trois sièges aux élections nationales de la semaine dernière. C’est Garmy qui était son chef de campagne.
Volt est un parti pan-européen qui compte des branches dans de nombreux pays et qui a été lancé en 2017 après le vote des Britanniques en faveur du Brexit. Son objectif : Empêcher d’autres ruptures de survenir au sein de l’Union européenne. La formation mobilise les jeunes électeurs pour qu’ils soutiennent la mise en place des « Etats-Unis d’Europe » et grâce à l’élection qui vient de se dérouler en Hollande, c’est la toute première fois que ses candidats gagnent des sièges au Parlement national.
Garmy ne représentera pas le parti au sein du Parlement. Il aurait fallu, pour cela, que Volt remporte au moins quatre fois plus de bulletins (une hypothèse à laquelle, en réalité, personne ne s’attendait) mais le jeune homme de 27 printemps est bien déterminé à continuer son travail de construction et l’élargissement du mouvement. Il explique avoir été attiré par les valeurs défendues par le parti parce qu’il est Juif néerlandais, une identité qu’il a revendiquée pendant toute la campagne, même face aux attaques lancées par les activistes anti-israéliens d’extrême-gauche.
« Après les horreurs de la Shoah, l’Union européenne a été établie pour promouvoir la politique transnationale », dit Garmy à la JTA. « Et pourtant, aujourd’hui, on constate bien que ce sont des politiques nationales qui dominent actuellement au sein de l’Union européenne. Nos politiques doivent absolument changer pour devenir véritablement transnationales comme c’était de prime abord l’intention de la fondation de l’UE. L’Europe a toutes les solutions nécessaires pour relever tous les défis qui se présentent à nous ».
Le vote néerlandais – au cours du duquel le Parti populaire pour la liberté et la démocratie du Premier ministre Mark Rutte, au centre-droit, a une nouvelle fois émergé comme étant le plus important et qui prendra probablement la tête du pays au cours des quatre prochaines années – a été largement considéré comme un référendum sur la prise en charge, aux Pays-Bas, de la pandémie de COVID-19. De son côté, Garmy conserve aujourd’hui la rhétorique employée pendant toute sa campagne en appelant à prêter attention aux écarts générationnels, distinguant ainsi Volt de presque toutes les autres formations.
« Pendant la COVID-19, on a demandé aux jeunes de montrer leur solidarité avec les personnes âgées plus vulnérables face au virus », note Garmy. « Mais il n’y a pas eu de réciproque de la part des aînés. Le climat, qui est particulièrement crucial pour la jeune génération, a été marginalisé dans les programmes des autres partis, avec leur électorat plus âgé ».
La campagne de Volt s’est concentrée sur la nécessité de sensibiliser et de parler aux jeunes électeurs là où ils se trouvent, une tâche rendue plus difficile par la pandémie de coronavirus qui a entraîné des couvre-feux nocturnes dans le pays. Pendant les week-ends, les équipes de Volt se sont mobilisées sur les marchés alimentaires, l’un des quelques environnements commerciaux à être restés ouverts, et Garmy a même fait une apparition sur Twitch, une plateforme de jeu en streaming, pour y interpeller les électeurs néerlandais.
Les critiques à l’égard du parti se sont multipliées proportionnellement à la visibilité croissante de Volt au cours de la campagne. La droite a dénoncé le fait que l’ONG Open Society, lancée par George Soros, philanthrope juif libéral qui a apporté son soutien à des causes pan-européennes, avait donné 25 000 dollars pour soutenir la fondation de la formation. De leur côté, les activistes d’extrême-gauche se sont saisis du lien unissant Garmy à Israël, l’accusant de « militantisme sioniste » et d’être un « pantin israélien ».
Garmy déclare que les attaques à son encontre qui ont été lancées sur Twitter « symbolisent exactement la même politique à l’ancienne et les mêmes dogmes irréfléchis caractéristiques du combat dépassé de la droite contre la gauche » qui l’avaient initialement décidé à rejoindre Volt. Il a répondu à ses agresseurs en soulignant son identité et en écrivant un post publié sur un blog du site de Volt où il s’est dépeint comme étant un « jeune, Juif, israélien, laïc, engagé dans la politique et néerlandais ». Sur Twitter, il a déploré de devoir « être attaqué en raison de la combinaison de mes identités ».
Une réponse qui reflète l’approche non-interventionniste de Volt face au conflit israélo-palestinien, que de nombreux autres partis progressistes placent au cœur de leurs programmes de politique étrangère.
« C’est tellement éloigné des raisons qui ont entraîné la formation de Volt qu’avoir cette discussion aujourd’hui n’est pas pertinent », estime-t-il.
Toutefois, Garmy est personnellement critique d’un grand nombre des politiques mises en œuvre par le Premier ministre Benjamin Netanyahu et la formation Volt en elle-même dit soutenir une solution à deux États. Mais elle « prend bien garde à ne pas se jeter, la tête la première, dans un débat où finalement très peu d’entre nous n’ont ne serait-ce qu’un semblant de lien avec Israël ou avec la Palestine », commente de son côté Joel Boehme, un Suédois qui siège au bureau international du parti.
Cette leçon a été tirée du Labour au Royaume-Uni, ajoute Boehme – qui note que si la formation Travailliste britannique s’est d’abord impliquée dans le conflit avec un « désir authentique de justice sociale, elle s’est ensuite abîmée dans l’antisémitisme à une rapidité terrifiante ». Boehme n’est pas juif.
Avant de rejoindre Volt, Garmy, qui a fait des études de psychologie politique et qui a été consultant en cybersécurité, soutenait le parti Travailliste néerlandais, le foyer politique d’un grand nombre de membres de la communauté juive des Pays-Bas.
« Mais le parti Travailliste n’a cessé de me décevoir, en définitive », s’exclame-t-il. « Il fait de la politique à l’ancienne. Je pense que nous devons repenser la manière dont nous faisons de la politique de façon plus large, pour une nouvelle génération ».
Garmy a l’habitude de sortir des sentiers battus. Quand il était adolescent, il a quitté le lycée juif Maimonides d’Amsterdam, où étaient inscrits ses amis, quelques mois après y être entré.
« J’avais le sentiment très fort d’être enfermé dans une bulle juive », explique-t-il. « J’ai quitté un établissement où il y avait cent élèves pour rejoindre un lycée-usine avec 2 000 élèves qui, tous, provenaient de milieux différents ».
La famille de Garmy vit aux Pays-Bas depuis des décennies. Son père, Juif séfarade d’origine yéménite qui est né en Israël, et sa mère, une Juive ashkénaze née au Brésil, se sont rencontrés en Israël, où sa mère s’était installée. Même après avoir quitté son école juive, Garmy, qui a un frère et une sœur, est resté un responsable actif au sein de la communauté, devenant le président du mouvement de jeunes Habonim aux Pays-Bas et le représentant des jeunes au sein de l’Organisation juive centrale des Pays-Bas.
En tant qu’activiste politique, Gamry a opté pour certains positionnements quelque peu contradictoires avec les intérêts de la communauté juive hollandaise. Il veut mettre un terme au financement public des écoles religieuses, comme celles qu’il a lui-même fréquentées. Il est également opposé à la décision prise par le gouvernement de désigner un rapporteur spécial dans la lutte contre l’antisémitisme, estimant que cette haine ne doit pas bénéficier d’une attention spéciale par rapport aux autres.
« Je comprends que nous, les Juifs, en raison de notre histoire, nous ayons un point de vue sur l’antisémitisme différent de celui que nous avons sur les discriminations plus généralement, mais cela ne justifie par pour autant une approche distincte. Que se passerait-il si tous les autres groupes minoritaires obtenaient leur propre coordinateur anti-discrimination ? », a ainsi écrit Garmy dans une chronique pour NIW.
« Je n’ai pas le sentiment qu’Itay ou Volt, qui est essentiellement un parti progressiste de gauche qui met l’accent sur l’Union européenne, représente les intérêts de la communauté juive ou d’Israël de manière significative », déclare Esther Voet, rédactrice en chef de NIW. « Mais nous devrons attendre d’en savoir davantage parce qu’aujourd’hui, ce parti vient tout juste de faire son apparition. »
Garmy et Volt laissent sceptiques certains progressistes, notamment des Juifs néerlandais eux aussi politiquement engagés.
« En tant que Juif hollandais, cela me fait peur de placer beaucoup de pouvoir dans un gouvernement central, même s’il est démocratiquement élu, et en particulier s’il est moins démocratiquement élu comme l’Europe, telle qu’elle est construite, a tendance à l’être », dit Nathan Bouscher, activiste politique qui était candidat, cette semaine, du parti Libertaire, une formation progressiste eurosceptique. Les Libertaires n’ont obtenu aucun siège.
L’enthousiasme et l’idéalisme de Garmy sont contagieux et « ils me rappellent ce que j’étais », continue Bouscher. « Mais il y a une raison à la baisse de popularité de l’Union européenne. Au lieu de réfléchir à de vraies solutions, Volt double la mise pour nous offrir à peu près la même chose qu’auparavant ».
Garmy est parfaitement conscient des défis à relever pour l’Union européenne – avec, parmi eux, « la bureaucratie non-nécessaire et les problèmes de représentation démocratique » (le bloc, dont les politiques sont très largement déterminées par des bureaucrates et des discussions internes, est critiqué depuis sa fondation pour ce qui est perçu comme un manque de démocratie). Mais Garmy a la certitude que toutes les difficultés connues par l’UE peuvent être résolues sans qu’il soit nécessaire d’abandonner pour autant totalement le projet européen.
Et les électeurs ont paru très largement soutenir cette opinion en donnant au Parti populaire pour la liberté et la démocratie la majorité des sièges, ce qui permet à Rutte d’entamer aujourd’hui son quatrième mandat. La formation, au cours de sa campagne, n’avait pas hésité par ailleurs à dénoncer certaines politiques mises en œuvre au sein de l’Union européenne.
De son côté, le parti pour la Liberté, favorable à un plan de sortie de l’UE dans le sillage des Britanniques, a perdu des sièges et il est dorénavant la troisième formation la plus importante du pays. C’est le parti progressiste de gauche D66, proche idéologiquement de Volt, qui a terminé deuxième. Ce qui est de bon augure pour Volt qui pourrait trouver réellement sa place au sein du Parlement hollandais, qui est connu sous le nom de Tweede Kamer.
« Nous voulons réformer l’Union européenne qui a de nombreux problèmes en termes de bureaucratie et de représentativité », dit Garmy. « C’est la seule manière de sauver l’Europe dont nous avons hérité de la génération précédente. »
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