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Interview

Shmuel Hauser fait un bilan de la loi contre les options binaires

Le chef de l'Autorité des Titres israélienne, inquiet des nouvelles façons d'escroquer, ne pourra pas rembourser les victimes de l'industrie des options binaires mais il pourra aider à payer leurs frais de justice. Il revient à la police d'arrêter les fraudeurs

Simona Weinglass est journaliste d'investigation au Times of Israël

Shmuel Hauser, président de l'Autorité des titres israélienne, en 2014. (Crédit : Roni Schutzer/Flash90)
Shmuel Hauser, président de l'Autorité des titres israélienne, en 2014. (Crédit : Roni Schutzer/Flash90)

Quelques semaines après le passage d’une loi qui a placé dans l’illégalité l’industrie toute entière des options binaires, le président de l’Autorité des titres, Shmuel Hauser, déclare au Times of Israel qu’il a été « très troublé » par la possibilité que les escrocs aux options binaires n’entrent maintenant dans le secteur des crypto-devises qui, selon lui, pourraient bien représenter la prochaine arnaque d’ampleur.

« Nous sommes très inquiets face aux ICO (initial coin offerings) et aux crypto-devises », dit-il. « Nous ne voulons pas qu’ils deviennent la prochaine mutation des options binaires, ou un refuge pour les escrocs ».

Dans une interview d’une heure accordée dans les bureaux de l’Autorité israélienne des Titres à Tel Aviv, Hauser a indiqué au Times of Israel que la réponse internationale à l’adoption de la loi du 23 octobre était « très positive » et que « nous avons obtenu des réponses du monde entier, du Canada, des Etats-Unis et d’Europe. Tous ont dit qu’ils étaient très satisfaits de ce que nous avions fait, et de notre engagement ». Les autorités internationales chargées de l’application de la loi avaient vivement recommandé à Israël de mettre un terme aux activités de cette industrie frauduleuse, qui a escroqué des victimes partout dans le monde.

Le 23 octobre, la Knesset a voté à l’unanimité en faveur de l’interdiction de l’industrie des options binaires toute entière, une vaste arnaque qui aurait rapporté des milliards de dollars en faisant des millions de victimes.

La loi, qui entrera en vigueur fin janvier, est le résultat direct de l’enquête du Times of Israël sur la fraude, à commencer par un article publié en mars 2016, intitulé « Les Loups de Tel Aviv : la vaste arnaque immorale des options binaires d’Israël exposée« . La législation donne à toutes les entreprises d’options binaires trois mois pour cesser leurs opérations. Après ce délai, quiconque impliqué dans les options binaires sera passible de deux ans de prison.

Hauser explique qu’il prévoit d’appliquer la loi avec zèle. Dès qu’elle entrera en vigueur au mois de janvier, tous ceux qui se feront attraper en train d’offrir des options binaires seront arrêtés et poursuivis, promet-il.

« La loi est rédigée de telle manière que dès que l’individu agit, il contrevient à la législation. Il ne peut agir sans recevoir une autorisation et il n’en obtiendra pas s’il en demande une. Ainsi, toute activité relative aux options binaires viole la loi. Il est interdit d’en proposer. Point. »

Il ajoute : « Je ne pense pas que ce sera un problème. Les problèmes peuvent survenir si quelqu’un devait inventer un produit qui ne s’appelle pas option binaire mais qui en serait une, déguisée. Et c’est ça qu’on va devoir surveiller. Mais au moment où on constate une infraction, on a la capacité d’enquêter dessus et d’y mettre un terme ».

Une annonce Facebook pour un emploi dans une compagnie d’options binaires israélienne, publiée le 19 avril 2016. (Crédit : capture d’écran)

Interrogé sur l’éventualité que les milliers de fraudeurs aux options binaires en Israël qui ont volé des milliards de dollars s’en sortent et ne soient autorisés à conserver le butin de leurs crimes, Hauser réplique que la nouvelle loi ne lui donne pas la compétence d’agir contre ceux qui, appartenant à cette industrie, ont commis des escroqueries dans le passé.

« Si, à l’avenir, quelqu’un tente d’offrir des options binaires, nous nous y attaquerons. Mais si quelqu’un a vendu frauduleusement des options binaires dans le passé, cela n’entre pas dans nos compétences : Cela relève de la responsabilité de la police ».

Et même dans ce cas, ajoute-t-il, de tels crimes pourraient ne pas être faciles à poursuivre pour la police.

« La police doit avoir des preuves concrètes. Sans preuves, elle ne sera pas en mesure d’arrêter qui que ce soit. On ne peut pas seulement arrêter les gens parce qu’on pense qu’ils pourraient être des voleurs. Voyez ce qu’est le crime organisé, la police poursuit toujours [les criminels] mais ne peut les attraper que lorsqu’on a des preuves concrètes. Al Capone n’a jamais été poursuivi pour meurtre ou accusé pour meurtre. Et finalement, il a été poursuivi pour évasion fiscale ».

A la question de la potentielle arrestation par la police des escrocs aux options binaires qui ont opéré dans le passé, Hauser répond : « Je ne sais pas. Je suppose que si les gens portent plainte et que la police a des preuves, elle fera ce qu’on attend d’elle ».

Les victimes peuvent-elles récupérer leur argent ?

Le Times of Israel a reçu d’innombrables courriels rédigés par des victimes de l’industrie des options binaires et demandant comment récupérer leur argent. Nous avons également eu connaissance de victimes qui ont été arnaquées une seconde fois par de faux sauveteurs qui leur ont promis de les aider à retrouver leurs fonds, demandant des frais anticipés puis disparaissant avec l’argent.

Que dire alors de ces milliards qui ont été volés ?… Hauser répond énergiquement : « Nous ne pouvons rendre l’argent des victimes ». Il indique toutefois que l’Autorité des titres israélienne (ATI) pourrait être en mesure d’offrir une assistance limitée aux victimes en les aidant à payer les frais juridiques d’un recours collectif devant les tribunaux israéliens.

« Nous n’avons pas d’autorités civiles comme la Commission des titres et d’échange qui existe aux Etats-Unis. Même dans d’autres types de fraude où nous avons poursuivi devant la justice, lorsque l’auteur va en prison, l’argent ne revient pas à la victime. Une victime qui veut retrouver ses fonds doit déposer un recours collectif. Nous soutenons parfois financièrement ce type de recours si nous pensons qu’il y a une chance qu’il aboutisse à quelque chose. Cela peut arriver mais il faut que quelqu’un prenne cette initiative ».

‘C’est à la police d’agir’

Alors qu’il s’alarme face à la perspective de milliers de fraudeurs aux options binaires qui utiliseraient leurs compétences et leurs ressources pour préparer une nouvelle arnaque, Hauser maintient de manière catégorique que les compétences d’action de l’ATI à leur encontre sont limitées. Il a seulement la possibilité d’enquêter sur une prochaine escroquerie si elle constitue une violation des lois sur les titres, dit-il.

Lui aussi a entendu des informations sur le fait que certaines entreprises israéliennes proposent d’aider les victimes de l’industrie des options binaires à récupérer leur argent, prenant des frais avant de disparaître. Mais, selon lui, un tel phénomène n’est pas du ressort de l’Autorité.

« Cela ressemble à une fraude mais c’est une fraude à laquelle la police doit s’attaquer : Cela ne relève pas de nos compétences. La police a des dizaines de milliers d’employés, nous sommes une très modeste agence gouvernementale », note Hauser. « C’est pour cela que nos compétences s’arrêtent à un domaine spécifique ».

Pour souligner les limites de son autorité, Hauser évoque une campagne médiatique lancée il y a quelques années à son encontre et qui dénonçait sa forte poigne au poste de régulateur, à laquelle avaient été ajoutées des attaques ad-hominem qui se référaient à ses anciennes compagnes et à leur vie malheureuse passée à ses côtés.

« Quelqu’un avait écrit l’article en utilisant de façon mensongère le nom d’un étudiant en doctorat de l’université de Haïfa. Je n’ai rien pu faire. J’ai dû aller moi-même à la police ».

Hauser indique qu’il est conscient de l’existence d’autres escroqueries commises par les fraudeurs aux options binaires, comme les « investissements en diamant » offerts par des commerciaux souvent francophones dans des centres d’appels situés en Israël, et des arnaques possibles aux crypto-devises. Mais dans chaque cas, précise-t-il, il est nécessaire de déterminer ce qui relève de la juridiction de l’ATI et celle qui relève de la police.

Une soirée organisée pour les cadres d’options binaires au Clara club, à Tel Aviv, le 12 août 2016 (Crédit : Raoul Wootliff/Times of Israel)

« Une ICO (Initial coin offering) a des composantes similaires à celles des offres publiques, mais dans la plupart des cas, elle n’est pas un titre : Alors, dans la mesure où il y aurait une fraude en liaison avec des ICO, cela pourrait ne pas relever de notre juridiction ».

A la question de savoir si l’Autorité des titres israélienne a pensé à mettre en place un système d’alerte, comme ceux qui existent aux Etats-Unis et au Canada, grâce auquel des citoyens peuvent se présenter avec des preuves de malversations et recevoir une récompense financière, Hauser dit y avoir réfléchi et rejeté l’idée.

« Nous avons évoqué à de nombreuses reprises des programmes de dénonciation. C’est très problématique. Il y a des gens qui dénoncent par conviction, pas pour l’argent. Le problème de l’argent complique les choses et nous ne pensons pas que ce serait viable d’un point de vue légal », dit-il.

Et dans tous les cas, Hauser estime qu’Israël n’a pas une « culture de la dénonciation ».

« Vous pouvez vous asseoir dans une salle de classe en Israël avec des élèves qui copient durant un examen et personne ne dira rien. Aux Etats-Unis, je pense que si un élève est vu en train de copier, on dira quelque chose ».

Malgré dix années d’une fraude qui n’a jamais cessé de se métastaser, la police israélienne a arrêté moins de dix escrocs aux options binaires et pas un seul n’a été condamné.

Le Times of Israel a demandé à la police israélienne si elle enquêtait sur des arnaques aux options binaires à grande échelle et autres types d’escroqueries perpétrées par des Israéliens contre des victimes à l’étranger. Le porte-parole de l’institution, Micky Rosenfeld, a répondu : « Je ne peux ni confirmer ni démentir que des enquêtes ont lieu. Si les victimes portent plainte, alors il est évident que la police enquêtera sur ces dossiers ».

Pourquoi la loi a-t-elle été édulcorée ?

La loi qui a été adoptée le 23 octobre est une version limitée du projet de législation qui avait été rédigé par Hauser et présenté au début de l’année. Le document original aurait non seulement interdit l’industrie des options binaires toute entière, mais également les entreprises de Forex et de CFD qui opèrent sans autorisation depuis Israël.

Elle a été par la suite édulcorée pour s’appliquer exclusivement aux options binaires. Les critiques ont déploré l’apparition d’une faille dans la loi susceptible d’être exploitée : Ainsi, les entreprises d’options binaires devraient tout simplement modifier le produit offert pour pouvoir continuer à fonctionner.

Pourquoi est-ce que cela a été si difficile d’adopter la loi sur les options binaires sous sa forme originale ? Selon Hauser, « je pense en général qu’il y a eu un consensus. Mais il y a eu une crainte que les entreprises technologiques – je ne sais pas si c’était une crainte réelle ou si quelque chose se cachait derrière – ne seraient pas en mesure de continuer leurs activités de développement technologique et il y a eu également le fait que nous n’avons pas exprimé suffisamment d’inquiétude pour ceux qui perdraient leur emploi ». (Lors d’une réunion de la Commission des Réformes de la Knesset organisée le 7 août, où le projet de loi devait être finalisé, des représentants du fournisseur de plate-formes pour options binaires SpotOption avaient affirmé que la loi d’interdiction des options binaires les empêcherait de vendre leur technologie qui, avaient-ils dit, devait être séparée du produit lui-même).

Hauser rejette l’idée que cette loi révisée réduise les pouvoirs de l’ATI.

« La loi originale était générale. Nous avons pensé à l’éventualité que quelqu’un vienne offrir des options binaires mais en les appelant autrement, disons ‘fleur rose’, et nous avons voulu nous assurer que ce ne serait pas possible. Mais des conseillers juridiques nous ont alors dit que la loi était trop vaste parce que les plate-formes de Forex sont autorisées dans la loi israélienne ».

Hauser déclare que la loi a été changée de manière à être plus précise et qu’elle n’empêche pas l’Autorité des titres de mettre un terme à des fraudes similaires.

« Si nous pensons qu’il y a un produit qui, sous appellation différente, n’en est pas moins une option binaire, nous avons la possibilité d’aller voir le ministre des Finances et de demander d’arrêter sa commercialisation. Nous n’avons pas besoin de la version [antérieure] élargie de la législation qui référençait également le Forex ».

Alors que l’interdiction des options binaires prendra effet au mois de janvier, la majorité des entreprises d’options binaires ont d’ores et déjà quitté le territoire, note Hauser.

« J’espère qu’elles ne s’installeront pas dans d’autres pays où on les laissera faire. Si des Israéliens fraudent dans d’autres pays, cela nous reviendra à la figure », déplore-t-il. « Mais on ne pourra pas dire que l’Autorité des titres israéliennes n’a pas fait tout ce qui était possible pour arrêter cela ».

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