Israël en guerre - Jour 344

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Interview

Zelensky veut s’attaquer au passé sombre de l’Ukraine et améliorer son avenir

Avant sa venue en Israël, le comédien devenu président en lutte contre la corruption aborde tous les sujets, Babi Yar, la Shoah et l'Holodomor, en passant par Poutine... et Trump

David est le fondateur et le rédacteur en chef du Times of Israel. Il était auparavant rédacteur en chef du Jerusalem Post et du Jerusalem Report. Il est l’auteur de « Un peu trop près de Dieu : les frissons et la panique d’une vie en Israël » (2000) et « Nature morte avec les poseurs de bombes : Israël à l’ère du terrorisme » (2004).

Le Président de l'Ukraine Volodymyr Zelensky, interviewé dans son bureau à Kiev, le 18 janvier 2020. (Service de presse du Bureau du Président de l'Ukraine)
Le Président de l'Ukraine Volodymyr Zelensky, interviewé dans son bureau à Kiev, le 18 janvier 2020. (Service de presse du Bureau du Président de l'Ukraine)

KIEV – La première chose que l’on voit en arrivant au cabinet du chef de l’État ukrainien ? Une patinoire. Juste devant l’entrée principale des bureaux présidentiels.

De jeunes Ukrainiens bruyants, vêtus d’écharpes colorées, de chapeaux de laine et bien couverts par un après-midi relativement doux (selon les normes de Kiev), font des tours, avec et sans parents, directement devant le bureau de Volodymyr Zelensky, alors que le président travaille à l’intérieur.

Un cerveau israélien est abasourdi face à ces risques potentiels pour sa sécurité, tout comme le feraient un cerveau américain, britannique et d’autres. Mais lui, bien sûr, n’est pas un président comme les autres.

Zelensky, qui aura 42 ans samedi prochain, est le comédien qui a joué le rôle du président de l’Ukraine dans une sitcom télévisée intitulée « Serviteur du peuple ». En avril dernier, il a été élu président du pays dans le monde réel, battant le président sortant par un score écrasant de 73 %.

Et qui a ensuite démontré son charme et cimenté son autorité lorsque son parti politique, également appelé Serviteur du peuple, a obtenu une majorité parlementaire trois mois plus tard.

Et qui, un jour avant que je le rencontre, avait rejeté l’offre de démission de son Premier ministre (après une fuite d’un enregistrement dans lequel le Premier ministre se moquait apparemment des connaissances économiques de Zelensky), en disant que le pays ne pouvait pas se permettre la déstabilisation que sa démission entraînerait.

Des gens font du patin à glace sur une patinoire gratuite installée devant le bureau du président ukrainien à Kiev, en Ukraine, le mercredi 15 janvier 2020. (AP Photo/Efrem Lukatsky)

Le défi de Zelensky semble faramineux. Il souhaite éradiquer la corruption dans un pays qui y est plongé, et il le fait en essayant de reconstruire la hiérarchie judiciaire de haut en bas et de bas en haut.

Il cherche à soustraire délicatement l’Ukraine de l’emprise de la superpuissance russe, incomparablement plus forte, avec laquelle elle est en conflit, et a entamé des négociations avec le redoutable président Vladimir Poutine, qui aurait précédemment qualifié l’Ukraine de pays, enfin, pas vraiment.

Il essaie de faire passer son pays de l’extrémisme et du cynisme à une plus grande harmonie interne et à des possibilités élargies, alors même que de nombreux pays qui auraient pu jusqu’à récemment servir de modèles dans cette quête vont dans la direction opposée

Il dirige une nation – la plus grande d’Europe – dont les attitudes fondamentales à l’égard de son passé, de son présent et de son avenir, dont les aspirations et le sentiment d’identité varient, parfois diamétralement, d’ouest en est.

Il essaie de faire passer son pays de l’extrémisme et du cynisme à une plus grande cohésion interne et à des opportunités élargies, alors même que de nombreux pays qui auraient pu jusqu’à récemment servir de modèles dans cette quête empruntent la direction opposée.

Le président de l’Ukraine, Volodymyr Zelensky, interviewé dans son bureau à Kiev, le 18 janvier 2020. De droite à gauche : Zelensky, l’attachée de presse du président Iuliia Mendel, le rédacteur en chef du « Times of Israel » David Horovitz, traducteur. (Service de presse du Bureau du Président de l’Ukraine)

Pourtant, il semble relever le défi de façon impressionnante. Sobre et amical, il m’accueille dans son bureau avec une poignée de main chaleureuse et s’assoit avec moi pendant 50 minutes – traitant mes questions avec soin, sensibilité et, le cas échéant, avec humour.

Il parle longuement de l’Holodomor, la famine délibérée imposée par les Soviétiques en 1932-1933, qui a tué des millions de personnes, et avec un grand respect pour les victimes de la Shoah – et de la nécessité de produire publiquement un récit historique honnête de ces événements. Il reconnaît, mais en dit moins sur la question de la participation des Ukrainiens aux crimes de la Shoah, préférant mettre en lumière les actions des Justes d’Ukraine et la marginalité relative de l’antisémitisme pourtant manifeste dans l’Ukraine moderne.

Une partie d’une vitrine sur Babi Yar, comprenant un Siddour, (livre de prière) au Musée national de l’histoire de l’Ukraine dans la Seconde Guerre mondiale. (The Times of Israel)

(Plus tard dans la journée, lorsque j’ai visité le Musée national de l’histoire de l’Ukraine dans la Seconde Guerre mondiale – construit à l’époque soviétique sous le nom de Musée de la Grande Guerre patriotique – une guide anglophone expliquait clairement à son groupe lors de leur halte à la section sur le massacre de Babi Yar que si d’autres personnes y ont été tuées, « seuls les Juifs ont été tués parce qu’ils étaient juifs ». Cette vérité simple et terrible contraste avec la norme de l’époque soviétique, où l’on ne reconnaissait pas le fait que les Juifs étaient la cible des nazis pour opérer le génocide. Le mémorial soviétique de Babi Yar, où 33 771 Juifs ont été emmenés de chez eux à pied vers le ravin où ils ont été abattus les 29 et 30 septembre 1941, commémore les atrocités commises contre le peuple soviétique en général).

Zelensky viendra en Israël dans le courant de la semaine, pour assister aux cérémonies marquant le 75e anniversaire de la libération d’Auschwitz. Il n’a confirmé officiellement sa présence que ce dimanche, un retard qui a donné lieu à des rumeurs selon lesquelles il envisageait de rester à l’écart pour protester contre le fait de ne pas être invité à prendre la parole lors de l’événement principal. C’est pour cette raison que son homologue polonais boycotte le rassemblement. Zelensky a cependant précisé dans notre conversation que s’il pense qu’il devrait effectivement être invité à parler, il a toujours eu l’intention de venir – pour honorer la mémoire des victimes. Toutefois, il était également aux prises avec les retombées de l’abattage accidentel d’un avion de ligne ukrainien par l’Iran, qui a coûté la vie à 176 personnes. Il devait effectivement s’assurer que les corps des victimes ukrainiennes seraient rendus et qu’il puisse remplir ses responsabilités.

Zelensky parle assez bien l’anglais, mais a répondu la plupart du temps en ukrainien, en faisant appel à un interprète et à l’aide de son attachée de presse. (Étant donné la possibilité que des choses se perdent dans la traduction, et la sensibilité de certaines des questions dont nous avons discuté, j’ai confirmé l’exactitude des citations auprès du bureau de Zelensky). Ce qui suit est une transcription de notre entretien, remaniée pour plus de clarté.

Le Times of Israel : Je vous ai apporté des chocolats d’Israël. J’ai laissé le prix dessus. Ils sont bons, mais vous pouvez voir qu’ils sont assez bon marché.

Président Volodymyr Zelensky : Oui, c’est bien. Je vois que vous êtes capable de comprendre certaines choses. (Rires.)

Oui. Que personne ne nous accuse de corruption, vous et moi. Merci pour votre temps. Êtes-vous déjà allé en Israël par le passé ?

Oh, j’y suis allé plusieurs fois. J’ai de la famille là-bas – une tante de ma mère et sa famille. Ils ont déménagé en Israël il y a environ 10-15 ans pour certains d’entre eux. Peut-être plus longtemps. A la fin des années 1990.

Je suis donc allé en Israël plusieurs fois. Pour des rencontres, des réunions d’affaires, des émissions de télévision et des concerts – dans ma vie d’avant.

Vous avez fait des spectacles en Israël ?

Oui. À Tel Aviv, à Beer Sheva, à Haïfa, à Jérusalem. Dans tant de villes. Je connais donc Israël. Je connais les gens là-bas.

Et cette semaine, allez-vous venir en Israël [pour les événements marquant le 75e anniversaire de la libération d’Auschwitz] ?

Oui, bien sûr !

Je ne savais pas que c’était « bien sûr ».

Personne ne le savait. Je vais vous dire pourquoi. Nous avons eu la terrible tragédie en Iran. C’est pourquoi je ne pouvais pas dire à Israël, au gouvernement d’Israël, si je venais, parce que je ne savais pas quand nous allions recevoir les corps de nos ressortissants [revenus d’Iran]. C’est l’essentiel. Si nous les récupérons demain [dimanche], je pourrai y aller. [Dimanche, le bureau de Zelensky a finalement confirmé sa venue].

Une garde d’honneur porte le cercueil d’une des onze victimes ukrainiennes de l’avion 737-800 qui a été abattu par erreur par l’Iran dans la banlieue de Téhéran, à l’aéroport international de Borispil, près de Kiev, en Ukraine, le 19 janvier 2020. (Bureau de presse présidentiel ukrainien via AP)

Allez-vous faire un discours lors de la cérémonie principale ? Le président polonais a décidé de ne pas y aller parce qu’on ne l’a pas autorisé à prendre la parole.

La chose la plus importante pour chaque pays est d’honorer la mémoire de ses victimes de la Shoah. Il est très important d’y aller, que nous [les dirigeants] parlions ou non.

Sur cette photo du 28 septembre 1997, une femme tient des photos de son frère et de sa tante, qui ont été tués par les nazis en 1941 à Babi Yar, le site du massacre nazi de plus de 33 000 Juifs, dans la capitale ukrainienne, Kiev. En arrière-plan, les gens déposent des fleurs sur le monument de la menorah, haut de 3,5 mètres, qui a été inauguré en 1991. (AP Photo/Efrem Lukatsky)

Pour moi personnellement, peu importe que je prenne la parole. Mais tant de personnes qui sont mortes dans cette tragédie [de la Shoah] étaient des Juifs ukrainiens – à commencer par Babi Yar. 150 000 Juifs ukrainiens ont été exécutés. Les statistiques dont nous disposons montrent qu’un juif sur quatre tué pendant la Shoah était ukrainien. C’est pourquoi, pour les Ukrainiens, il est très important d’honorer les victimes de la Shoah. Je pense donc qu’il serait juste que le président de l’Ukraine fasse un discours.

Pour moi personnellement, peu importe que je prenne la parole. Mais tant de personnes qui sont mortes dans cette tragédie [de la Shoah] étaient des Juifs ukrainiens – à commencer par Babi Yar… Un Juif sur quatre tué pendant la Shoah était ukrainien. C’est pourquoi, pour les Ukrainiens, il est très important d’honorer les victimes de la Shoah. Je pense qu’il serait donc juste que le président de l’Ukraine fasse un discours

Je sais que du côté israélien, les choses sont différentes ; nous n’avons pas été invités à prendre la parole. Mais en tout cas, j’assisterai à cette cérémonie.

Avez-vous encore l’espoir qu’ils vous laisseront peut-être parler ?

Ce n’est pas une question d’espoir. Je pense qu’il le faudrait, mais j’irai quand même. Il est très important d’honorer la mémoire des victimes de la Shoah.

La question de la Shoah pour l’Ukraine est très compliquée. D’une certaine manière, la Shoah a commencé ici – avec peut-être un million de Juifs ou plus tués, la plupart du temps non pas dans les camps, mais dans « la Shoah par balles », notamment à Babi Yar.

Plus d’un million.

Babi Yar, le 17 janvier 2020. (The Times of Israel)

Comment l’Ukraine gère-t-elle la mémoire et honore-t-elle les victimes juives ? Comment essayez-vous de commémorer la Shoah en Ukraine ?

Premièrement, nous honorons la mémoire des victimes de la Shoah. Deuxièmement, cette année, nous commençons la construction du mémorial de Babi Yar. Troisièmement, nous avons un projet à Ouman, où, comme vous le savez, se rendent beaucoup de Juifs du monde entier pour rendre hommage à des Juifs de renom : dans la ville, nous commençons à construire une « Petite Jérusalem ». Nous avons donc décidé de construire un musée historique, de créer un grand parc et de reconstruire la synagogue. Nous voulons faire une petite ville authentique. Nous avons lancé le nom « Petite Jérusalem » comme une idée, pour la rendre très authentique, de manière très professionnelle.

Je veux vous parler de Babi Yar. Vous dites que vous avez déjà commencé un projet. Vous parlez du Centre mémoriel de la Shoah ? C’est un sujet très sensible, comme vous le savez. Il va se concentrer sur les victimes juives de Babi Yar ? Ou sur toutes les victimes tuées là-bas ? Ou sur toutes les victimes de la Seconde Guerre mondiale en Ukraine ? Quelle est votre vision du mémorial de Babi Yar ?

Les cadets de la garde d’honneur de Kiev participent à des événements commémoratifs autour d’un monument soviétique dédié aux victimes du ravin de Babi Yar à Kiev en Ukraine, le 29 septembre 2016. (AP/Sergei Chuzavkov)

Tout d’abord, un mémorial sera construit pour tous les Juifs exécutés à Babi Yar. Il s’agit d’un grand projet, qui comprend un musée historique, où toute l’histoire des 150 000 Juifs qui y ont été exécutés sera racontée.

Nous devrions également nous rappeler que plus de 2 500 Ukrainiens ont été reconnus par Yad Vashem comme des Justes parmi les nations. Beaucoup d’entre eux ne sont plus en vie. Mais certains d’entre eux sont toujours avec nous. Beaucoup d’entre eux ont sauvé des Juifs, les ont cachés, les ont aidés à s’échapper du cortège qui se rendait à Babi Yar. Nous leur trouverons donc certainement une place au sein du mémorial.

Photo prise par un officier allemand mort en Russie, montrant un peloton d’exécution nazi tirant sur des Juifs dans le dos alors qu’ils sont assis devant leur propre charnier, à Babi Yar, Kiev, 1942. (AP Photo, File)

Le projet de Babi Yar est-il celui dont Natan Sharansky vous a parlé ?

Oui, en effet. On s’est parlé. On a demandé aux rabbins pourquoi ça n’avait pas été fait avant. Il y avait eu différentes idées de projets. Mais maintenant, c’est finalisé et nous avons décidé que cette année, les travaux de construction proprement dits commenceront.

Esquisse d’artiste du projet du Babi Yar Holocaust Memorial Center. (Autorisation)

Craignez-vous que certains Ukrainiens redoutent d’être tenus pour responsables du meurtre de Juifs ? Les forces ukrainiennes n’ont pas tué de Juifs à Babi Yar, mais elles ont aidé les nazis à les rassembler et à les diriger vers Babi Yar, pour ne donner qu’un exemple. Donc, êtes-vous inquiet que les nationalistes ukrainiens soient contrariés par le fait d’honorer les victimes juives ? {Il y a eu une implication « considérable » des Ukrainiens dans le génocide nazi, selon Efraim Zuroff, qui dirige le bureau israélien du Centre Simon Wiesenthal. « Des milliers d’Ukrainiens ont participé aux crimes de la Shoah », a-t-il fait observer, notamment en tant que gardiens de camps de la mort. Et aucun n’a jamais été poursuivi. L’opération « Dernière chance » du Centre n’a même pas été tentée en Ukraine, d’après M. Zuroff, car il était impossible de mettre en place un mécanisme crédible pour obtenir des informations.]

Nous avons des informations statistiques très intéressantes, qui seront très utiles à Israël. Un sondage publié par le Pew Research Center a évalué le niveau d’antisémitisme en Europe en 2018. Et c’est en Ukraine qu’il est le plus bas.

Esquisse d’artiste du projet du Babi Yar Holocaust Memorial Center. (Autorisation)

Je suis allé hier dans deux synagogues ici à Kiev. Il y avait moins de sécurité là-bas que presque partout ailleurs dans le monde. J’y ai rencontré des jeunes juifs locaux et je leur ai demandé : où sont les gardes ? Et ils m’ont répondu : Il n’y a pas d’antisémitisme ici. {Un sondage récent a mis en évidence une baisse des incidents antisémites, mais il y a certainement des cas isolés, notamment le vandalisme avec des croix gammées d’un monument dédié à Sholem Aleichem à Kiev en novembre, et le vandalisme, il y a quelques jours, d’un monument dédié aux victimes de la Shoah près de la maison des parents de Zelensky. Ces incidents ont été soulignés par l’ambassadeur d’Israël en Ukraine, Joel Lion, qui a fréquemment exhorté les autorités, jusqu’à présent en vain, à en poursuivre les auteurs.]

Il n’y en a pas. C’est vrai. Et vous savez que j’ai du sang juif. Et que je suis président.

Et tout le monde s’en fiche, c’est ça ?

Tout le monde s’en fiche. Personne ne m’interroge à ce sujet.

Bien sûr, en Ukraine, comme partout dans le monde, maintenant et par le passé, il y a un certain pourcentage de personnes qui ne voient personne d’autre que leur nation. La même chose s’est produite pendant la Seconde Guerre mondiale, et pendant l’occupation de l’Ukraine par l’Allemagne fasciste. Le même genre d’attitude compliquée a été manifesté à l’égard du peuple juif pendant l’époque soviétique. Nous le savons tous. Mais à l’heure actuelle, nous savons aussi parfaitement que le niveau d’antisémitisme le plus bas se trouve en Ukraine.

Nous devons également comprendre que pendant cette période, pendant la Seconde Guerre mondiale, il y avait des gens en France, en Pologne, en Allemagne, en Biélorussie, en Ukraine, qui sauvaient les Juifs des nazis. Mais dans le même temps, d’autres collaboraient avec les nazis et dénonçaient les Juifs.

Nous sommes très fiers du fait de compter un niveau d’antisémitisme aussi bas – un niveau si faible dans l’Ukraine indépendante, qui a commencé sa vie en 1991. Nous avons une proportion de personnes radicales bien sûr, mais elle est très faible. Et c’est pourquoi je ne crains pas [de résistance à nos projets de commémoration].

Quelles sont vos relations avec le président Poutine ?

Aujourd’hui, notre dialogue avec le président de la Fédération de Russie a commencé. Nous avons eu un certain nombre de conversations téléphoniques. Nous avons défini un cadre pour notre dialogue qui a abouti à des décisions délicates. Nous avons libéré nos prisonniers, nos navires. Après trois ans sans se rencontrer, nous avons réussi à nous mettre d’accord sur le Format Normandie. Après cela, il y a eu un deuxième échange de prisonniers – le plus important de ce genre.

(De gauche à droite) Le Président ukrainien Volodymyr Zelensky, le Président français Emmanuel Macron, le Président russe Vladimir Poutine et la Chancelière allemande Angela Merkel participent à une réunion sur l’Ukraine au Palais de l’Elysée, à Paris, le 9 décembre 2019. (Thibault Camus/ POOL/ AFP)

Votre rencontre avec le président Poutine [en décembre] a été la première fois…

C’était la première réunion après une interruption de trois ans. C’était la première réunion au sein du Format Normandie.

Il a dit un jour que l’Ukraine n’était pas un pays. Le pense-t-il toujours ?

Je ne sais pas ce qu’il pense. Il ne m’a rien dit. Je pense qu’il comprend mon attitude : l’Ukraine est un pays indépendant. Nous sommes un grand pays, le plus grand d’Europe. Je pense qu’il le sait. Ce qu’il en pense ? C’est son avis.

Vous avez une vision qui vous permet peut-être de parvenir à la paix à l’Est. Est-ce possible ?

Je n’aurais jamais brigué la présidence sans avoir un tel objectif.

Y a-t-il des progrès ?

J’aimerais que cela aille beaucoup plus vite. Il y a des questions très compliquées. Je peux constater des progrès, car le nombre d’échanges de tirs est considérablement réduit. Mais ils sont toujours présents.

Donner à des rues le nom de héros nationalistes ukrainiens a été très controversé. Que faites-vous à ce sujet ?

Cela concerne non seulement les rues, mais aussi les monuments. Il s’agit de savoir comment des personnes ayant une histoire différente, avec des attitudes différentes, peuvent vivre ensemble dans la pratique.

Trouvons les personnes dont les noms ne suscitent pas de controverse aujourd’hui et à l’avenir

C’est une question très compliquée et très sensible. Il y a des héros qui sont honorés à l’ouest et au centre de l’Ukraine, et il y a d’autres Ukrainiens qui ont leurs propres héros et qui pensent autrement. Et je comprends les différents sentiments. Et c’est pourquoi j’ai dit plusieurs fois, très clairement : quand on a une histoire si compliquée, construisons une histoire commune. Trouvons les personnes dont le nom ne suscite pas de controverse aujourd’hui et à l’avenir. Nommons des monuments et des rues d’après des personnes dont le nom ne provoque pas de conflit.

Aujourd’hui, nous avons nos propres héros modernes – des gens qui ont fait l’histoire, des scientifiques, des gens de l’exploration spatiale, de grands sportifs, de nombreux écrivains… des gens qui sont largement respectés dans toutes les régions de l’Ukraine. Laissons la politique en dehors de cette question.

Des militants de divers partis nationalistes avec des torches lors d’un rassemblement à Kiev, en Ukraine, le mercredi 1er janvier 2020, en hommage à Stepan Bandera, qui a collaboré avec les nazis et lutté contre le régime soviétique. (Crédit : AP Photo / Efrem Lukatsky)

Cette question a récemment provoqué une petite brouille avec Israël – alors que l’ambassadeur israélien en poste ici protestait, et que votre ambassadeur en Israël disait : « Restez en dehors de ça ». [L’ambassadeur d’Israël en Ukraine, Joel Lion, et son homologue polonais Bartosz Cichocki ont rédigé une lettre ouverte condamnant l’hommage rendu par le gouvernement à Stepan Bandera et Andryi Melnyk, deux collaborateurs du Troisième Reich.] Dans l’ensemble, comment sont les relations avec Israël ?

Je pense que nous avons de bonnes relations. Par exemple, ma propre relation avec Netanyahu : je l’ai rencontré en Ukraine ; il a fait une visite officielle ici. Nous avons parlé. Je sais que votre gouvernement est en préparation en ce moment même. Je sais qu’il est occupé actuellement.

Le Premier ministre Benjamin Netanyahu, (à gauche), et le président ukrainien Volodymyr Zelensky, (à droit)e, se trouvent à côté du ravin de Babi Yar où les nazis ont assassiné des dizaines de milliers de Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale, à Kiev, en Ukraine, le 19 août 2019. (AP Photo/Zoya Shu)

Nous faisons beaucoup d’élections !

Oui, je sais. Vous êtes des champions. (Rires). Historiquement, l’Ukraine et Israël ont de bonnes relations et de bons contacts. Comme vous le savez, de nombreux Juifs ukrainiens ont contribué à la construction du nouvel Israël. Ils sont très célèbres en Israël et très célèbres en Ukraine. Les relations sont très fortes. Lorsque les Ukrainiens et les Israéliens se parlent, chaque partie respecte l’autre.

Israël et l’Ukraine échangent des technologies, il y a des échanges de savoirs.

Sur l’Holodomor, que cherchez-vous à obtenir d’Israël ? Là encore, il y a des sensibilités dans certains milieux quant à la reconnaissance d’un génocide – certains disent que c’est une sorte de socio-cide, pas un objectif national… [et ils soulignent que des Juifs et des Russes et des Biélorusses y sont également morts.]

Beaucoup de gens ont été anéantis. Beaucoup de choses leur ont été enlevées – leurs maisons, leurs terres, leur bétail, tout leur a été enlevé. Et s’ils ne donnaient pas leurs biens, alors ils finissaient assassinés. Ils étaient abattus. Des millions de personnes sont mortes.

À l’avenir, toutes les parties du monde reconnaîtront que l’Holodomor a été une énorme tragédie pour l’Ukraine, et qu’il s’agit en fait de la destruction du peuple ukrainien

De nombreux pays ont reconnu que l’Holodomor est un génocide. Et je sais qu’Israël le comprend, et que l’Ukraine a reconnu la Shoah comme un génocide. Pour l’Ukraine, ce n’est pas une tragédie sociale ou économique. C’est un génocide. Des millions d’Ukrainiens ont été anéantis.

Je suis sûr qu’à l’avenir, toutes les parties du monde reconnaîtront que l’Holodomor a été une énorme tragédie pour l’Ukraine, et qu’il s’agit en fait de la destruction du peuple ukrainien. Il y a eu beaucoup de non-dits dans les différents médias à cause de la politique de l’URSS, qui cachait toutes les informations. Elle dissimulait les registres, cachait l’emplacement des fosses communes. Il n’y avait pas assez d’informations à ce sujet. C’est comme ça que l’histoire s’est faite. Nous comprenons donc qu’il y a des histoires différentes. Mais je suis sûr qu’à l’avenir, les gens comprendront quelle est l’histoire de l’Ukraine et quels sont les faits réels. Des millions d’Ukrainiens ont été anéantis pendant l’Holodomor.

Nous sommes tous nés à l’époque de l’URSS, et beaucoup de choses réalisées étaient bonnes. Beaucoup de gens étaient célèbres dans le monde entier pour avoir fait beaucoup de grandes choses. Il y a donc eu beaucoup de bonnes choses. Mais aussi, bien sûr, il y a eu beaucoup de tragédies comme, par exemple, celle-ci.

Le dissident soviétique Andreï Sakharov arrive à la gare de Moscou le mardi 23 décembre 1986. C’est la première fois que Sakharov se rend à Moscou en près de sept ans. (AP Photo)

Vous savez, aujourd’hui, nous n’avons toujours pas de statistiques pour nous dire combien de Juifs sont morts [à l’époque soviétique] et ce qui leur est arrivé exactement – combien d’entre eux ont été tués, combien ont été emmenés, exilés. Combien d’entre eux sont devenus des dissidents… Prenez le cas d’Andreï Sakharov, qui a réussi à raconter son histoire au monde entier. Mais combien de Juifs n’ont pas réussi à le faire ? Nous n’avons pas cette histoire.

Et vous essayez de retrouver cette histoire.

Nous devons le faire.

Je voudrais vous interroger un peu sur votre histoire juive personnelle – votre passé, votre famille.

Du côté de mon père, mon grand-père et ses trois frères étaient tous sur le front [dans l’Armée rouge] pendant la Seconde Guerre mondiale, et lui seul en est revenu.

Ma grand-mère vivait à Kryvi Rih, dans une région du sud de l’Ukraine qui était occupée par les fascistes. Ils ont tué tous les Juifs qui sont restés. Elle était partie lors d’une évacuation des Juifs vers Almaty, au Kazakhstan. De nombreuses personnes ont fui vers cette ville. Elle y a fait ses études. Elle était enseignante. Après la Seconde Guerre mondiale, elle est revenue. C’est là que je suis né.

Quel genre de foyer juif était le vôtre ? Orthodoxe, pas du tout orthodoxe ?

Pas orthodoxe. Une famille juive soviétique ordinaire. La plupart des familles juives en Union soviétique n’étaient pas religieuses. Vous savez que la religion n’existait pas en tant que telle dans l’État soviétique.

Bien sûr, je crois en Dieu. Mais je ne lui parle que dans les moments qui me sont personnels

La religion est-elle importante pour vous aujourd’hui ?

(Pause) J’avais une attitude quand j’étais petit, et une autre maintenant. Je ne parle jamais de religion et je ne parle jamais de Dieu parce que j’ai mon opinion personnelle à ce sujet. Bien sûr, je crois en Dieu. Mais je ne parle avec lui que dans les moments qui me sont personnels et importants, et où je me sens à l’aise en de telles circonstances.

Les Juifs ont réussi à construire un pays, à le développer, sans autres ressources que les hommes et les cerveaux

Que pensez-vous d’Israël, quels sont vos sentiments pour Israël ?

Je respecte Israël comme étant extrêmement spécial, surtout compte tenu de toutes les sensibilités qui l’entourent – l’unité d’Israël, l’unité de la nation. Les Juifs ont réussi à construire un pays, à le développer, sans autres ressources que les hommes et les cerveaux. Le peuple juif en Israël est un peuple unique, une population unique. Il a une force économique. Il y a de nombreux pays dans le monde qui peuvent se protéger, mais Israël, un si petit pays, peut non seulement se protéger, mais face aux menaces extérieures, il peut également y répondre.

C’est un peuple uni, fort et puissant. Et malgré la menace de guerre, il profite de chaque jour. Je l’ai constaté.

Vous avez été élu président, en grande partie, pour essayer de lutter contre la corruption.

C’est exact.

Comment cela se passe-t-il ?

C’est compliqué. D’abord, nous réformons le ministère public. Plusieurs milliers de procureurs ont été licenciés. Plusieurs centaines de procureurs doivent de nouveau répondre aux conditions requises – un processus d’environ six mois.

Deuxièmement, nous sommes en train de légiférer pour réformer les services de sécurité. Là encore, c’est un long processus.

Lorsque nous aurons ces institutions fortes, nous mettrons fin à toute la corruption

Nous avons nommé une nouvelle responsable du bureau d’enquête de l’État, et elle va réformer la hiérarchie. Nous avons mis en place un tribunal anti-corruption en septembre. Cela pose de nombreux problèmes, tout comme l’ensemble du processus judiciaire en Ukraine. C’est une longue bataille. Mais quand nous aurons ces institutions fortes, nous mettrons un terme à toute la corruption.

En Israël, Netanyahu lutte contre des accusations de corruption. Si vous êtes accusé de corruption en Ukraine, devez-vous démissionner ou pouvez-vous continuer [comme il essaie de le faire] ?

(Rires) Commençons par le commencement : pourquoi pensez-vous que je vais être accusé de corruption ?

J’espère que non.

Ou peut-être que vous savez quelque chose que j’ignore. (Rires)

Si je devais être accusé d’une véritable corruption – et non d’une chose politique – quelque chose qui s’est réellement produit, alors selon la constitution, je devrais démissionner.

L’Ukraine a été entraînée dans la controverse autour du président Trump…

J’adore toutes les questions sur les États-Unis et Trump. (Rires.)

Le président américain Donald Trump (à droite) et le président ukrainien Volodymyr Zelensky se rencontrent en marge de l’Assemblée générale des Nations unies à New York, le 25 septembre 2019. (Saul Loeb/AFP)

Que pouvez-vous me dire ? Avez-vous fait quelque chose d’illégal ; vous a-t-on demandé de faire quelque chose d’illégal ?

Je n’ai rien fait d’illégal. J’ai eu des appels téléphoniques avec le président des États-Unis. En tant que président de l’Ukraine, j’ai fait ce que je pouvais faire pour avoir une bonne relation, fiable et solide avec l’un de nos partenaires stratégiques, les États-Unis d’Amérique.

Je me suis toujours comporté de la sorte, et je continue de le faire, pour éviter toute implication ou engagement de l’Ukraine, ou de chaque Ukrainien, dans la situation politique des États-Unis d’Amérique. C’est leur pays, et ils le traitent comme ils l’entendent. Et je ne veux pas qu’ils nous impliquent dans des affaires liées à leur politique intérieure.

Et pour finir, votre histoire : vous êtes un acteur incarnant un président dans une série télévisée.

Oui.

Et puis vous devenez le président. Comment cela s’est-il passé ? C’est sans précédent, c’est extraordinaire.

Cela ne s’est jamais produit auparavant dans le monde, vous avez raison.

C’est ce que voulait le peuple ukrainien. Ils avaient le désir de tout changer, et pas seulement de changer un groupe de politiciens pour un autre. Ils voulaient absolument changer la situation. Et ils l’ont fait.

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