« Teva, on n’en veut pas » : « Je ne vois pas ce qu’on me reproche » – Olivia Zemor
L'activiste, qui s’était présentée aux européennes aux côtés de Dieudonné en 2004, comparaissait pour diffamation et incitation à la discrimination économique

« Peut-on mettre en cause une société au nom d’un débat géopolitique ? » : à Lyon, la directrice de publication du site Europalestine était assignée mardi par l’entreprise pharmaceutique israélienne Teva pour avoir relayé un appel au boycott lancé dans cette ville par des militants de la cause palestinienne.
« Je ne vois pas ce qu’on me reproche », a affirmé à la barre Olivia Zemor, dont une centaine de soutiens sont restés aux portes de la salle d’audience, pandémie oblige.
L’ancienne journaliste comparaissait devant le tribunal correctionnel pour diffamation et incitation à la discrimination économique après avoir fait état sur son site, sous le titre « Teva, on n’en veut pas », de l’action de Lyonnais anti-israéliens devant la plus grande pharmacie de cette ville en 2016.
La société Teva Santé, implantée en France et dont la maison-mère a son siège en Israël, est le leader mondial des médicaments génériques.
Vêtus de pulls verts sur lesquels on pouvait lire « Free Palestine » et « Boycott Israël », des activistes avaient incité les consommateurs à ne pas acheter de médicaments produits par Teva et à placer des autocollants de refus de la marque sur leur Carte vitale.

L’initiative s’inscrivait dans le mouvement BDS (« boycott, désinvestissement et sanctions »), une campagne mondiale de boycott économique, culturel ou scientifique d’Israël.
« Une action bon enfant » relevant d’une « démarche citoyenne », selon le président du collectif 69 de soutien palestinien, cité comme témoin. « Des attitudes qui nourrissent le nouvel antisémitisme », avance plutôt Franck Serfati, avocat du Bureau national de vigilance contre l’antisémitisme (BNVCA), qui, avec deux autres associations pro-israéliennes, s’est constitué partie civile. Il a évoqué le spectre des tueries de l’Hypercacher et de l’école Ozar Hatorah, « des crimes commis au nom de cet idéal politique ».
« Jusqu’à quand va-t-on jouer à ça ? », s’est indigné Mme Zemor dont « une partie de la famille n’est jamais revenue des camps ». « J’ai boycotté les produits thaïlandais à l’époque où ce pays faisait travailler des enfants et on ne m’a jamais dit que je discriminais à raison de l’appartenance à une nation », s’est-elle défendu.
« Dépassé par le débat »
Pour l’avocate pro-palestinienne Dominique Cochain, qui a assisté à d’autres procès d’Olivia Zemor, « les parties civiles sont dans une démarche harcelante et contraire à la liberté d’expression ».
Un médecin de Villeurbanne dit de son côté avoir refusé les Cartes vitales anti-Teva, redécorées avec les autocollants distribués par les militants qui en revendiquent 300 000 dans tout le pays. « Je ne veux pas de la politisation du système de santé », explique ce témoin au tribunal. Le praticien propose plutôt aux patients une feuille de soins. L’un d’eux filme la scène avant de le livrer à la vindicte sur Facebook. Titrée « Médecin juif refuse la carte vitale », la vidéo donne lieu à de nombreux commentaires antisémites.
« Je suis dépassé par ce débat », recentre Me Frédéric Jeannin qui plaide pour Teva qui « paie ses impôts en France et dont les médicaments génériques permettent à l’assurance maladie de faire 275 millions d’euros d’économie par an », quand ses contempteurs l’accusent de financer l’armée israélienne.
L’affaire, qui aurait initialement dû être jugée lors du premier confinement, a été plaidée après qu’en juin dernier un arrêt de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) a condamné la France dans une affaire similaire (des militants s’étaient infiltrés dans un supermarché d’Alsace pour y appeler au boycott de produits israéliens).
La CEDH avait alors estimé que les faits « relevaient de l’expression politique et militante », ce que n’ont pas manqué de rappeler les avocats de la défense.
Au terme de 7 heures d’audience, le procureur a requis une amende de
2 000 euros à l’encontre d’Olivia Zemor. La décision des juges est attendue le 18 mai.
La loi française définit comme discrimination « le fait d’entraver l’exercice normal d’une activité économique quelconque » (art.225-2 code pénal) à raison de « l’appartenance ou de la non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une Nation, une prétendue race ou une religion déterminée. » (art.225-1) et la punit « de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende ». Elle punit comme provocation « ceux qui […] auront provoqué à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée […] d’un emprisonnement d’un an et d’une amende de 45 000 € ou de l’une de ces deux peines seulement […] » (24 alinéa 8 de la loi du 29 juillet 1881).
En 2012, Olivia Zemor avait été reconnue coupable d’avoir « incité à la haine ou à la violence à l’égard d’un groupe de personnes, à raison de leur appartenance à une nation déterminée, l’État d’Israël ».
La cour d’appel de Paris l’avait condamnée à 1 000 euros d’amende avec sursis, à un euro de dommages et intérêts au Bureau de vigilance contre l’antisémitisme et à la chambre de commerce France-Israël, et à 1 500 euros au titre des frais de justice.
En 2004, elle s’était présentée aux élections européennes aux côtés de Dieudonné, condamné depuis à de multiples reprises pour antisémitisme.