Quel impact sur l’activité de l’UNRWA des nouvelles lois israéliennes ?
Ces lois ne l'empêchent pas de travailler à Gaza ou en Cisjordanie, mais rendent son travail quasi-impossible, ce qui pourrait avoir des conséquences graves sur les Palestiniens et Israël
La Knesset a adopté lundi une loi visant à encadrer strictement les opérations de l’agence d’aide controversée palestinienne de l’UNRWA en Israël, en Cisjordanie et dans la bande de Gaza.
Mais ces nouvelles dispositions restent générales, et un peu vagues, avec des conséquences juridiques pour les activités de l’agence qui ne sont pas tout à fait claires.
Elles pourraient en outre avoir un autre type de conséquence, relatif au respect par Israël de ses obligations nées du droit international et de son engagement envers les États-Unis pour faire en sorte que les civils palestiniens de Gaza ne meurent pas de faim.
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La Knesset a adopté ces lois sur la foi d’allégations israéliennes selon lesquelles l’UNRWA aurait été infiltrée par le Hamas, certains de ses employés ayant semble-t-il pris directement part aux atrocités du 7 octobre ou contribué à les rendre possibles, sans oublier les accusations selon lesquelles un grand nombre de ses employés à Gaza seraient membres d’organisations terroristes ou encore que l’agence aurait permis au Hamas de détourner de l’aide humanitaire au profit de ses hommes armés et se serait servi de l’organisation comme d’une couverture pour ses activités terroristes.
L’UNRWA elle-même a reconnu en août que neuf de ses employés « pourraient avoir été impliqués » dans les attaques du 7 octobre, avant de les licencier. Elle a par ailleurs confirmé la semaine dernière que Muhammad Abu Attawi, commandant de la force Nukhba du Hamas tué par l’armée israélienne à Gaza, présenté comme ayant lui-même assassiné des civils lors de l’attaque d’un abri anti près de Reim le 7 octobre, était l’un de ses employés.
L’UNRWA nie catégoriquement le fait qu’un grand nombre de ses employés soient membres d’organisations terroristes.
Les dispositions législatives
La loi, approuvée à la Knesset à une très large majorité, a été adoptée en deux parties.
La première partie interdit à l’UNRWA d’intervenir en territoire israélien souverain, ce qui, aux yeux de la loi israélienne, inclut Jérusalem-Est et a un impact sur les activités de l’UNRWA dans le camp de réfugiés de Shuafat, à Jérusalem-Est, pour laquelle l’agence assure le ramassage des poubelles, se charge de l’assainissement, gère trois écoles ainsi qu’un établissement de santé et fournit des prestations sociales.
Tout ceci prendra en effet fin lorsque la loi entrera en vigueur, c’est-à-dira dans trois mois. La loi ne dit pas qui prendra en charge ces services.
Les bureaux de l’UNRWA du quartier de Maalot Dafna, à Jérusalem, étaient déjà en cours de fermeture forcée avant même l’adoption de cette loi.
La deuxième partie de la loi est celle qui introduit la plus grande incertitude juridique concernant les activités de l’UNRWA.
Sa première disposition, qui est entrée immédiatement en vigueur, a pour effet de revenir sur l’échange de lettres de 1967 entre Israël et l’UNRWA en vertu duquel Israël avait donné à l’agence l’autorisation d’intervenir à Gaza et en Cisjordanie, territoires repris à l’Égypte et à la Jordanie au cours de la guerre des Six Jours.
La deuxième clause interdit à toute agence publique israélienne d’avoir le moindre contact avec l’UNRWA ou les personnels de l’organisation.
Dans la lettre adressée par Israël à l’UNRWA [en 1967], Jérusalem s’engageait à « permettre la libre circulation des véhicules de l’UNRWA à l’intérieur et à l’extérieur d’Israël et des zones en question », garantir la protection des personnels, installations et biens de l’UNRWA, leur fournir les papiers nécessaires à leurs activités et leur permettre de se déplacer dans ces territoires.
L’annulation de ces arrangements aura de graves conséquences sur les activités de l’UNRWA en Cisjordanie et peut-être, quoique dans une moindre mesure, à Gaza.
La différence entre les deux territoires réside dans le fait qu’Israël affirme ne pas occuper Gaza. C’était le cas avant le 7 octobre et les autorités israéliennes tiennent toujours cette ligne devant la Cour Suprême.
En Cisjordanie, Israël convient que son contrôle du territoire est ce que l’on qualifie légalement d’occupation belligérante en vertu de laquelle le commandant militaire – dans ce cas, le chef du commandement central de Tsahal – est le dirigeant de facto , en charge des affaires civiles.
Bien que le nouveau corpus législatif n’interdise pas explicitement à l’UNRWA d’intervenir à Gaza et en Cisjordanie, il la prive néanmoins de l’engagement d’Israël à faciliter son travail.
Par ailleurs, il fait des personnels de droit local de l’organisation des Palestiniens comme les autres [NDLT : sans statut spécial], ce qui ne va pas manquer de les handicaper dans leur travail quotidien. Ses personnels de droit international pourraient avoir des difficultés pour se faire délivrer les visas et autres documents requis pour travailler sur place.
Par ailleurs, la question de l’aide humanitaire à Gaza sera grandement compliquée par ces nouvelles dispositions.
Les autorités israéliennes, à commencer par l’armée israélienne et l’unité du Coordonnateur des affaires civiles dans les territoires (COGAT) du ministère de la Défense, chargée, entre autres, de coordonner l’entrée de l’aide humanitaire à Gaza, se verront interdire tout contact avec les responsables de l’UNRWA.
L’UNRWA est pourtant l’une des agences les plus importantes en matière de distribution de l’aide humanitaire à la population de Gaza lors de ce conflit : c’est elle qui prend en charge l’aide depuis les points de passage frontaliers de Gaza et organise leur distribution à la population palestinienne à l’intérieur du territoire.
Avec ces nouvelles dispositions, il sera impossible que l’UNRWA et le COGAT se coordonnent en vue de la collecte de l’aide aux points de passage et il en sera de même pour la coordination entre l’UNRWA et Tsahal pour ce qui concerne l’acheminement de l’aide à l’intérieur de Gaza.
Si l’UNRWA se trouve dans l’incapacité de coordonner ses mouvements, ses personnels risquent d’être pris pour cibles par Tsahal lors de leurs déplacements à Gaza, ce qui rendra ces activités bien trop dangereuses.
Sur le plan technique, l’UNRWA et en particulier ses personnels de droit local pourraient en théorie assurer les autres services que l’agence fournit habituellement à Gaza, tels que les soins de santé ou l’éducation, dans la mesure où Israël ne les a pas interdites.
À l’instar de la Cisjordanie, il semble que les ressortissants étrangers travaillant pour l’UNRWA ne pourront pas obtenir leur visa ou autres documents requis pour entrer à Gaza.
A tout le moins, il serait possible à l’UNRWA de faire entrer à Gaza à la fois de l’aide humanitaire et des personnels étrangers si le passage frontalier de Rafah, entre l’Égypte et Gaza, était ouvert. Mais l’Égypte l’a fermé après qu’Israël a pris le contrôle de Rafah lors d’une opération commencée en mai dernier.
Obligations juridiques internationales
Les conséquences juridiques de ces nouvelles dispositions israéliennes contre l’UNRWA pourraient ne pas se limiter aux activités de l’agence mais pourraient bien affecter sa responsabilité au regard du droit international de veiller à ce que les Palestiniens de Gaza ne meurent pas de faim.
La quatrième Convention de Genève – dont Israël est signataire – et ses protocoles additionnels – qu’Israël n’a pas signés – sont interprétés comme exigeant que l’aide humanitaire soit apportée aux populations civiles en temps de guerre, avec toutefois des exceptions.
Par ailleurs, le droit international proscrit l’emploi de la famine comme arme de guerre et la Convention sur le génocide qu’Israël a également signée interdit à un pays de créer délibérément les conditions propices à l’anéantissement un groupe de personnes.
Selon le professeur Yuval Shany, de la faculté de droit de l’Université hébraïque, l’UNRWA va malgré tout continuer d’apporter de l’aide humanitaire à la population civile de Gaza, confrontée à de graves privations et difficultés depuis le début du conflit.
« Si vous avez l’obligation de répondre aux besoins de la population locale mais que vous déniez à l’organisation chargée de le faire la capacité de le faire, alors vous vous préparez à ne plus respecter vos obligations », explique Shany.
Il ajoute que le gouvernement n’a pas proposé d’alternative à l’UNRWA – organisation dont il dit ne pas être « fan » – et que le délai imparti par la loi – 90 jours -, alors que les combats font toujours rage, « ne semblait pas très réaliste ».
Les propos de Shany ont été repris par de hautes autorités de l’ONU, à commencer par le chef de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), le secrétaire général de l’ONU et le chef de l’UNRWA.
Le directeur général de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, a dit de l’UNRWA qu’elle était « l’indispensable bouée de sauvetage du peuple palestinien » et que la nouvelle loi « interdisant à l’UNRWA de sauver des vies et de protéger la santé [des populations] » aurait des « conséquences dévastatrices ».
Il a ajouté : « Cela contrevient aux obligations et responsabilités d’Israël et menace la vie et la santé de tous ceux qui dépendent de l’UNRWA. »
L’organisation Adalah, qui fournit une aide juridique aux arabes d’Israël et aux Palestiniens sous contrôle israélien, parle elle de la culpabilité d’Israël en cas de conséquences humanitaires catastrophiques pour les civils palestiniens à Gaza.
Cette loi, explique Adalah dans une déclaration à la presse, « enfreint plusieurs obligations internationales d’Israël, dont celles nées de la Convention sur le génocide et du Statut de Rome de la Cour pénale internationale », une allusion à la responsabilité pénale.
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