Pourquoi Israël affirme ne pas s’inquiéter de l’accord d’armement arabo-américain
Une vente d'armes sans précédent d'un montant de 110 milliards de dollars a traversé le processus d'approbation en un temps record alors que le président Trump tente de montrer à Ryad qu'il est l'homme qu'il fallait au pays
Judah Ari Gross est le correspondant du Times of Israël pour les sujets religieux et les affaires de la Diaspora.
A l’occasion de son premier voyage à l’étranger, le président américain Donald Trump a signé samedi un accord d’armement d’un montant d’approximativement 110 milliards de dollars avec l’Arabie saoudite qui, selon la Maison Blanche, est le plus important jamais conclu dans l’histoire américaine.
La portée totale de l’accord est encore quelque peu difficile à déterminer, ses spécificités devant être encore rendues publiques. Néanmoins, le département d’état américain a expliqué qu’il comprendrait des systèmes de défense aérienne avancée, des navires, des hélicoptères, des avions de collecte de renseignement, des tanks, de l’artillerie et des systèmes de cybersécurité.
« Ce package d’équipements de défense et de services soutient la sécurité à long-terme de l’Arabie saoudite et de la région du Golfe face aux menaces iraniennes », a expliqué un responsable de la Maison Blanche.
Il permettra également de soutenir la « capacité [du royaume] à contribuer aux opérations de l’anti-terrorisme dans toute la région, en réduisant le fardeau qui pèse sur les épaules des militaires américains qui mènent ces opérations », a-t-il ajouté.
Au-delà du type général d’armes et de systèmes qui vont être vendus, un grand nombre des spécificités sur l’accord doivent encore être révélées. Mais un large afflux de technologie militaire avancée dans la région devrait être une source d’inquiétude majeure pour Israël (et donc pour les Etats-Unis), qui doit préserver son « avantage qualitatif militaire » – son avantage militaire sur les pays du Moyen-Orient qui entourent l’état juif – comme l’exige la loi américaine.
Et pourtant, parmi la majorité des responsables israéliens, la préoccupation ne semble pas être d’actualité, sans parler de leur extrême variété.
Il y a bien eu quelques grommellements de mécontentement parmi les législateurs israéliens, même s’ils ont eu relativement peu d’effet.
C’est le ministre de l’Energie issu du Likud Yuval Steinitz qui a tenu les critiques les plus virulentes, notant dimanche que « l’Arabie saoudite est un pays hostile » et que l’accord de ventes d’armes « pourrait véritablement venir perturber nos propres capacités ».
Le ministre Ayoub Kara a indiqué dans une déclaration que malgré les liens qui s’améliorent entre Israël et les états musulmans sunnites comme l’Arabie saoudite, il y a « encore un risque qui pèse sur la supériorité militaire israélienne ».
Kara a ajouté qu’il évoquerait le sujet avec le Premier ministre Benjamin Netanyahu lors de futures réunions ministérielles.
Steinitz, ainsi que le ministre chargé des Renseignements Yisrael Katz et le législateur du Likud Avi Dichter ont également souligné la nécessité de maintenir « l’avantage qualitatif militaire » de l’état juif.
Mais Katz, qui est membre du cabinet sécuritaire, a tu son anxiété sur la question de la préservation de l’avantage militaire qualitatif en saluant la visite de Trump dans la région qui, selon lui, « présente une opportunité de faire avancer les coopérations sécuritaire et économique régionales, fondation de la paix régionale ».
Conserver l’avantage
La nécessité de préserver « l’avantage militaire qualitatif » (en anglais QME,) signifie généralement que ce type de conventions de ventes d’armement nécessite des mois de préparation. Israël doit s’assurer qu’il a encore l’avantage, malgré l’accord, ou les Etats-Unis devront fournir Israël à des équipements militaires pour lui redonner cette supériorité.
Le Pentagone s’entretient en premier lieu avec le ministère de la Défense israélien. Les résultats de ces négociations sont alors présentés au Congrès américain pour un nouveau round d’approbations, pendant lequel Israël peut encore demander des changements.
Il y a un degré de « marchandage » dans ces négociations, selon Joshua Teitelbaum, professeur d’histoire moderne moyen-orientale du département d’études sur le Moyen-Orient à l’université Bar Ilan.
Dans le passé, Israël a donc eu peu de raisons de déplorer des accords massifs de vente d’armement avec l’Arabie saoudite ou d’autres pays du Golfe. Si Jérusalem avait eu un problème avec un aspect de l’accord, il l’aurait déjà fait savoir, a dit Teitelbaum.
Malgré tout, dans ce dossier précis, la manière dont les négociations qui ont abouti à l’accord de samedi ont été menées et le moment choisi pour sa conclusion restent incertains.
Avant cet accord, la plus grande vente d’armes réalisée par les Etats-Unis en direction de l’Arabie saoudite avait été signée en 2010 pour une valeur d’approximativement 60 milliards de dollars.
L’accord a pris une bonne année à se conclure, selon une source familière du sujet qui s’est exprimée sous couvert d’anonymat.
L’accord signé samedi, qui représente presque le double de celui de 2010, a été conclu en moitié moins de temps, Trump n’ayant pris ses fonctions qu’il y a quelques mois.
De plus, un grand nombre de postes au sein du Pentagone nécessaires pour conduire les négociations avec Israël n’ont pas encore été pourvus par l’administration Trump.
Du côté israélien, Amos Gilad, ancien chef du Bureau des Affaires politiques – militaires au sein du ministère de la Défense, qui était en charge des négociations pour l’accord de 2010, a quitté son poste peu de temps avant que Trump ne prenne ses fonctions à la Maison Blanche, laissant derrière lui un nouvel arrivé relatif : Zohar Palti, ancien du Mossad.
Le ministère de la Défense n’a pas répondu à la requête de commentaires sur les éventuelles inquiétudes que susciterait chez lui l’accord passé entre les Etats-Unis et l’Arabie saoudite.
Gilad, pour sa part, a offert une explication simple lors d’un entretien téléphonique accordé au Times of Israël : « Avec Trump, tout va vite. Je n’ai aucune réponse au-delà de celle-ci ». (Gilad a indiqué qu’il ne pouvait pas dire s’il avait joué un rôle dans les discussions portant sur l’accord actuel conclu entre les deux pays).
Cet accord ne fait pas de mal, il peut peut-être même aider
Malgré le temps record – en plus du volume record – qui définissent la réalisation de l’accord de samedi, outre les préoccupations limitées de Steinitz et Kara, il y a eu peu de contestation exprimée contre la vente d’armes. La majorité l’a plutôt qualifiée de « bénigne » ou « potentiellement bénéfique ».
« Comment cela pourrait-il faire du mal ? Maintenant, il y a une alliance entre les Etats-Unis et le monde arabe contre l’Iran », a estimé Gilad.
Les pays qui reçoivent des armes des Etats-Unis ne sont pas « ceux qui nuisent à notre sécurité », a-t-il ajouté.
Selon Yaakov Amidror, ancien conseiller à la sécurité nationale auprès du Premier ministre, Israël n’a aucune raison de s’inquiéter de l’accord de vente d’armement massif américano-saoudien, il a affirmé que l’approvisionnement par Washington de systèmes d’armes avancées à Ryad n’est pas une nouveauté.
Gilad a également souligné un accord datant de 2011 conclu par l’admistration Obama qui avait donné aux Saoudiens « 154 avions, ce qui est bien plus dangereux ».
De plus, a dit Amidror, ce dernier accord d’armement pourrait aider à ouvrir la voie à une coopération israélo-arabe à l’avenir.
« Cela ne change pas l’équilibre du pouvoir au Moyen-Orient », a expliqué Amidror. « L’administration américaine est très inquiète de conserver l’avantage qualitatif militaire israélien. C’était le cas pour les administrations précédentes et je suis sûr que c’est aussi le cas pour l’administration actuelle ».
Il a souligné l’exemple de l’avion de chasse F-35, dont cinq exemplaires ont déjà atterri en Israël – et pas n’importe où ailleurs. « Cela fait partie des efforts livrés par l’administration américaine pour préserver l’avantage militaire qualitatif de l’état juif et même pour l’améliorer », a indiqué Amidror lors d’un appel téléphonique organisé à l’intention des journalistes par Media Central.
L’un des aspects les plus notables de l’accord – au-delà de sa portée – est que les Saoudiens seront bientôt les fiers propriétaires du système anti-missile balistique THAAD (Terminal High Altitude Area Defense) américain.
Le THAAD est considéré comme étant à la pointe de la défense aérienne, avec des intercepteurs capables d’abattre des missiles à petite et moyenne portée et un système de radars s’étendant sur approximativement 1000 kilomètres, et qui, depuis le nord de l’Arabie saoudite, pourrait facilement couvrir tout Israël.
C’est le même type de batterie que les Etats-Unis ont récemment déployé en Corée du Sud pour aider le pays à se défendre contre Pyongyang, toujours plus agressif. Sa gamme impressionnante de radars est probablement la raison pour laquelle les Chinois se sont montrés vexés d’en voir soudainement apparaître un à leur porte.
Teitelbaum, qui est également chercheur au centre Begin-Sadat d’études stratégiques, a affirmé que le THAAD pouvait non seulement être envisagé comme n’étant pas une menace pour Israël mais qu’il pouvait être considéré comme un avantage potentiel pour l’état juif.
Primo, les intercepteurs du système ne transportent pas d’ogive explosive. Ils font tomber les missiles par la seule force de leur impact, et il y a donc peu de chance qu’ils soient utilisés de manière agressive.
La batterie de défense anti-missiles ne serait probablement pas en mesure d’intercepter un missile balistique dirigé vers Israël depuis, disons, l’Iran, car elle a été créée pour les abattre alors qu’ils atteignent leur cible, pas lorsqu’ils sont encore en cours de voyage. Toutefois, le système de radars avancé pourrait prévenir Israël en amont d’une attaque, a noté Teitelbaum .
Plus proche de l’Amérique, plus proche d’Israël
Au cours des mandats de l’ancien président américain Barack Obama, les Etats-Unis avaient également signé des contrats de vente d’armement à hauteur de « milliards et milliards de dollars » aux Saoudiens, mais, selon Ryad, le président s’intéressait à réchauffer les relations avec les Iraniens.
Selon Teitelbaum, l’ampleur et la qualité de l’accord signé par Trump ont pour objectif de lancer un message : « Un nouveau shérif est arrivé ».
Ce contrat d’armement est un signe de « réhabilitation », a-t-il déclaré.
Pour les Saoudiens, Obama semblait tenter de créer un équilibre entre Ryad et Téhéran. Ce n’est pas le cas de Trump, selon Teitelbaum.
Le discours prononcé dimanche par Trump, dans lequel il a vivement critiqué l’Iran et fait l’éloge de l’Arabie saoudite, est un aspect supplémentaire de ce message affirmant que la période de rapprochement avec les Chiites est terminée.
De plus, ce type d’accord n’est pas une transaction rapide, a estimé Teitelbaum.
« Ce n’est pas simplement la remise d’un avion par les Etats-Unis. C’est de la formation, c’est des pièces, c’est de la maintenance. Ca cimente la relation pour les décennies à venir », a-t-il estimé.
En plus de cet achat exceptionnel des Saoudiens aux Américains, le royaume a également acquis la plus grande raffinerie de pétrole des Etats-Unis au début du mois, a ajouté Teitelbaum.
Le professeur de l’université de Bar Ilan a noté également le message politique envoyé à l’Arabie Saoudite, centré autour d’une famille, par la décision présidentielle de déléguer la gestion de l’accord à son gendre Jared Kushner avec le fils du roi Salmane et le ministre de la Défense Mohammed bin Salman.
Les Saoudiens ont signalé qu’ils « laissent le mauvais sang de l’administration Obama derrière eux », a dit Teitelbaum.
Amidror a expliqué que renforcer les moyens militaires de l’Arabie saoudite face à l’Iran, ennemi commun avec Israël, pourrait augmenter la « confiance en soi » des Saoudiens et leur empressement à élargir leur engagement aux côtés de l’état juif dans une alliance anti-iranienne.
« Qui sait ? Peut-être cela mènera-t-il à une relation différente au Moyen-Orient ».
Raphael Ahren a contribué à ce reportage.