Refonte judiciaire: Des deux côtés, la certitude d’une crise constitutionnelle à venir
Que se passera-t-il si la réforme judiciaire va à son terme, qu'elle est rejetée par la Cour et que la Knesset s'oppose à cette décision ? Qui l'emportera - la Cour ou la Knesset ?
JTA — Dans un pays qui est profondément divisé, dans un pays où se rendre au mouvement pro-démocratie est devenu un rituel hebdomadaire pour un grand nombre, une conviction au moins semble être encore partagée entre la gauche et la droite : Israël semble se diriger tout droit vers une crise constitutionnelle.
Cette crise – que le Premier ministre Benjamin Netanyahu a qualifiée de « panne gouvernementale » pendant une récente visite en Allemagne – serait implacablement entraînée par les législations actuellement avancées par Netanyahu et qui bouleverseraient le système israélien de la justice.
Les propositions – qui, selon leurs partisans, sont nécessaire pour freiner une Cour qui, selon eux, serait en proie à un excès de zèle mais qui, disent les critiques, viendraient menacer le caractère démocratique d’Israël – renforceraient le contrôle de la coalition sur les juges à la Cour suprême et permettraient à la Knesset de passer outre un jugement rendu par la Haute-cour avec une majorité simple.
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Une crise constitutionnelle a lieu quand un pays doit faire face à une crise insoluble entre des branches du gouvernement en concurrence. D’autres pays ont pu se redresser suite à des crises constitutionnelles dans le passé – les États-Unis en ont connu plusieurs au fil des siècles et notamment à la période qui avait finalement mené à la guerre civile, ainsi que dans le sillage de cette dernière – mais ce rétablissement peut être difficile et la défiance perdurer longtemps.
Dans le cas d’Israël, que se passera-t-il si la Knesset adopte la législation sur la refonte du système judiciaire, que la Cour la rejette et que la Knesset refuse de se soumettre à cette décision ? Qui jouira de l’autorité finale : La Cour ou le Parlement ?
La seule réponse à apporter à cette question, pour le moment, est que la situation serait dramatique pour une démocratie vieille de seulement 75 ans.
« L’idée même que le gouvernement ne puisse pas se conformer à un jugement de la Cour suprême, qu’il puisse l’ignorer représenterait une crise sans précédent », commente Michal Saliternik, professeure de droit au Collège académique de Netanya.
Certains Israéliens voient une opportunité dans ce moment dangereux. Dans un rebondissement quelque peu ironique, le pays se trouve au bord du précipice, face à une crise constitutionnelle, mais il n’est pas doté d’une constitution. Le pari est risqué mais un conflit entre la Cour et la coalition, explique Tamar Megiddo, experte en droit internationale, pourrait tout simplement obliger Israël à entrer dans le long et difficile processus de rédaction d’une constitution qui ancrerait dans le marbre l’équilibre à respecter entre les différentes autorités qui gouvernent le pays.
« Le système constitutionnel tout entier, ici, tient par du ruban adhésif », explique Meggido, qui enseigne au Collège du droit et des Affaires, aux abords de Tel Aviv.
« C’est ridicule. Nous n’avons aucune protection de notre régime constitutionnel, aucune protection de notre séparation des pouvoirs, aucune protection de l’équilibre des pouvoirs et aucune protection des droits de l’Homme. La seule raison pour laquelle ce système a fonctionné, au cours des 75 dernières années, a été que nous étions de bonne foi », dit-elle.
Elle ajoute : « je pense que beaucoup de gens considèrent ce moment constitutionnel actuel – ou la crise constitutionnelle qui, de manière réaliste, va probablement arriver – comme étant aussi une occasion de réparer tout ce qui a pu être brisé dans ce système. »
Comment un affrontement entre le gouvernement et la Cour pourrait-il survenir ? A cette question, les spécialistes que nous avons interrogés et d’autres présentent individuellement des versions différentes du même scénario : le gouvernement fait adopter la loi lui donnant la mainmise sur les nominations des juges dans le pays ; la Cour rejette la législation – et le gouvernement nomme de nouveaux magistrats malgré tout. Quand ces juges tout juste désignés arrivent au tribunal pour leur prise de fonction, les gardiens de la sécurité doivent-ils les laisser entrer ? A qui doivent-ils obéir – au gouvernement qui a nommé les juges ou au tribunal qui a estimé que leur nomination à leur poste était illégale ?
Le temps cette question soit débattue, la Cour pourrait ne pas être en mesure de travailler.
« En fin de compte, l’État doit pouvoir continuer à fonctionner », explique Saliternik. « Les tribunaux ont un travail à faire. Si les juges ne peuvent pas pénétrer dans la salle d’audience, cela aura un impact sur tout un chacun. Israël se retrouverait dans la situation d’un pays du tiers-monde où les institutions ne fonctionnent pas ».
La loi sur les nominations judiciaires pourrait être adoptée la semaine prochaine et pour les citoyens israéliens ordinaires, expliquent Saliternik et Megiddo, le prix à payer pour une crise ne serait pas seulement théorique. Si le système de gouvernement devait connaître une crise, cette dernière pourrait entraîner une baisse de la notation du pays par les agences financières, avec en conséquence un ralentissement économique dont les Israéliens pourraient ressentir l’impact au quotidien.
Et au vu de l’implication massive des Israéliens défavorables à la réforme judiciaire – des centaines de milliers de personnes manifestent dans les rues depuis plusieurs mois – il est improbable qu’ils accepteront de détourner le regard face aux répercussions du projet de loi si et quand ce dernier sera adopté. Le président Isaac Herzog, une personnalité connue pour son amabilité, a fait, la semaine dernière, un discours douloureux, mettant en garde contre une potentielle guerre civile.
« Si la Cour rend un jugement et que le gouvernement ne s’y conforme pas, alors le public israélien dira : ‘Voilà la preuve ultime que nous ne vivons plus dans une démocratie’, » dit Saliternik. « Je prononce ces paroles avec inquiétude mais s’il doit y avoir une bataille ouverte entre la Cour suprême et la Knesset, des violences de rue pourraient en résulter ».
Megiddo, de son côté, estime que même la simple possibilité d’une telle crise a normalisé des tactiques qui restaient autrefois à la marge – comme le refus de faire le service militaire, un devoir considéré comme sacro-saint dans une grande partie de la société israélienne.
Le ministre de la Défense, Yoav Gallant, aurait averti que les refus massifs à servir pourraient le décider à démissionner de son poste. Mardi, un groupe de réservistes de l’armée a indiqué qu’il prévoyait de recruter des dizaines de milliers d’autres réservistes qui, comme eux, s’engageront à ne plus faire leur devoir militaire si la législation doit être approuvée.
« Les gens qui refusent le service étaient considérés, dans le public israélien, comme une minorité très extrême alors qu’aujourd’hui, il est ordinaire de dire que les Israéliens n’accepteront pas de servir dans une armée qui serait placée sous les ordres d’une dictature », explique Megiddo. « Il est incroyable de voir combien ce genre de propos est devenu ordinaire dorénavant, ce qui aura un impact à long-terme ».
Les partisans comme les adversaires de la législation à la Knesset considèrent comme une réelle possibilité la venue d’une crise constitutionnelle. La seule chose sur laquelle ils sont en désaccord, c’est sur la partie qui assumera, à leurs yeux, la responsabilité de cette crise – et partisans et opposants semblent faire monter les enchères, jurant, pour les uns, de désobéir aux décisions gouvernementales ou d’ignorer la Cour pour les autres.
« La situation en matière de sécurité est troublante », a déclaré l’ancien ministre de la Défense Benny Gantz, un opposant de Netanyahu, dans un discours prononcé la semaine dernière qui faisait référence aux violences croissantes entre Israéliens et Palestiniens, une allocution dans laquelle il a vivement recommandé à Netanyahu de mettre en pause le processus d’adoption des réformes judiciaires.
« Ne nous entraînez pas dans une crise constitutionnelle irresponsable au moment où nous traversons une crise sécuritaire », a-t-il demandé.
Sans surprise, les alliés de Netanyahu affirment pour leur part que ce sont les opposants à la refonte du système judiciaire – et les juges de la Haute-cour eux-mêmes – qui seraient à blâmer si une crise constitutionnelle devait survenir suite au rejet de la loi par les magistrats.
L’invalidation de la législation de réforme serait « une arme de l’apocalypse », a ainsi écrit Dror Eydar, chroniqueur pour le tabloïd pro-Netanyahu Israel Hayom, dans un article intitulé « l’appel à une crise constitutionnelle ».
« Ce rejet constituerait un coup d’État », a-t-il ajouté.
Un éditorial publié quatre jours plus tard dans le même journal a néanmoins appelé les deux parties à trouver un compromis dans le but d’éloigner le spectre d’une crise constitutionnelle. L’auteure de l’éditorial était Miriam Adelson, dont le mari Sheldon – feu le philanthrope milliardaire – avait créé et financé Israel Hayom.
Les membres de la coalition de Netanyahu s’inquiètent encore suffisamment face à la perspective d’une crise constitutionnelle pour avoir convenu de procéder à un « assouplissement » – c’est le terme qu’ils ont utilisé – d’une des lois concernées. Au lieu d’accorder à la coalition le contrôle total des nominations à la Cour suprême, le nouveau texte de loi laisserait la coalition décider seulement des deux premières nominations de juges survenant sous son mandat.
« Il n’y a aucun doute sur le fait que les changements que nous avons effectués éloignent les paroles des oiseaux de mauvais augure qui agitent le spectre d’une crise constitutionnelle réelle », a déclaré le ministre de la Justice, l’artisan de cette législation, devant les caméras d’une chaîne de télévision israélienne dans la journée de lundi.
Puis le couperet est tombé : Si la Cour invalide le texte de loi, a continué Levin, « toutes les lignes rouges seront franchies. Et nous ne l’accepterons absolument pas ».
Répondant à ces propos, Yair Lapid, le leader de l’opposition, a indiqué que si le gouvernement devait désobéir à la Cour, les citoyens, pour leur part, devraient désobéir au gouvernement.
« Ça y est, les masques sont tombés. L’arme est sur la table », a écrit Lapid sur Twitter. « Le vrai Premier ministre, Yariv Levin, nous entraîne vers un chaos total, vers une crise constitutionnelle dont nous ne saurons pas revenir. »
« Si le ministre de la Justice appelle le gouvernement à ne pas obéir à la loi, pourquoi les citoyens d’Israël devraient-ils obéir au gouvernement ? », a-t-il interrogé.
Un autre député du Likud, le ministre de l’Économie Nir Barkat, a indiqué qu’il se soumettrait au jugement du tribunal si la loi devait être rejetée. Quoi qu’il en soit, la législation du Likud ne semble guère ouvrir le chemin au compromis.
« Il n’y a pas eu d’assouplissement de ce texte et il n’y a pas eu de compromis, c’est la Hongrie ou la Pologne sous stéroïdes », a commenté au micro d’une station de radio israélienne, lundi, la dirigeante du parti Avoda, Merav Michaeli, faisant référence à deux pays où le gouvernement a renforcé sa mainmise sur le système judiciaire. « J’ai dit depuis le début qu’il nous était impossible de négocier avec eux ».
Un ancien président d’Avoda n’a pas non plus mâché ses mots et – contrairement à de nombreuses voix qui s’inquiètent d’un affrontement potentiel entre les différentes autorités du gouvernement – il a suggéré qu’il préférait une crise constitutionnelle à un compromis. Ehud Barak, ancien Premier ministre israélien, a estimé qu’une crise constitutionnelle obligerait les plus hauts commandants militaires à se positionner, exprimant sa certitude qu’ils choisiraient de se soumettre aux jugements rendus par les tribunaux.
« Il s’agirait d’une crise constitutionnelle grave », avait dit Barak dans un discours prononcé le mois dernier. « Et c’est dans ce contexte qu’entreraient en piste les gardiens et les défenseurs de notre souveraineté : le chef de la police, le chef d’état-major et le chef du Mossad. Je suis convaincu qu’ils comprennent très bien que dans une démocratie, la seule option possible est de reconnaître la primauté du droit et de la Cour suprême. »
Les menaces de plus en plus nombreuses des réservistes de l’armée et les propos tenus par d’anciens commandants militaires qui s’opposent à la réforme sont susceptibles d’indiquer que l’armée choisirait de suivre la Cour. Toutefois, Saliternik espère que ce choix ne s’imposera pas à l’armée israélienne.
« Jamais quelque chose de similaire n’est arrivé en Israël », s’exclame-t-elle. « C’est très dur à envisager. J’espère réellement que le gouvernement va apprendre à se contrôler et qu’il agira de manière responsable ».
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