Zuroff fustige Poroshenko, qui a ignoré la complicité ukrainienne dans la Shoah
Le célèbre chasseur de nazis a dénoncé la "chutzpah" du chef ukrainien qui a fait l'équivalence entre la Shoah et la famine organisée par les Soviétiques en 1930
Raphael Ahren est le correspondant diplomatique du Times of Israël

Le célèbre chasseur de nazis Efraim Zuroff a critiqué le président ukrainien Petro Poroshenko qui a détourné le regard de la complicité de l’Ukraine, pendant la Shoah, au cours de toute sa visite effectuée cette semaine en Israël. Le chef de l’Etat a également vivement recommandé à Jérusalem de reconnaître le Holodomor (« extermination par la faim »), une famine d’origine humaine et organisée par les Soviétiques dans les années 1930 qui a tué des millions d’Ukrainiens – en tant que génocide.
S’exprimant auprès du Times of Israel suite au voyage de Poroshenko, Zuroff a également mis en cause les hôtes israéliens du président, les blâmant de ne pas l’avoir mis en cause publiquement concernant la politique de Kiev, qui consiste à honorer des héros de guerre nationalistes d’Ukraine dont un grand nombre ont été impliqués dans les massacres contre les Juifs.
« Ce qui est arrivé est l’apogée de la chutzpah« , s’est indigné Zuroff, qui dirige le bureau israélien du Centre Simon Wiesenthal. « Il est venu ici et il a demandé à Israël de reconnaître le Holodomor en tant que génocide – ce n’en était pas un ».
En 1932 et 1933, l’Union soviétique avait fait mourir de faim des millions personnes au cours de ce qu’une dizaine de pays et plus (Israël n’en fait pas partie) ont reconnu officiellement comme un génocide. Que le terme de « génocide » soit approprié au niveau historique fait l’objet d’un débat entre les chercheurs : les opposants affirment que cette famine d’origine humaine ne visait pas à éliminer le peuple ukrainien en tant que tel.
« Des Juifs sont également morts pendant l’Holodomor tout comme des Russes et des Biélorusses », a dit Zuroff.
Lors d’un entretien qui a eu lieu lundi avec le président de Knesset Yuli Edelstein, Poroshenko a explicitement appelé le parlement israélien à reconnaître l’Holodomor comme « génocide du peuple ukrainien », selon un compte-rendu fourni par son bureau.
Au cours de sa visite, le même jour, au centre de commémoration de Yad Vashem, à Jérusalem, Poroshenko a semblé faire l’équivalence entre l’Holodomor et la Shoah.

« L’Ukraine, en tant qu’Etat qui a souffert de l’Holodomor de 1932-1933, lorsque des millions d’Ukrainiens ont été torturés par le régime communiste stalinien qui a commis un génocide contre la population ukrainienne, garde également – et avec respect – le souvenir des victimes de la Shoah », a-t-il dit.
« Aujourd’hui, au nom du peuple ukrainien, je veux m’incliner en mémoire de toutes les victimes du régime nazi, en mémoire des millions de victimes de la Shoah qui ont été torturées et tuées au cours des années terribles de la Shoah en Ukraine et dans le monde. Nous chérissons leur souvenir », a ajouté Poroshenko.
Україна так само трепетно береже пам'ять про жертв Голокосту, як і про мільйони українців, що загинули в роки Голодомору.
Сьогодні в Меморіальному комплексі Голокосту «Яд-Вашем» в Ізраїлі ми схиляємо голову в пам'ять про мільйони жертв Голокосту.
Світла їм пам'ять. pic.twitter.com/WYUywJagfB
— Петро Порошенко (@poroshenko) January 21, 2019
Zuroff, dont le doctorat a eu pour sujet les réponses judéo-américaines apportées à la Shoah, s’en est pris au président pour avoir oublié de mentionner la complicité ukrainienne dans le génocide nazi.
« Il n’a pas dit un mot sur la participation à ces crimes des Ukrainiens, et elle a été considérable. Et c’est une litote », a-t-il affirmé.
Zuroff, né à New York et qui s’est installé dans les années 1970 au sein de l’Etat juif, s’est insurgé contre les éloges des leaders israéliens qui ont salué le chef de l’Etat ukrainien pour sa lutte contre l’antisémitisme.
« L’Ukraine est l’un des quelques pays où personne n’a été poursuivi pour antisémitisme. Et ce n’est pas comme s’il n’y avait pas de haine anti-juive en Ukraine », a-t-il noté.
« L’accueil qu’il a reçu était tout simplement absurde », a poursuivi Zuroff, notant qu’aucun des hauts-responsables ayant rencontré Poroshenko à Jérusalem n’a interpellé ce dernier sur la distorsion du récit de la Shoah que font les autorités de Kiev.
« L’Ukraine est probablement l’un des contrevenants les plus graves sur ce sujet actuellement, et c’est le cas depuis plusieurs années », a expliqué Zuroff. « Il a reçu carte blanche ».

Netanyahu a expliqué à Poroshenko lundi qu’il appréciait « ses efforts continus visant à éliminer les discours de haine et à combattre l’antisémitisme en Ukraine ».
Le président Reuven Rivlin a remercié son homologue ukrainien pour ses « paroles fortes et ses actions contre l’antisémitisme » dans son pays, saluant notamment l’ouverture d’un musée à Babi Yar, « pour garantir que ces événements terribles ne seront jamais oubliés ».
Il ne manque pas d’exemples pour illustrer les initiatives de Kiev visant à glorifier les nationalistes ukrainiens qui ont été impliqués dans des crimes antisémites à l’époque nazie.

Par exemple, l’anniversaire du nationaliste ukrainien Stepan Bandera – dont les proches aides ont été impliqués dans le meurtre de Juifs suite à l’invasion des nazis au mois de juin 1941 – a été récemment déclaré fête nationale par le gouvernement de Kiev.
Le jour même de la visite de Poroshenko en Israël, une nouvelle statue a été dévoilée à Kiev pour Symon Petliura auquel les historiens attribuent la mort de 50 000 compatriotes juifs dans les années 1920.
« Juste avant cela, un libre écrit par le suédois Anders Rydell qui mentionnait simplement les pogroms dont Petliura s’est rendu coupable a été interdit à l’importation depuis l’Ukraine », a confié au Times of Israel Eduard Dolinsky, directeur-général du comité juif ukrainien de Kiev.

Au début du mois, un projet de loi a été présenté au parlement ukrainien pour rendre hommage au héros de guerre nationaliste Yaroslav Stetsko, qui avait prôné la « destruction des Juifs et le transfert des méthodes allemandes d’extermination des Juifs vers l’Ukraine », a ajouté Dolinsky, qui a cité encore d’autres exemples similaires.
Poroshenko n’a pas mentionné la complicité ukrainienne dans les crimes commis pendant la Shoah au cours de sa visite de vingt-quatre heures « parce que c’est la période des élections [à Kiev] et qu’il veut éviter d’évoquer cela pour ne pas s’attirer de critiques dans le pays », a supposé Dolinsky.
Selon les sondages les plus récents, Poroshenko pourrait s’incliner lors du scrutin devant l’ex-Première ministre Yulia Tymoshenko.

L’ambassadeur israélien en Ukraine Joel Lion a pris la défense du président.
“Poroshenko combat l’antisémitisme et c’est un fait. L’administration ukrainienne fait beaucoup de choses dans ce sens », a-t-il dit cette semaine au Times of Israel. « Il faut faire la différence entre eux et les partis ultra-nationalistes, dont l’un est représenté au parlement ».
Le mois dernier, Lion lui-même avait décrit les héros nationalistes ukrainiens comme étant « une horreur historique pour la communauté juive ».
Des personnalités telles que Bandera sont largement considérées comme des « héros qui ont lutté en faveur de l’indépendance de l’Ukraine » mais « nous les considérons comme des tueurs de Juifs », avait-il dit dans un entretien.

« Un dialogue doit s’ouvrir entre nous de manière à ce que nous puissions évoquer librement cette triste période, parce que ces questions seront toujours soulevées dans le dialogue israélo-ukrainien. C’est un dialogue qui est très nécessaire », avait-il ajouté.
« Nous attendons de nos amis ukrainiens qu’ils comprennent nos émotions. On peut ranger la mémoire historique et ouvrir des monuments de mémoire, faire des commémorations, mais il y aura toujours une perception de la mémoire historique ».
Zuroff, critique de longue date de la realpolitik de Jérusalem vis-à-vis des pays d’Europe de l’est et d’Europe centrale, a indiqué reconnaître que le commerce et les liens sécuritaires avec l’Ukraine sont importants.
« Mais – et c’est heureux pour Israël – au point où nous en sommes, il n’est plus question de traduire des personnes en justice. Cela n’arrive nulle part en Europe à parten Allemagne. Alors ce n’est pas comme si nous réclamions de faire asseoir leurs grands-parents sur le banc des accusés », a-t-il dit.
« Mais ce que nous pouvons leur dire, c’est ceci : nous ne vous attribuons pas la responsabilité des crimes qu’ont commis vos grands-parents – vous ne les avez pas commis vous-mêmes », a-t-il continué. « Mais en même temps, nous attendons de vous que vous disiez la vérité sur la Shoah ».
JTA a contribué à cet article.