Pays-Bas: Le mémorial des « Noms » de la Shoah met enfin l’accent sur les victimes
Réalisant un projet vieux de 70 ans, la structure d'Amsterdam est l'une des plus grandes d'Europe à honorer les victimes juives, avec une brique pour chacun des 100 000 morts
AMSTERDAM – Peu après la fin de la Seconde Guerre mondiale, un artiste néerlandais nommé Jaap Kaas a été invité par les dirigeants des Juifs survivants du pays à concevoir un monument.
Les trois quarts de la population juive des Pays-Bas ont été assassinés dans les camps de la mort nazis, et Kaas – qui est juif lui-même – considérait que cet édifice devait commémorer par leur nom les 100 000 Juifs néerlandais qui ne sont pas revenus.
Malheureusement pour le sculpteur et graphiste Kaas, son concept de « noms » a été rejeté par le comité pour son caractère « provocateur plutôt que reconnaissant ».
Pour eux, la situation des survivants juifs néerlandais était précaire. Certains d’entre eux avaient déjà fui les Pays-Bas, largement indifférents à leur sort d’après-guerre, et ceux qui restaient étaient incapables de faire renaître les institutions communautaires nécessaires à la vie juive.
Soixante-dix ans après que le comité du monument juif eut rejeté la proposition de Kaas, son idée sera mise en œuvre au milieu de l’ancien quartier juif d’Amsterdam. Là, la structure remplacera le dénommé Monument de la Gratitude juive érigé par la communauté juive en 1950.
Si tout se déroule comme prévu, le Holocaust Namenmonument, ou Monument des noms, conçu par Daniel Libeskind, sera ouvert au public durant l’été 2021. Sur un terrain de la taille d’un terrain de basket-ball, la structure sera l’un des plus grands monuments commémoratifs de la Shoah en Europe, qui portera les noms des victimes.
Pendant près d’une décennie, le Comité Auschwitz des Pays-Bas s’est efforcé de trouver un foyer pour son monument. Lorsque l’emplacement du parc Wertheim à proximité a été jugé approprié, les voisins ont exercé des pressions intenses pour empêcher la mise en œuvre du projet. Il y a eu des douzaines d’audiences juridiques, de pétitions, de commissions et d’autres obstacles en cours de route.
Le site actuellement déblayé pour la construction se trouve le long d’une route principale – la Weesperstraat – en face de l’Ermitage, précisément là où les Juifs habitaient en grand nombre avant la guerre. Au coin de la rue se trouve la majestueuse synagogue portugaise, devant laquelle des centaines d’hommes juifs ont été arrêtés et envoyés à la mort en 1941 après les premières rafles menées par les Nazis contre la communauté.
Vu du ciel, les 102 000 briques du monument à venir – chacune avec le nom d’une victime – formeront des lettres hébraïques géantes signifiant « Souvenez-vous ». Les visiteurs se promèneront dans un labyrinthe en pente qui sera éclairé de façon spectaculaire la nuit.
Alors que les travaux de terrassement ont été entamés ces dernières semaines, le Monument de la Gratitude juive en décrépitude continue à se trouver au milieu du chantier de construction, dans un état de précarité. Bientôt, il sera enlevé et placé dans la rue où il a été installé pour la première fois en 1950, avant d’être déplacé pour faire place à un métro.
Selon Fedde Schouten, porte-parole du Comité Auschwitz des Pays-Bas, une palplanche métallique sera bientôt installée sur place après le retrait des câbles et tuyaux pour le gaz et l’électricité. Cette mesure est une préparation en vue d’aplanir le terrain, ce qui devrait être fait d’ici mars, a-t-il dit au Times of Israel.
« Ce n’est pas un simple monument ».
De retour aux Pays-Bas après la guerre, les survivants juifs néerlandais ont souvent été accueillis avec suspicion et hostilité. Par exemple, de nombreux parents n’ont pas été en mesure de récupérer les enfants qu’ils avaient placés dans la clandestinité, et il y avait des discriminations lorsqu’il s’agissait de trouver un logement et un emploi.
C’est dans ce contexte que les dirigeants communaux juifs ont créé leur édifice glorifiant les Hollandais. C’était une époque où tout le monde dans le pays avait du mal à se nourrir et à réparer les dégâts causés par l’occupation allemande pendant une demi-décennie. De toute évidence, les Juifs n’étaient pas un cas particulier parmi les victimes.
Dans son texte principal, le monument de la Gratitude en pierre calcaire blanche rend hommage au peuple néerlandais pour avoir « protégé les Juifs au péril de leur vie », ajoutant que les Juifs néerlandais ont été « encouragés par votre résistance ». Aucune mention n’a été faite des 100 000 victimes assassinées – la plus grande proportion d’une population juive tuée dans un pays d’Europe occidentale.
Il n’est pas difficile de comparer le Monument de la Gratitude juive avec le prochain Holocaust Namenmonument du Comité Auschwitz des Pays-Bas, d’après Schouten, qui fait partie de ce Comité.
« La différence est flagrante entre les deux monuments, dit Schouten. « L’approche du Monument de la Gratitude a été largement perçue comme un embellissement de ce qui s’est réellement passé [en termes de résistance hollandaise pendant la Shoah] », a dit le porte-parole.
« Le Monument de la Gratitude n’a plus qu’une valeur historique et est un exemple de la façon dont les gens de l’époque pensaient à ce qui s’était passé. C’était une période où l’on n’avait pas le droit de critiquer les choses comme nous le faisons aujourd’hui », a déclaré M. Schouten, dont le groupe doit encore recueillir 1,7 million d’euros pour le projet.
« Le Monument des Noms », a déclaré Schouten, « servira à rappeler aux générations actuelles et futures les dangers du racisme et de la discrimination. Et, dans un sens, ce n’est pas un simple monument. C’est une déclaration ferme et forte. »