Seuls dans la vie, des survivants de la Shoah meurent sans personne pour les enterrer
Pour chaque service de funérailles d'un rescapé sans famille où des centaines d'étrangers se rendent, d'autres sont enterrés avec à peine assez de personnes présentes pour le kaddish

Il y avait à peine dix hommes pour former le quorum traditionnel lors des funérailles [mynian], mercredi dernier, de Stefan Weiss, un survivant d’Auschwitz et de Dachau originaire de Transylvanie. Une cérémonie à laquelle s’est ajoutée une marche funèbre brutale.
« Les seules personnes à ces funérailles, c’était deux parents éloignés, des cousins très éloignés qui le connaissaient et avec qui il entretenait quelques relations », raconte Yehuda Aaronson, directeur du développement à l’étranger de Reuth, une organisation à l’origine du complexe de logements lourdement subventionné pour les survivants à Tel Aviv, où Weiss a vécu pendant plus de quarante ans.
« Ceux d’entre nous qui travaillons à Reuth ici étions présents, et avec le hevra kadisha [service funèbre], nous avons formé le minyan [quorum] d’hommes lors de la cérémonie ».
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C’est alors que les funérailles prenaient fin qu’est arrivé ce qu’Aaronson qualifie de ‘hic’.
« Nous étions là, pour l’enterrement, pour le service funèbre, et nous étions en train de terminer le ‘el male rachamim’ [la prière] et une voiturette de golf arrive, avec quelqu’un de la hevra kadisha et une dépouille dessus », raconte-t-il. « C’était un autre rescapé de l’Holocauste qui n’avait ni famille ni ami. Et on nous a demandé de rester et d’organiser les funérailles de cette personne ».
Au cimetière, le petit groupe est resté pour accomplir les rituels pour ce Juif anonyme, rendant un ultime hommage à un homme dont le service funèbre avait indiqué qu’il était un survivant de l’Holocauste – mais dont rien d’autre n’était connu.
« On est restés là, sous le choc… Ils nous ont dit, la hevra kadisha, qui enterrent trois ou quatre défunts par jour, certains n’ont plus personne – tous ne sont pas bien sûr des rescapés de l’Holocauste ».
Les chiffres portant sur le nombre de survivants de l’Holocauste qui meurent en Israël sans parents ou descendants vivants sont difficiles à déterminer et les services funéraires sollicités par le Times of Israël, dans plusieurs villes israéliennes, n’avaient pas fait part de leurs commentaires au moment de cette publication.
Toutefois, ces dernières années, au moins une demi-douzaine de cérémonies funéraires organisées pour accompagner dans leur dernière demeure des survivants de la Shoah, sans enfants – ou avec seulement quelques parents – ont été répercutées sur les réseaux sociaux et par le biais des applications de messagerie israéliennes, attirant des dizaines, voire des centaines d’Israéliens qui n’ont pas hésité à venir rendre hommage à ces victimes des persécutions nazis, aidant à sensibiliser l’opinion publique sur le phénomène.
Au mois de février, environ 200 étrangers ont assisté aux obsèques de Hilde Nathan, une rescapée de l’Holocauste, originaire des Iles Canaries, qui est décédée, sans enfants et dont le désir était d’être enterrée aux côtés de sa mère en Israël.
Mais pour tout article médiatique édifiant soulignant la solidarité juive et israélienne, il y a un Stefan Weiss — ou un survivant de l’Holocauste comme John Doe — ou même peut-être des dizaines comme eux.
« C’est une tragédie pour ces gens qui ont tout donné… ils vivent seuls et ils meurent seuls », dit Aaronson.
Une communauté de survivants
Weiss était une présence notable au sein du complexe de logements subventionnés de Reuth, situé dans le sud de Tel Aviv, où il avait fréquemment fait part de son histoire aux journalistes et aux visiteurs. (Le Times of Israël avait interviewé Weiss en 2015).

Aux abords des trois étages accueillant les appartements de Reuth, les pelouses sont bien entretenues, les fleurs poussent, et les bancs sont éparpillés sur le gazon pour ceux qui sont en quête d’une introspection sereine.
Le degré d’occupation de ces appartements rappelle toutefois de manière brusque que la population des rescapés de l’Holocauste diminue rapidement. L’organisation, fondée en 1937, connue majoritairement pour son institut hospitalier de rééducation situé à proximité et qui porte le même nom, comptait autrefois 750 appartements de rescapés de la Shoah qui ne pouvaient assumer le prix d’une location.
Aujourd’hui, on dénombre 180 appartements en tout et pour tout – qui accueillent environ 80 survivants de l’Holocauste – les logements restants étant occupés par des Israéliens âgés et économiquement défavorisés.
Tous les résidents sont physiquement indépendants, selon la réglementation en vigueur dans le service. Les appartements sont simplement – mais individuellement – meublés. Et la vie, parmi les survivants qui vivent ici, est une denrée chérie dont ces femmes et ces hommes jouissent avec reconnaissance.

Fanny Kroitor, directrice administrative et « responsable » des résidents, explique que lorsqu’elle a commencé à travailler ici, il y a plus de vingt ans, un grand nombre des rescapés qui vivaient dans le complexe n’avaient pas d’enfants ou peu de famille proche.
Aujourd’hui, la fille russophone de survivants de l’Holocauste explique que la majorité des habitants actuels du complexe ont des enfants et des petits-enfants dans le pays. Mais que ce n’est pas le cas de nombreux autres.
Comme feu son voisin Weiss, Elli Laichtner, 86 ans, vit à Reuth depuis plus de 40 ans. Il ne s’est jamais marié et n’a pas eu d’enfant. Seul parent de ce rescapé né à Budapest et venu vivre en Israël, un cousin, qui vit dans la ville de Nahariya, dans le nord du pays.
Vêtu d’une chemise boutonnée rouge à manches courtes, avec une étoile de David en argent pendue à son cou, cet octogénaire dynamique évoque fièrement son passé au théâtre, une passion découverte dès l’âge de 4 ans et une activité qui s’est achevée officiellement alors qu’il avait 75 ans.

Formé à Paris pendant huit mois par le célèbre mime Marceau, Laich n’hésite pas à montrer ses talents lorsqu’on lui demande de poser pour une photo à l’occasion d’une pantomime. Il est un survivant de l’Holocauste qui aura joué au moins à une occasion le rôle d’une victime de la Shoah — plus exactement celui de Peter van Pels, camarade de jeu d’Anne Frank dans l’annexe secrète, dans une version théâtrale du « Journal d’Anne Frank. »
Alors que Frank et van Pels, dans la vraie vie, se blotissaient dans leur cachette d’Amsterdam, Laichtner, à 14 ans, se dissimulait des regards dans une cave du ghetto de Budapest en compagnie de huit autres Juifs, sans nourriture et sans bois de chauffage pour lutter contre l’hiver glacial hongrois. En face, se souvient-il, les dépouilles des Juifs étaient empilées sur la place et les raids menés par les nazis servaient essentiellement à déporter les enfants et les personnes âgées.
Enfant unique, son père a été déporté et assassiné dans le camp de la mort d’Auschwitz. Sa mère a survécu, réfugiée en lieu sûr, en Suisse, et les deux se sont retrouvés après la guerre lorsqu’il est retourné dans la maison de son enfance. Durant toute la guerre, « j’ai été seul en permanence », dit-il.
« Mais dans le ghetto, il y avait aussi un théâtre », ajoute-t-il, décrivant comment, après-guerre, des rôles lui ont été refusés parce qu’il n’était pas affilié au parti communiste.

Il semble également amusé en se rappelant d’une représentation organisée à Haïfa peu de temps après qu’il soit arrivé en Israël, en 1956. Un journaliste israélien spécialiste de théâtre avait alors décrié son accent dans une critique de journal (« dans quelle langue le jeune s’exprime-t-il donc ? »).
Il note avec fierté qu’il a d’abord interprété des rôles comiques, et qu’il a même pu participer à plusieurs pièces mises en scène dans une maison de retraite avoisinante, également dirigée par Reuth. Croisant Kroitnor, il embrasse pompeusement et de manière répétée la main de la directrice, se battant avec bonhomie sur ce qu’ils qualifient respectivement de ‘fichus’ traits de caractère hongrois et russes (même si Kroitnor est né en Lituanie).
Laichtner n’a pas d’amertume non plus sur le traitement des survivants par le gouvernement, même s’il se trouve éligible aux logements en raison de ses moyens économiques. Le Contrôleur de l’état Yossef Shapira a publié la semaine dernière un rapport acerbe, dépeignant une image choquante de l’échec gouvernemental à élargir les aides apportées aux rescapés de l’Holocauste, décèdant au nombre de 1 000 par mois.
« L’état donne le maximum aux survivants de l’Holocauste », insiste-t-il avec fermeté.

Aniuta Reznik, 85 ans, a passé quatre ans dans le ghetto de Vinnitsa, en Ukraine, avec ses parents, sa soeur aînée et son beau-frère.
« Chaque jour, dans le ghetto, on disait qu’ils viendraient tuer tout le monde le lendemain », dit-elle, de l’endroit qui a été d’abord contrôlé par les Allemands et plus tard par les Roumains. Alors qu’elle avait 9 ou 10 ans, Reznik a été envoyée dans les champs, aux travaux forcés. Ses parents ont toutefois échappé à ce labeur en raison de leur âge et n’ont pas été obligés de quitter leur vieil appartement lorsque le quartier s’est transformé en ghetto.
Après la guerre, la famille a déménagé à Moscou, où Reznik est devenue principale dans un lycée. « Les enfants m’adoraient », dit la survivante, dont les cheveux gris coupés court et les lunettes noires épaisses rappellent le passé de l’enseignante, au corps frêle et à la voix puissante.
Reznik s’est installée en Israël en 1991 après la chute de l’Union soviétique. Il y a dix ans, elle a abandonné son appartement à Reuth pour aménager chez sa soeur aînée jusqu’au décès, il y a trois ans, de cette dernière. Après cela, l’organisation lui a à nouveau proposé un appartement. Elle a une nièce et un neveu – les enfants de sa soeur unique – et personne d’autre.
Reznik souhaite « la paix, la paix et la paix dans le monde entier et en Israël en particulier ».
« Je demande, toute la journée à Dieu : Un peu, un peu, seulement un peu plus de santé », déclare-t-elle avec vigueur. « Et la vie, la vie, la vie ».
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