Israël en guerre - Jour 472

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Reportage

Ukraine : L’étrange hameau Habad dont Rudolph Giuliani est le maire honoraire

Quel est le lien entre une communauté religieuse pour réfugiés nommée d'après le village d'“Un Violon sur le toit”, la Russie et la destitution de Trump ? Nous sommes allés voir

Simona Weinglass est journaliste d'investigation au Times of Israël

  • Le principal immeuble résidentiel du hameau juif ukrainien d'Anatevka. (Crédit : Simona Weinglass/Times of Israel)
    Le principal immeuble résidentiel du hameau juif ukrainien d'Anatevka. (Crédit : Simona Weinglass/Times of Israel)
  • Le village juif ukrainien d'Anatevka, le 14 janvier 2020. (Crédit : Simona Weinglass/Times of Israel)
    Le village juif ukrainien d'Anatevka, le 14 janvier 2020. (Crédit : Simona Weinglass/Times of Israel)
  • Les réfugiés juifs d'Anatevka célèbrent l'inauguration de la nouvelle synagogue de la communauté, le 29 février 2016. (Crédit : autorisation du bureau du rabbin Moshe Azman)
    Les réfugiés juifs d'Anatevka célèbrent l'inauguration de la nouvelle synagogue de la communauté, le 29 février 2016. (Crédit : autorisation du bureau du rabbin Moshe Azman)
  • Rues tranquilles d'Anatevka, Ukraine, le 14 janvier 2020. (Simona Weinglass/Times of Israel)
    Rues tranquilles d'Anatevka, Ukraine, le 14 janvier 2020. (Simona Weinglass/Times of Israel)

ANATEVKA, Ukraine – La route qui mène à Anatevka est bordée de gratte-ciels de l’époque soviétique.

Alors que le centre-ville pittoresque de Kiev est rempli de restaurants et de cafés chics, en quittant la capitale ukrainienne, l’architecture bascule brusquement vers des bâtiments délabrés et austères dont mon interprète, Galya Rudyk, dit qu’ils « ne sont pas plus beaux à l’intérieur ».

« C’est ainsi que vit une personne moyenne, dans un appartement de 50 mètres-carrés avec une petite cuisine et une salle de bain minuscule », a-t-elle ajouté.

L’Ukraine est l’un des pays les plus pauvres d’Europe, avec un PIB par habitant de 3 250 euros, selon le Fonds monétaire international (FMI). De son côté, Israël possède un PIB par habitant de 38 746 euros, alors que celui des États-Unis s’élève à 58 910 euros. Rudyk a déclaré que sa mère, obstétricienne, gagne environ 180 euros par mois ; son père, officier militaire, environ 540 euros.

Façade d’un immeuble d’appartements de l’époque soviétique à Kiev, en Ukraine, le 6 novembre 2012 (Crédit : Lewinn/iStock)

Après un trajet de 50 minutes, nous arrivons à destination.

Anatevka est une enceinte fermée qu’il serait difficile d’appeler un village.

Bien qu’il ressemble un peu à un plateau de cinéma, il semble être un endroit décent pour y vivre. Il y a, nous le verrons plus tard, un tout nouveau terrain de jeu et un terrain de football, et l’immeuble principal arborait peinture fraîche et grandes fenêtres.

Le principal immeuble résidentiel du hameau juif ukrainien d’Anatevka. (Crédit : Simona Weinglass/Times of Israel)

L’entrée dans le village n’a cependant pas été simple.

Un garde en tenue de camouflage nous a arrêtés à la porte, nous disant qu’il nous fallait l’autorisation de Rabbi Azman à Kiev pour entrer.

Mais quand j’ai appelé Yossi Azman, l’un des fils du rabbin, il s’est montré peu serviable, même s’il s’est excusé. « Nous avons eu trop de problèmes avec les journalistes », a-t-il dit. « La plupart d’entre eux sont malhonnêtes. Au début, nous les avons laissés entrer, nous leur avons tout montré, et ils ont trahi notre confiance. Je ne dis pas que vous êtes l’un des malhonnêtes, mais nous ne laissons plus les journalistes visiter Anatevka ».

Anatevka, un camp de personnes déplacées au sud-ouest de Kiev, a été construit de toutes pièces en 2015 par le rabbin Habad Moshe Azman, qui préside la synagogue Brodsky restaurée du 19e siècle dans le centre de la capitale ukrainienne.

A LIRE : Quand la Russie a envahi l’Ukraine, les rabbins aussi se sont faits la guerre

La population du hameau serait comprise entre 65 et 150 personnes, selon les informations. Son objectif est de loger, nourrir, éduquer et fournir une formation professionnelle aux réfugiés juifs de la guerre dans l’est de l’Ukraine, dans laquelle plus de 10 000 personnes sont mortes et plus d’un million d’Ukrainiens ont été déplacés. En 2016, Azman avait indiqué au magazine Foreign Policy qu’il espérait qu’un jour 500-600 personnes pourraient vivre ici.

Le village fictif d’Anatevka dans le film de 1971 “Un violon sur le toit ». (Capture écran / YouTube)

Jusqu’en octobre 2019, la publicité dont Anatevka a bénéficié portait essentiellement sur la nouveauté d’un hameau juif s’élevant dans les steppes d’Ukraine, dont le nom est tiré du shtetl fictif de la comédie musicale de Broadway « Un Violon sur le toit ».

Dans une vidéo de collecte de fonds datant de 2016, Moshe Azman chante même en play-back et danse sur la chanson phare de l’œuvre : « If I Were a Rich Man ».

En fait, le terrain qu’Azman a acheté pour construire l’enceinte se trouve à côté d’un village du 16e siècle appelé Hnativka, qui, selon certains spécialistes, est à l’origine de la ville d' »Anatevka » qui apparaît dans la fiction de l’écrivain yiddish Sholem Aleichem et plus tard dans la comédie musicale « Fiddler ». (Sholem Aleichem a situé ses histoires de « Tevye le laitier », qu’il a commencé à écrire en 1894, dans une ville qu’il a appelée Boyberik, mais certains des personnages venaient d’Anatevka, une ville voisine. Dans la comédie musicale, Anatevka devient le décor principal. C’est probablement la raison pour laquelle, lorsque nous avons tapé « Anatevka » dans Waze, nous nous sommes retrouvés dans un village ordinaire non loin de l’enceinte juive).

Un projet à la une

En octobre 2019, une tournure dramatique des événements a propulsé Anatevka, le vrai hameau, sous les feux de la rampe.

Le 10 octobre, un citoyen américain d’origine biélorusse nommé Igor Fruman et un citoyen américain d’origine ukrainienne, Lev Parnas, ont été arrêtés à l’aéroport de Dulles, près de Washington, inculpés d’avoir acheminé de l’argent étranger à des candidats politiques républicains. Les journalistes ont commencé à enquêter sur toutes les sociétés et organisations caritatives enregistrées par les deux hommes, y compris une organisation appelée American Friends of Anatevka, une association à but non lucratif exonérée d’impôts créée en octobre 2017 par Igor Fruman, en collaboration avec le rabbin Azman. Lev Parnas aurait également été membre du conseil d’administration.

Les mois suivants, des médias ont révélé le rôle d’Anatevka dans les événements qui ont conduit au processus de destitution du président américain Donald Trump. Le 9 mai 2019, l’avocat de Trump, Rudy Giuliani, indiquait au New York Times qu’il prévoyait de se rendre en Ukraine dans les prochains jours pour prononcer un discours rémunéré devant un groupe juif sur la politique au Moyen-Orient. Un jour plus tard, il annulait son déplacement en raison du tumulte suscité par son intention de rencontrer le président ukrainien Volodymyr Zelensky pendant sa visite et de le presser de mener des enquêtes perçues comme bénéfiques pour la candidature de Trump à sa réélection en 2020.

Le groupe juif en question s’est révélé plus tard être American Friends of Anatevka. Au lieu d’Anatevka, Rudy Giuliani s’est rendu à Paris, où il a rencontré le rabbin Azman, a reçu une clé surdimensionnée du hameau et en a été nommé maire honoraire. L’avocat aurait également rencontré à Paris ce mois-là Dmitry Torner, un cadre d’une société appartenant au magnat ukrainien du gaz Dmytro Firtash. Dmitry Torner avait été membre du parti d’opposition pro-russe « Platform-For Life ».

Le rabbin Habad de Kiev Moshe Azman (à gauche) rencontre l’avocat Rudy Giuliani à Paris le 21 mai après que ce dernier ait annulé son voyage prévu en Ukraine. Le 13 mai, Azman a annoncé sur Facebook qu’il allait demander à Giuliani d’être le maire honoraire du hameau d’Anatevka. (Facebook)

Depuis l’arrestation de Fruman et de Parnas, la couverture médiatique d’Anatevka a oscillé entre mensonges et scepticisme.

Un article paru le 5 décembre dans Israel Hayom [lien en hébreu] décrit Anatevka comme un succès retentissant, avec une liste d’attente de jeunes familles, pas toutes réfugiées, cherchant à s’installer.

« Anatevka continue de grandir et de se développer et prend le caractère d’une communauté. Tous les quelques mois, un nouvel immeuble d’appartements est construit », rapporte l’article.

En revanche, un article paru en novembre dans Bloomberg News s’interrogeait sur le fait de savoir si Anatevka était ce qu’elle prétendait être, un refuge pour les Juifs fuyant le conflit armé dans l’est de l’Ukraine. Il suggérait que le nombre de réfugiés réels vivant dans cette région était faible et rapportait que les procureurs de New York avaient examiné les dossiers bancaires de l’American Friends of Anatevka dans le sillage de l’acte d’accusation de Parnas et Fruman du 10 octobre.

Dans cette capture d’écran tirée d’une vidéo promotionnelle de juin 2018 pour Anatevka, on peut voir (à droite) l’associé de Giuliani inculpé Igor Fruman lors d’un mariage dans le hameau ukrainien d’Anatevka. On peut voir le rabbin Moshe Azman en arrière-plan portant un toast (Capture d’écran YouTube)

« Les questions qui pèsent sur Anatevka sont de savoir si c’est ce que ses commanditaires prétendent – un refuge pour les Juifs chassés de l’est de l’Ukraine par la guerre séparatiste soutenue par la Russie – et quel rôle, le cas échéant, elle a joué alors que Giuliani, Parnas et Fruman cherchaient à persuader les responsables ukrainiens d’enquêter sur les opposants politiques de Trump aux États-Unis », note l’article de Bloomberg.

Observation en direct

Après que Yossi Azman, le fils du rabbin, a dit que mon traducteur et moi ne pouvions pas entrer à Anatevka, nous avons demandé au garde si nous pouvions faire le tour du périmètre du projet et prendre des photos par-dessus le mur.

« Ce n’est pas interdit. Je ne peux pas vous en empêcher », a déclaré le garde.

Un garde à l’entrée du hameau juif ukrainien d’Anatevka, près de Kiev. (Simona Weinglass/Times of Israel)

Anatevka se trouve au milieu d’un champ, dans une zone où l’étalement des banlieues fait place à la campagne. La température était de 2 degrés Celsius, une température inhabituellement chaude pour la saison à Kiev en janvier. L’air était frais, avec une légère odeur de bois brûlé. Nous nous sommes frayés un chemin à travers une épaisse boue noire, dont Rudyk m’a dit qu’elle était extrêmement fertile.

« C’est la fameuse terre noire ukrainienne qui fait pousser des pommes de terre ; elle fait tout pousser en fait », a-t-elle déclaré.

Nous avons vu une petite structure blanche à l’extérieur du mur, dont nous avons appris plus tard qu’elle était la tombe d’un célèbre rabbin hassidique, Mordechai Twersky de Tchernobyl (1770-1837).

Promenade dans le périmètre d’Anatevka, le 14 janvier 2020. (Simona Weinglass/Times of Israel)

Nous avons pris des photos d’Anatevka par-dessus le mur qui l’entoure. Nous avons vu une école, peinte en bleu pastel, vert et orange. Nous avons vu un immeuble d’habitation où une femme blonde nous regardait avec curiosité. Nous avons vu une serre et une synagogue, et plusieurs écoles qui semblaient être en activité, avec des lettres hébraïques au pochoir perceptibles à travers les fenêtres.

Partout, les ouvriers construisaient. Des bus scolaires et des camions chargés de bois de chauffage se tenaient devant la porte. Un garçon aux joues roses et bouffi, vêtu d’un manteau d’hiver, courait entre les bâtiments.

Les rues d’Anatevka étaient pour la plupart vides, mais un membre de la communauté juive nous avait dit que certains de ses résidents avaient un emploi ailleurs et n’étaient pas là pendant la journée.

Rues tranquilles d’Anatevka, Ukraine, le 14 janvier 2020. (Simona Weinglass/Times of Israel)

L’Ukrainegate des Monty Python ?

La veille de notre visite à Anatevka, un collègue du Times of Israel et moi-même avons rencontré Arnold Kremenchutsky, un cinéaste pro-occidental et membre actif de la synagogue Brodsky d’Azman, ainsi qu’un ami de longue date d’Igor Fruman. En mangeant une pizza casher dans le quartier de Podol à Kiev, Kremenchutsky a partagé ses idées sur la vie en Ukraine, la politique, le cinéma, l’identité juive et bien d’autres sujets.

Kremenchutsky nous a dit qu’il trouvait ridicule l’idée qu’Anatevka puisse avoir un rôle dans une quelconque conspiration internationale.

Arnold Kremenchutsky à Kiev, Ukraine, le 13 janvier 2020. (Simona Weinglass/Times of Israel)

« Si Trump avait fait quelque chose de criminel, il serait en prison en une seconde, c’est des États-Unis d’Amérique dont nous parlons », a déclaré Kremenchutsky.

« Giuliani peut décrocher le téléphone et demander à n’importe qui dans l’univers de l’appeler en cinq ou dix minutes. Il n’a pas besoin de Fruman et de Parnas – pour moi, c’est les Monty Python. C’est une comédie. Je ne connais pas la vérité, mais nous vivons à une époque de paranoïa. Je pense que le Congrès américain souffre également de paranoïa.

« S’est-il passé quelque chose entre Parnas, Fruman, Giuliani et Moshe Azman ? Nous verrons dans quelques années. Ce sera drôle. J’aimerais produire ce film : Ukraniagate. »

A l’intérieur d’Anatevka

Alors que Rudyk et moi continuions à marcher dans le périmètre boueux d’Anatevka en essayant d’apercevoir la vie à l’intérieur, j’ai réfléchi à ce que Kremenchutsky avait dit la veille au soir. Ce que nous faisions me semblait un peu idiot. Il n’y avait pas grand-chose à voir, à part un groupe de bâtiments. J’ai levé mon téléphone pour prendre une autre photo, quand j’ai vu un homme à l’intérieur qui s’approchait. Il nous a demandé qui nous étions.

« Dobry den », dit Rudyk en ukrainien. « Je suis ici avec une journaliste d’Israël. »

L’homme s’est adressé à moi en hébreu. Peut-être que lorsqu’il m’a entendu répondre dans la langue sainte, son attitude s’est adoucie.

Le hameau juif ukrainien d’Anatevka, le 14 janvier 2020. (Simona Weinglass/Times of Israel)

« Vous pouvez entrer, mais juste pour regarder autour de vous. Vous ne pouvez pas parler aux gens », a-t-il dit. « Je suis désolé de la situation, mais nous avons eu de très mauvaises rencontres avec des journalistes. »

L’homme nous a fait faire le tour. Il ne nous a pas dit son nom, mais nous avons cru comprendre qu’il était peut-être l’un des fils de Rabbi Moshé Azman. Il a dit qu’il avait appris l’anglais et qu’il aimait lire le Times of Israel.

Il nous a montré une école primaire qu’il a qualifiée de Moderne Orthodoxe, ce qui signifie que les garçons et les filles étudient ensemble. Il nous a montré une autre école en construction, qui ne serait que pour les filles. « C’est un orphelinat », a-t-il fait remarquer, en montrant les bâtiments que nous avons traversés.

« Y a-t-il des orphelins de la guerre dans le Donbass ? »

« Oui », répondit-il.

Il a indiqué un grand bâtiment, en construction, qui, selon lui, serait le plus grand mikveh, ou bain rituel juif, au monde. Deux musées – l’un consacré aux Juifs d’Ukraine et l’autre à la culture hassidique – sont en cours de réalisation.

Enfin, nous sommes entrés dans un atelier de menuiserie, où trois hommes travaillaient allègrement. Les étagères étaient remplies de jouets en bois, de crécelles pour Pourim, et de boîtes de kippot qui, selon notre guide, étaient faites à la main par les habitants et les écoliers.

« Les habitants d’Anatevka les offrent en cadeau avant les fêtes ».

Jouets en bois et Judaica dans l’atelier de menuiserie à Anatevka, Ukraine, le 14 janvier 2020. (Simona Weinglass/The Times of Israel)

Nous sommes passés devant une sculpture d’arbre avec les noms des donateurs d’Anatevka inscrits sur des plaques de métal. Les noms étaient en écriture cyrillique, délavés par le soleil et la pluie.

« Nous sommes tous les deux adultes », a déclaré notre guide. « Je sais que vous êtes intéressés par les noms de nos donateurs. Mais vous n’y trouverez pas de noms que vous reconnaissez, seulement des Ukrainiens locaux ».

J’ai terminé la promenade autour d’Anatevka plutôt charmée, et persuadée que même si le nombre de personnes qu’elle aidait en leur donnant un foyer, une éducation et une communauté n’était pas très important, comme l’ont prétendu certains reportages, elle semblait être un endroit agréable et positif pour vivre, quel que soit le nombre de familles qu’elle accueillait.

J’ai provisoirement conclu qu’Arnold Kremenchutsky avait eu raison de rire à l’idée qu’une communauté Habad chaleureuse et accueillante était en quelque sorte prise dans une quelconque intrigue géopolitique.

Une connexion binaire

En quittant Anatevka, j’ai vu quelque chose qui m’a fait réfléchir.

« Cet immeuble a été offert par Ilan Tzorya, que Dieu le bénisse », proclamait une plaque en hébreu sur l’immeuble principal du projet.

Ilan Tzorya, un Israélien, est le fondateur et a été le propriétaire du fournisseur de plateforme d’options binaires Tradologic, au moins jusqu’à la fin de 2017. Les options binaires, comme l’a documenté cette journaliste, étaient une industrie d’investissement en ligne largement frauduleuse qui a volé des milliards de dollars à des millions de personnes ordinaires dans le monde entier et a été interdite par la Knesset israélienne en 2017.

Une liste des marques d’options binaires telles qu’elles apparaissaient sur le site Tradologic.com en juillet 2015. (Capture d’écran)

Tradologic exploitait une cinquantaine de sites web à options binaires, dont beaucoup sur la base d’un partage des revenus, notamment un site appelé Blue Bit Banc, dont le propriétaire, Blake Kantor, a été mis en accusation par un grand jury américain en avril 2018. L’accusation a allégué que le logiciel informatique (c’est-à-dire Tradologic), utilisé par Blue Bit Banc, « a permis à Blue Bit Banc de manipuler [frauduleusement] les données associées aux options binaires des investisseurs de sorte que la probabilité que les investisseurs réalisent un bénéfice favorise Blue Bit Banc ».

Tzorya n’a jamais été personnellement accusé d’un quelconque méfait par les différents services de police qui ont enquêté ou poursuivi les sites web gérés par Tradologic.

Financement de l’EAJC

Tout près, j’ai alors remarqué qu’un autre bâtiment proclamait qu’il avait été financé par le Congrès juif euro-asiatique (Euro-Asian Jewish Congress – EAJC). Un article [lien en hébreu] paru dans Israel Hayom précise que le président de l’EAJC, Mikhaïl Mirilachvili, et son fils Yitzhak Mirilachvili comptent parmi les principaux donateurs du projet.

Mikhaïl Mirilachvili, qui serait le troisième homme le plus riche de Saint-Pétersbourg [lien en hébreu], fait des dons à des dizaines d’organisations caritatives en Israël, et est associé à des personnalités publiques de premier plan en Russie, en Israël et aux États-Unis. Dans une interview accordée en décembre 2019 au magazine Calcalist, Mirilashvili, qui a une photo de lui avec Poutine accrochée dans son bureau, a déclaré [lien en hébreu] qu' »à ma grande peine », il ne connaît le président russe que de façon indirecte ».

En Israël, Mirilashvili serait proche à la fois du Premier ministre Benjamin Netanyahu [lien hébreu] et du chef du Mossad Yossi Cohen [lien hébreu]. Comme l’ont largement rapporté les médias israéliens, Mirilashvili et son fils ont été interrogés par la police israélienne sur les importantes sommes qu’ils ont données à une organisation caritative contrôlée par Yaffa Deri, l’épouse du ministre de l’Intérieur israélien Aryeh Deri. La police soupçonne que les Deri ont utilisé l’argent pour leur propre bénéfice personnel. Mirilashvili a nié tout méfait dans cette affaire, tout comme les Deri.

Le célèbre Mirilashvili est également un partenaire commercial d’Alan Dershowitz, un éminent avocat américain et avocat de la défense du président Trump. Dershowitz est devenu actionnaire de la start-up Watergen de Mirilashvili, qui extrait l’eau de l’air, en septembre 2017. La société a signé un accord de coopération en matière de recherche et de développement avec l’Agence de protection de l’environnement en 2018 et ses revenus prévus pour 2019 se chiffraient en centaines de millions de shekels.

Retour à Kiev

Sur le chemin du retour vers Kiev, j’ai posé à Rudyk des questions sur la vie en Ukraine.

« Pourquoi ce pays est-il si pauvre ? »

« Corruption », a-t-elle répondu sans hésiter.

A LIRE : Zelensky veut s’attaquer au passé sombre de l’Ukraine et améliorer son avenir

« La première chose que je dis aux étrangers sur l’Ukraine est que, oui, l’Ukraine est vraiment corrompue. Quand vous allez à l’hôpital, vous voyez des gens qui donnent des pots-de-vin au médecin. Quand vous mettez vos enfants à l’école, vous donnez de l’argent aux enseignants pour qu’ils puissent mieux leur enseigner ».

Cette corruption s’étend jusqu’au sommet, a-t-elle dit, où les politiciens et les juges acceptent des pots-de-vin des hommes d’affaires comme une évidence.

« La plupart des gens voient que leurs salaires sont faibles. Mais ils voient que les politiciens d’ici vivent bien et ont de belles voitures et partent en vacances ».

M. Rudyk a déclaré que la plupart des Ukrainiens ont intériorisé la croyance, en principe du moins, que si le pays peut assainir la corruption, le niveau de vie augmentera. Le président ukrainien Volodymyr Zelensky, qui a fait campagne sur un programme anti-corruption, a remporté 73 % des voix aux élections d’avril 2019.

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky, interviewé par « The Times of Israel » dans son bureau à Kiev, le 18 janvier 2020. (Service de presse du Bureau du Président de l’Ukraine)

Dans une interview accordée au Times of Israel peu après mon retour de Kiev, Zelensky a déclaré que la lutte contre la corruption serait longue et difficile, et qu’elle nécessitait des réformes fondamentales dans l’établissement des forces de l’ordre en Ukraine. « Mais quand nous aurons ces institutions fortes, nous mettrons fin à toute la corruption. »

Il est difficile pour les Ukrainiens ordinaires de changer des habitudes comme l’évasion fiscale et le versement de pots-de-vin, a déclaré Mme Rudyk, mais elle pense que les mœurs changent.

Fin 2013 et 2014, des centaines de milliers de manifestants ukrainiens se sont rendus sur la place Maidan de Kiev, d’abord pour protester contre la décision de leur président pro-russe de l’époque de ne pas signer d’accord de libre-échange avec l’Union européenne, puis pour protester contre le président Viktor Ianoukovitch lui-même, dont la police anti-émeute a frappé des manifestants non armés et qui s’est beaucoup enrichi aux dépens de ce qui était perçu comme des Ukrainiens ordinaires.

Ianoukovitch a finalement fui en Russie ; peu après, la Russie a envahi la Crimée tandis que les séparatistes soutenus par la Russie ont commencé à combattre les troupes ukrainiennes dans la région du Donbass, dans des conflits qui se poursuivent. Le gouvernement russe considère l’Ukraine comme faisant partie de sa sphère d’influence, a déclaré Rudyk, et il est mécontent que les Ukrainiens ordinaires aient cherché avec défi à se forger leur propre destin et à se rapprocher de l’UE. Le président russe Vladimir Poutine aurait déclaré que « l’Ukraine n’est pas un pays ».

Galya Rudyk devant Anatevka, Ukraine, le 14 janvier 2020. (Simona Weinglass/Times of Israel)

J’ai demandé à Rudyk ce qui différencie l’Ukraine de la Russie, puisque de nombreux Ukrainiens parlent russe et que de nombreuses coutumes et traditions de ces pays sont similaires.

« La différence que je vois maintenant entre les Ukrainiens et les Russes », a-t-elle déclaré, « est que lorsque quelque chose de scandaleux ou de corrompu se produit, notre peuple descend dans la rue pour protester. Les Ukrainiens sont plus pro-actifs. Mais je vois maintenant que les Russes ont également commencé à protester dans les rues et n’ont pas peur de sortir. J’avais l’habitude de penser qu’ils étaient plus timides que nous. Ils ne voulaient pas vivre dans un état policier sous Poutine, mais ils restaient chez eux ».

Arnold Kremenchutsky, le cinéaste, s’était fait l’écho des propos de Rudyk.

« Je pense que les Ukrainiens et les Russes ont des traditions différentes en matière de communauté ou d’organisation sociale », a-t-il déclaré.

« Les Russes comptent plus sur le tsar ou le roi – ce n’est pas de l’esclavage mais c’est comme s’il y avait un roi, un tsar, quelqu’un d’autre qui arrangerait les choses pour nous. Mais les Ukrainiens veulent la liberté. Nous sommes plus proches d’une mentalité européenne. Il y a des Russes progressistes qui pensent comme nous, ce ne sont pas tous les Russes. Je dirais que ce que beaucoup d’Ukrainiens détestent, c’est la mentalité soviétique, Poutine, le KGB et tout ça ».

En arrivant dans le centre de Kiev, Rudyk a indiqué une église jaune vif, la cathédrale Saint-Volodymyr.

« C’est l’une des plus belles églises de Kiev. Mes parents y vont lors des grandes fêtes. Nous n’allons pas à la plus grande église de Kiev parce qu’elle est pro-russe. Les prêtres y reçoivent de l’argent de la Russie et prennent le parti de la Russie dans la guerre. »

La cathédrale Saint-Volodymyr dans le centre de Kiev, le 3 décembre 2018. (Leonid Andronov/iStock)

Rudyk a déclaré que certains prêtres orthodoxes moscovites en Ukraine vivent somptueusement, conduisent des voitures de luxe et semblent avoir plus d’argent que leurs homologues pro-ukrainiens. Il y a eu plusieurs révélations scandaleuses dans les médias ukrainiens montrant des prêtres vivant d’une manière qui ne convient pas aux hommes d’église, a-t-elle dit.

« Pensez-vous que parce qu’ils reçoivent de l’argent du gouvernement russe, ils se sentent obligés de prendre le parti de la Russie dans la guerre ? » ai-je demandé.

« Oui », répondit-elle.

Je me suis demandé si la même dynamique pouvait se produire dans la communauté juive. Est-il possible que le gouvernement russe finance directement ou indirectement les communautés juives, et leurs dirigeants se sentiraient-ils alors obligés de faire ou de dire des choses pour faire avancer les intérêts russes ? En apparence, la réponse est non, puisqu’il n’y a pas de rabbin à Kiev qui épouse publiquement des vues pro-russes.

Réunion à la synagogue

Quelques heures après mon retour à la capitale, je rencontre Yossi Azman, le fils du rabbin Moshe Azman qui n’avait pas voulu que j’entre à Anatevka, à la synagogue Brodsky dans le centre de Kiev.

Yossi Azman m’a dit que son père est le grand rabbin de Kiev, bien qu’il ne soit pas un représentant officiel du mouvement Habad. Il a dit que la synagogue du 19e siècle, qui avait servi de théâtre de marionnettes à l’époque soviétique, a été rendue à la communauté juive dans les années 1990 sur ordre de son père. En 2000, elle a été restaurée, avec l’aide généreuse de donateurs dont les noms figurent sur des plaques de cuivre dans le hall d’entrée. La plus grande de ces plaques porte le nom de Vadim Rabinovich, qui est actuellement un politicien du parti ukrainien Plateforme d’opposition-Pour la vie.

La synagogue Brodsky dans le centre de Kiev, décembre 2019. (Facebook)

« Cette communauté est une adresse pour chaque aspect de la vie juive en Ukraine », a déclaré fièrement Yossi Azman.

« Nous avons un restaurant, une école, un jardin d’enfants, un heder, une école de filles, un orphelinat et des programmes pour tous les âges ».

Selon Azman, la synagogue nourrit régulièrement 200 personnes dans le besoin. J’ai pu voir certains d’entre eux dans la salle à manger où nous nous sommes assis pour parler – des résidents âgés de Kiev dont le visage était buriné par les difficultés. Certains avaient apporté des récipients en plastique pour emporter de la nourriture chez eux.

Azman a déclaré que la synagogue fournit gratuitement des médicaments et des interventions chirurgicales à la communauté, car les services médicaux en Ukraine sont si pauvres. Il a également mentionné que sa synagogue a une communauté israélienne, qui a commencé il y a un an, et compte maintenant 120 membres dans son groupe Facebook. Cela aide les Israéliens à se sentir moins seuls dans une ville étrangère, a-t-il dit, tout en les reliant à leurs racines juives.

Prière du matin à la synagogue Brodsky, le 13 janvier 2020. (Simona Weinglass/Times of Israel)

« Nous avons récemment organisé une fête de Hanoukka [pour les Israéliens]. C’était formidable ».

J’ai interrogé Azman sur les contributions à Anatevka d’Ilan Tzorya et du Congrès juif euro-asiatique.

« Pensez-vous que certains de vos donateurs pourraient être considérés comme pro-russes ? »

« Je demanderais de ne pas parler de politique », a-t-il répondu. « Nous sommes au service de la lumière, des bonnes actions. »

« Quand vos donateurs vous donnent de l’argent », ai-je demandé, « c’est sans demander quelque chose en retour ? »

« A Dieu ne plaise », répondit Azman. « Les gens donnent uniquement parce qu’ils veulent contribuer aux grandes choses que nous faisons. Je crois que les gens qui nous donnent de l’argent donnent de tout leur cœur et sans conditions ».

Azman a ajouté qu’il voulait corriger toute impression selon laquelle il y aurait beaucoup d’argent dans la synagogue Brodsky.

Yossi Azman, gabbai de la synagogue Brodsky dans le centre de Kiev. (Facebook)

« C’est une grosse erreur. Autrefois, il y avait beaucoup d’argent ici, avant 2008. Aujourd’hui, la situation économique est difficile. C’est cette impression que je veux dissiper. Si un donateur pense que nous avons de l’argent, il ne voudra pas contribuer. Nous ne recevons pas d’argent de l’État. Cet endroit n’existe que grâce aux dons ».

Azman a mentionné Anatevka, et a dit que les plus grands et les plus importants médias du monde avaient fait la queue et demandé à visiter le projet, mais que lui et son père les avaient refusés. Il a déclaré que dans l’ensemble, il s’était fait une très mauvaise opinion des journalistes.

« Ces journalistes », ai-je suggéré, « pensent que certains de vos donateurs sont peut-être des oligarques ayant un lien avec la Russie, et que cela vous influence – que la communauté juive est peut-être utilisée à des fins politiques ».

Des personnes âgées de Kiev reçoivent des repas gratuits à la synagogue Brodsky, le 14 janvier 2020. (Simona Weinglass/Times of Israel)

« Je n’aborderai pas cette question car elle peut être prise dans toutes sortes de directions. Nous ne sommes intéressés que par la lumière et la bonté, rien d’autre », a déclaré M. Azman. « Le rabbi de Loubavitch a dit que l’obscurité n’est pas chassée par des balais et des bâtons, mais par la lumière ».

Je me suis rendu compte que nous, les journalistes, avons un dicton similaire : « La lumière du soleil est le meilleur désinfectant ». Mais ce qu’Azman entend par lumière, c’est se concentrer sur les bonnes actions et les bonnes pensées, tandis que ce que les journalistes entendent, c’est exposer des réalités inconfortables, dans le but d’améliorer les choses. Je n’étais pas sûr que les deux positions puissent se concilier.

J’ai remercié Azman pour l’interview, et j’ai demandé : « Y a-t-il quelque chose que vous aimeriez ajouter ? »

« Toute l’agitation qui règne dans le monde en ce moment, » a-t-il dit, « ce sont des signes de la venue du Messie. Il viendra et résoudra tous nos problèmes. J’espère donc que vous pourrez rapporter les nouvelles de la rédemption divine ».

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