Rachel Ertel : le yiddish et la mémoire dans la peau !
Une femme d'exception relate l'histoire d'une langue d'exception, mélange d'une culture, d'une allégorie d’un monde disparu et d'une mémoire trop riche pour que l'avenir l'oublie
A travers ses essais, ses traductions et son enseignement, Rachel Ertel a consacré sa vie à faire connaître la richesse de l’univers yiddish. Ce livre d’entretiens, dans lequel elle confie son parcours personnel, ses convictions et ses rencontres, résonne comme l’allégorie d’un monde disparu dont, en archéologue passionnée, elle exhume les trésors. La mémoire du yiddish est trop belle, trop riche, trop vive pour que l’avenir l’oublie. « Restez silencieux et vous vous trouverez tout à coup au beau milieu du yiddish » disait Kafka. Lisez ce que Rachel Ertel nous en dit. Et vous comprendrez…
Times of Israël : Ce livre est la prolongation d’une émission réalisée pour France Culture avec le journaliste Stéphane Bou…
Rachel Ertel : L’émission s’appelait : « Mémoire du yiddish ». Le sous-titre Transmettre une langue assassinée n’y figurait pas, afin de ménager les auditeurs que ce genre d’annonce aurait pu déconcerter…
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On apprend, au détour d’une question, que vous avez détruit le manuscrit de votre autobiographie. Pourquoi un geste si violent ?
Je n’arrivais pas à exprimer ce que je ressentais vraiment. Je l’ai tout simplement jeté à la poubelle. Je pense que j’avais besoin d’un interlocuteur.
Ce livre peut-il faire figure, sinon d’autobiographie, du moins de
« biographie autorisée » ?
Le poète anglais Coleridge a écrit une biographie littéraire (ndlr Biographia Literaria, 1817). C’est un peu ce que j’ai voulu faire : il s’agissait pour moi de raconter le trajet que j’ai emprunté au cours de ma vie. Si j’y suis parvenue, c’est grâce à Stéphane Bou et à sa bonne écoute.
Reste qu’il reconnaît lui-même avoir eu parfois le sentiment de vous forcer à répondre ! Fallait-il ce jeu de questions/réponses pour qu’apparaisse le « je », absent de tous vos écrits antérieurs comme l’est la lettre « e » dans La disparition de Perec ?
Dans mes livres précédents, je n’ai en effet jamais employé la première personne. La présence de Stéphane Bou m’a permis de me débloquer, de dire finalement « je » et de dévoiler un certain nombre de choses que je gardais secrètes, enfouies au plus profond de moi. Il m’a, en quelque sorte, ouverte à un questionnement que je ne parvenais pas à faire seule.
C’est d’ailleurs, rappelle Stéphane Bou, sur une citation de Perec « Je n’ai pas de souvenirs d’enfance » que s’ouvre l’un de vos textes précédents dans lequel vous évoquez « jusqu’à l’âge de neuf ans, un vide complet, un mur infranchissable ». Vous êtes née en Biélorussie, dans la ville de Slonim. En septembre 1939, après le pacte germano-soviétique et l’invasion de la Pologne orientale par l’Union soviétique, la ville fut rattachée à la République socialiste soviétique de Biélorussie. De nombreux juifs furent alors victimes des purges staliniennes. Pourquoi votre père fut-il arrêté ?
Mon père était bundiste, juif socialiste, menchevik. Cet engagement politique le rendait évidemment suspect aux yeux des autorités soviétiques. Une grande proportion des juifs des shtetls et des bourgs militait pour acquérir la liberté et la citoyenneté, espérant l’avènement d’un monde meilleur, un Avenir radieux, pour reprendre le titre d’un auteur soviétique ! Chacun militait selon ses convictions : il y avait les sionistes, les anarchistes, les bundistes, les socio-démocrates… Comme beaucoup de ses camarades de Slonim, mon père faisait partie du Bund. Il a été arrêté et déporté au goulag parce que considéré comme ennemi du peuple.
Ce moment peut-il être perçu comme un tournant dans le destin du yiddish, dès lors menacé en tant que symbole incarnant le désir d’autonomie de ces Juifs ?
Pour les bundistes et les yiddishophones en général, le yiddish était en quelque sorte un substitut de l’Internationale ! C’était évidemment inacceptable pour les soviétiques. Le yiddish avait connu un âge d’or en Union Soviétique : c’était dans les années qui ont suivi la révolution à laquelle de nombreux juifs avaient pris part. Par la suite, le yiddish et l’hébreu ont été bannis de cette Fédération russe.
Après l’arrestation de votre père, pourquoi avez-vous été envoyée avec votre mère dans un village de Sibérie ?
Pour la seule raison que ma mère et moi étions considérées, en tant que membres de la famille d’un ennemi du peuple, comme ennemies du peuple. Nous avons été déplacées dans un hameau de Sibérie où nous étions assignées à résidence.
Vous avez été rapatriées en Pologne en 1946. La guerre était finie. Pour autant, le danger n’était pas écarté pour les Juifs, victimes de pogroms dont vous rappelez qu’ils firent encore plus de mille victimes. Les déplacements en train étaient très dangereux…
L’armée nationale polonaise arrêtait les trains, en faisait descendre les Juifs et les fusillait le long des rails… Ma mère m’a raconté qu’elle avait décidé que nous ne voyagerions pas dans le même wagon.
Vous revenez, dans cet entretien, sur le fait juif qui empêche la Pologne de construire son « épopée glorieuse ». Comment
l’expliquer ?
Six millions de Juifs ont été assassinés pendant la Seconde Guerre mondiale par les nazis. Les Polonais ont considéré qu’ils en avaient été les victimes principales. Des enjeux mémoriels les ont empêchés de construire leur roman national. Ils étaient, en quelque sorte, gênés, encombrés par la mémoire juive, évidemment centrée sur cette extermination.
De nombreux articles publiés par The Times of Israel font état des inquiétudes suscitées par la résurgence d’un antisémitisme polonais de plus en plus virulent. Que vous inspirent les tentatives d’une jeune génération de juifs décidés à relancer une vie judéo-polonaise, notamment à travers des centres communautaires à Cracovie et Varsovie ? Est-ce un leurre ?
On constate en effet l’émergence d’un antisémitisme avec, par exemple, l’existence d’une radio qui diffuse des discours antisémites totalement décomplexés, alors qu’il n’y a que peu de Juifs en Pologne.
La démarche de ces jeunes juifs visant à faire revivre une vie juive est, selon moi, très utopique. C’est sympathique mais, à mon sens, totalement irréalisable car la Pologne, étant donné son catholicisme militant, n’est pas prête à accepter la présence de Juifs et la continuation d’une culture juive sur son territoire.
Pendant votre absence, votre père, revenu à Slonim, est mort dans le bombardement de sa menuiserie dont il avait fait le quartier général des partisans. Pourquoi est-ce en France que vos parents (votre mère et votre père adoptif) ont décidé de s’installer ? Est-ce parce que, selon le dicton, D.ieu y est heureux ?
Dans toute l’Europe de l’Est et en particulier chez les populations juives, la France était considérée comme le pays de la liberté, de l’égalité et de la fraternité, selon le motto de la République.
Et si l’Affaire Dreyfus avait révélé l’existence d’un antisémitisme français, elle avait aussi montré qu’une moitié du pays s’était mobilisée pour défendre le capitaine juif. C’était, pour beaucoup, dans ce pays que les Juifs avaient les meilleures chances de s’implanter.
D’autres ont fait le choix de partir aux Etats-Unis, au Canada ou, à l’époque, en Palestine. Ma famille est passée par la France et y est restée. Mon frère, ma sœur et moi avons tout de suite adopté le français. Par ailleurs, une partie de notre famille, installée en Amérique, avait prévenu nos parents que leur statut d’écrivains yiddish ne leur assurerait pas un revenu suffisant pour permettre à leurs enfants de suivre des études supérieures…
Quelle est cette « guerre des langues » dont vous dites qu’elle existait depuis le XIXe siècle, entre l’hébreu et le yiddish ?
Elle a commencé en Europe de l’Est vers le milieu du XIXe siècle qui a vu l’émergence de la Haskala, la naissance d’une littérature hébraïque et la renaissance du sionisme qui était celui des Amants de Sion. Pour les proto-sionistes, l’hébreu était la langue qu’il fallait faire revivre. Le yiddish restait néanmoins la langue de la masse juive, parlée par 99 % de la population juive en Europe de l’est. Les deux langues étaient en concurrence, en quelque sorte. L’hébreu était restée la langue liturgique et savante quand le yiddish, qui l’avait supplanté, était à la fois langue véhiculaire et littéraire.
Que dire des mots très durs dont fut gratifié, après 1945, le yiddish, devenu « lingua non grata » ?
Le septième million de Tom Segev parle des rescapés qui ont gagné Israël et y ont été très mal reçus. Ils étaient considérés comme des lâches partis à l’abattoir comme des moutons. Tout ce qui rappelait ce que, en Israël, on nomme l’exil et que j’appelle moi, la diaspora, était perçu comme une sorte de tache sur l’histoire juive. C’est ce qui avait conduit mes parents à conclure qu’il n’y avait pas de place pour eux.
Vous précisez que l’obédience bundiste de vos parents ne sous-tendait aucune forme d’anti-sionisme, mais qu’ils étaient des « Juifs diasporiques ». C’est une notion à laquelle vous êtes vous-même très attachée. Lors d’interviews accordées en France, l’écrivain israélien Avraham B. Yehoshua interpelle les Juifs français dont il interroge
« l’identité française », tout en admettant la complexité de la question. Ce à quoi vous semblez répondre sans la moindre difficulté : votre identité est « juive et française » et cette double appartenance, une « fusion »…
Absolument. J’aurais pu être, si nous avions émigré ailleurs qu’en France, juive américaine ou juive argentine. J’aurais de toutes façons été juive, comme je le suis en France où je me sens effectivement dans une sorte de double appartenance.
Langue assassinée, le yiddish est aussi la langue de personne, pour reprendre le titre de votre livre paru en 1999 au Seuil. Il est langue- sentiment, langue-émotion ; il est langue-monde mais aussi langue-fossile, langue perdue ou encore langue fantôme, en référence au discours de Bashevis Singer recevant le prix Nobel de littérature en 1978. Pour Aharon Appelfeld, le yiddish a « le parfum de la compote de pruneaux ». Cela fait beaucoup pour une « petite langue » !
Oui, c’est une langue-monde et, s’agissant de l’Europe, c’est la plus européenne des langues. Quel que soit l’endroit d’Europe où ils se trouvaient, les Juifs parlaient le yiddish. C’était vrai en Europe de l’Est bien sûr, mais aussi à l’Ouest, suite aux différentes migrations. C’est donc véritablement une langue-monde et finalement toutes les désignations que vous venez d’énumérer se recoupent !
Pourquoi récusez-vous l’appellation de langue-morte ? En quoi ne traduit-on pas pas le yiddish comme on traduit le grec ou le latin ?
Parce que le yiddish est une langue assassinée, ce qui lui donne un tout autre statut. Un statut que je désigne comme étant « sacralisé », tout comme sont sacralisées les victimes de l’extermination.
Dans Le musée invisible, les chefs-d’œuvre volés, (Ed. Du Toucan, 2009), le journaliste Nathaniel Herzberg évoque Golus, tableau pillé, peut-être détruit en 1933. L’œuvre est signée du peintre du ghetto Samuel Hirszenberg. Cette cohorte avançant dans la neige, dont nul ne sait ce qu’elle va devenir, saisie sur un tableau fantôme, ne fait-elle pas écho aux romans de votre mère, Menuha Ram, Le vent qui passe (Julliard, 1974) ou Exils (Julliard, 1993), écrits d’une « voix neutre et blanche » sur des thèmes « restés figés dans les glaces de Sibérie » ?
Je connais cette toile. Elle représente vraiment la diaspora en marche. S’agissant du roman Exils, j’ai parlé de voix neutre et blanche car ses héros sont dépeints sans aucun pathos ni aucune sentimentalité. Il y a, dans ces livres, une vraie démarche d’empathie avec la population juive bien sûr mais aussi les paysans russes et les kazakhs que ma mère avait rencontrés dans ce village.
C’est dans le foyer de la rue Guy Patin où vous avez habité entre 9 et 12 ans qu’est né votre « attachement viscéral » au yiddish. Un mot se détache : « Vitalité ». L’énergie créatrice des rescapés serait-elle aujourd’hui désignée sous le terme de « résilience » ?
Malgré la définition qu’en donne Boris Cyrulnik, la résilience relève, pour moi, de l’acceptation, la soumission au sort. La vitalité, c’est autre chose : c’est une volonté farouche, hors normes, de survivre après l’extermination. De survivre et surtout, de créer. Ce phalanstère yiddish, peuplé d’écrivains, de poètes, de peintres et de chanteurs a été marqué par une volonté de reconstituer la culture qui avait été détruite. C’est une sorte de revanche, d’opposition, d’affirmation sur le Khurbn. Cette vitalité, cet engagement dans la vie m’ont marquée dès mon enfance, même si je ne comprenais pas tout. C’est devenu le socle sur lequel ma vie s’est bâtie.
Le mot « Shoah », adopté par le Parlement israélien, repris et popularisé par Claude Lanzman pour son film, est celui qui prévaut. Le terme « Khurbn » que vous venez de prononcer, est celui auquel vous restez fidèle…
Bien entendu, j’utilise le terme courant, « Shoah », pour me faire comprendre mais en mon for intérieur, c’est le « Khurbn ». C’était le terme employé par les victimes, en référence aux deux Temples détruits. La troisième destruction, qu’ils appelaient der dritter khurbn, a été celle du peuple, Temple du judaïsme.
Pourquoi attribuez-vous à l’acte de traduire le yiddish un statut unique qui procure à la fois douleur et joie ?
Le lectorat du yiddish, c’est un fait, est très restreint. Et l’on sait que traduire un livre du yiddish est un acte de témoignage de ce qui a été et de ce qui ne sera plus. C’est une douleur de penser que personne, après la lecture de la traduction, n’ira plus voir la version originale. C’est un acte de deuil pour la même raison que ce qui a disparu ne peut plus se reproduire ni perdurer.
Quand j’ai traduit de l’anglais, je savais que cette langue n’avait pas besoin de moi pour vivre. S’agissant du yiddish, traduire est un acte de témoignage et de deuil. Mais la traduction est une forme d’écriture qui procure la joie esthétique de réussir à translater, à transporter, à transférer d’une langue dans une autre. Je pense au conte de Yts’hak Leiboutch Peretz, Métamorphose d’une Mélodie dans lequel il parle d’une mélodie hassidique qui, transmise d’une génération à l’autre et d’un lieu à un autre, se transforme tout en restant la même. Pour moi, la traduction, c’est cela. C’est aussi une émotion, au sens étymologique du terme qui porte avant tout l’idée de mouvement. C’est, pour moi, un acte spirituel.
Vous êtes un exemple édifiant de la vitalité créatrice dont nous parlions car pendant l’élaboration de ce livre, vous avez traduit Dans les bagnes du tsar (Ed. de l’Antilope) de H. Leivick !
Il y en a même deux qui sont parus en même temps. Il faut également citer Erev, À la veille de… de Eli Chekhtman (Ed. Buchet Chastel). Ce sont là deux chefs-d’œuvre de la littérature yiddish.
Sollicité par The Times of Israel, le fondateur des éditions de l’Antilope, Gilles Rozier dont vous avez dirigé la thèse, confiait : « Ce qui nous frappe, dans la traduction de Rachel Ertel, c’est combien, du fait de son vécu, sa traduction française est en symbiose avec le texte original en yiddish. En effet, comme elle le raconte dans son recueil d’entretiens, du fait de sa maîtrise parfaite des deux langues, « ses deux langues », quand elle lit un texte en yiddish, la traduction en français lui vient naturellement, comme une traduction mentale avant d’être écrite ». C’est cela, avoir le yiddish dans la peau ?
Avoir le yiddish et le français dans la peau ! Dès que je suis en situation de traduction, je lis la phrase en yiddish et elle me vient en français. C’est véritablement symbiotique.
Stéphane Bou décèle une tentative plus personnelle. Dans Le garçon qui voulait dormir, d’Aharon Appelfeld, c’est dans les rêves qu’un jeune rescapé des camps parvient à se relier au monde disparu. Traduire serait-il pour vous le viatique vers le monde yiddish, la « matérialité du monde » dont parle Philip Roth ?
Oui, absolument, pour moi, c’est ce dont il s’agit. Il y a véritablement, à travers cette proximité, le maintien d’une sorte de présence charnelle, ce que j’appelle le substrat de l’univers yiddish.
Vous qualifiez de « complexe » votre rapport à Israël tout en soulignant votre attachement à son existence…
Un attachement viscéral…
Ces entretiens permettent de comprendre que vous n’approuvez pas la politique du gouvernement de l’Etat hébreu, pas plus que vous n’êtes d’accord avec la loi proclamant Israël comme « L’Etat-nation du peuple juif » parce qu’elle « crée en son sein des catégories de citoyens distinctes, en les hiérarchisant ». Mais il y a une autre raison, qui ramène à la diaspora…
Oui, car cette loi signifie que c’est aussi, en quelque sorte, « mon » Etat. Or, il ne l’est pas. Autant je suis attachée à l’existence d’Israël, autant je ne peux considérer qu’Israël est mon Etat. Et je n’ai pas été consultée sur cette question. La loi est, en quelque sorte, en contradiction avec mon vécu.
Et si, pour clore ce passage consacré à votre lien « complexe » à Israël par une « touche » sioniste, nous citions ces vers de Itsik Manguer que vous qualifiez d’apollinariens : « J’ai erré partout à l’étranger, maintenant je vais errer chez moi en Israël » ?
Ce poète de la langue « lingua non grata », né en Roumanie, a traîné ses guêtres partout dans le monde : en Europe de l’Est, aux Etats-Unis, à Londres où il a vécu pendant la guerre. Il est allé mourir en Israël, avec le sentiment qu’il y errerait, de la même façon qu’il avait erré toute sa vie. C’est, au fond, un poète vagabond, nomade, comme le sont tous les poètes yiddish.
Israël aurait-il pu être un Etat bilingue ?
Oui, parce que les fondateurs du sionisme et de l’Etat d’Israël étaient yiddishophones. Ils ont voulu forger un homme nouveau et sont revenus, pour cela, à la langue ancestrale qu’ils ont renouvelée. Ils auraient pu garder les deux langues. Qu’il en ait été autrement est l’une de mes douleurs…
Mais aujourd’hui, le yiddish ne résiste-t-il pas même s’il est, à Brooklyn, très mâtiné d’anglais et en Israël, mâtiné d’hébreu ?
En fait, chez les ultra-orthodoxes, le yiddish est la langue qui sert notamment à commenter les Textes.
Plongée dans les Livres sacrés, elle ne crée pas de littérature et ne s’intéresse pas à la dimension esthétique, littéraire et culturelle du yiddish.
L’écrivain Ron Rash, désigné aux Etats-Unis comme « le poète de la perte », rencontre un immense succès en racontant la dégradation des Appalaches. Vous concluez cet entretien en rappelant la phrase « Tout est perdu, gardons la perte *». N’est-ce pas à travers la perte que peut, finalement, perdurer la vitalité du
yiddish ?
C’est à cela que je m’emploie et que je me suis toujours employée tout au long de ma vie, en ce qui concerne le domaine yiddish : garder la perte. C’est un univers entier, une littérature, une culture foisonnante et
superbe ! Ce qui est tragique, c’est qu’elle a été fauchée, exterminée au moment de sa plus belle éclosion, alors que naissait toute la beauté du modernisme.
Il y a là un trésor inestimable qu’il faut garder et transmettre d’une manière ou d’une autre, parce qu’il nous nourrit et nourrira l’avenir.
Même si les locuteurs sont actuellement peu nombreux, je suis convaincue que le yiddish, qui a un millénaire d’existence, représentera une part incontournable de l’histoire juive. Je pense que ce trésor se transmettra de générations en générations. Je le pense et je l’espère.
* H. Cixous, C. Wajsbrot, Une autobiographie allemande, C. Bougeois, 2016
Rachel Ertel, Entretiens avec Stéphane Bou, MÉMOIRE DU YIDDISH, Transmettre une langue assassinée, Albin Michel, 224 p, 19 €
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