Un club danois de motards juifs et musulmans relance le dialogue interreligieux
Réunis par leur amour de la moto, les membres de MuJu & Co. prennent la route pour combattre le fanatisme et surveillent chaque année un cimetière juif
COPENHAGUE – Il y a trois ans, des groupes néo-nazis danois ont vandalisé plus de 80 tombes dans un cimetière juif de Randers à l’occasion de la commémoration de la Nuit de Cristal, le jour où les nazis ont déclenché une vague de pogroms contre les Juifs en Allemagne et en Autriche en 1938, marquant officieusement le début de la Shoah.
Depuis la profanation de 2019 à Randers, un groupe improbable vient patrouiller dans le principal cimetière juif de Copenhague chaque année à l’occasion de la commémoration de la Nuit de Cristal : un club de motards portant des gilets en cuir ornés de leur écusson « hamsa » – un symbole de bonne chance en forme de main chez les Juifs et les musulmans.
« Nous faisons cela pour nous assurer que cela ne se reproduira plus, et nous ferons de même si quelqu’un vandalisait le cimetière musulman, et même un cimetière bouddhiste ou chrétien », a déclaré le Dr. Sohail Asghar, co-fondateur et vice-président de MuJu & Co. MC Danmark, un club de motards interconfessionnel de Copenhague pour les musulmans, les Juifs et leurs alliés.
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Les gangs de motards vêtus de cuir sont souvent perçus comme des durs à cuire un peu sauvages, qui conduisent vite et ne rigolent pas. Mais les membres de MuJu & Co. se rendent dans des endroits où les motards ne sont pas censés se rassembler, comme le mémorial d’Auschwitz-Birkenau, une mosquée dans le centre de Copenhague ou un cimetière juif le jour de la commémoration de la Nuit de Cristal.
MuJu & Co. est le premier et le seul club de motards du Danemark qui se concentre sur les relations entre musulmans et juifs. Il a été fondé en 2019 pour unir les fans de moto qui sont intéressés par la diffusion d’un message de tolérance.
« Nous avons réalisé que ça ressemblait au début d’une bonne de blague : plusieurs personnes roulant à moto d’origines musulmanes et juives », a déclaré le Dr. Dan Meyrowitsch, un épidémiologiste juif et expert en santé mondiale qui a fait la connaissance du Dr. Asghar par le biais de leur travail en santé publique internationale.
« Nous nous sommes dit que nous avions tous les deux ce penchant pour les motos. Peut-être y en avait-il d’autres. Nous pourrions nous rassembler autour des motos sous le drapeau de l’amitié », a déclaré Dr. Asghar, un anesthésiste et médecin de soins intensifs musulman né à Copenhague, dont les parents sont originaires du Pakistan.
Près de la moitié des Danois considèrent le racisme comme un problème croissant, bien que la plupart du racisme soit dirigé contre les immigrants musulmans. En 2020, d’après les dernières données disponibles, 635 incidents à caractère haineux ont été signalés à la police, dont 79 dirigés contre des Juifs, 87 contre des musulmans et 360 contre des étrangers, souvent musulmans. Il y a environ 8 000 Juifs au Danemark et environ 320 000 musulmans, soit 5,5 % de la population.
« L’idée était de rechercher le dialogue, la paix, la coopération et la construction de ponts », a déclaré Meyrowitsch, le co-fondateur et président de MuJu & Co.
Asghar voit les choses un peu différemment. « Les facteurs déterminants sont l’amitié et le fait de passer un bon moment », a-t-il déclaré. « Nous sommes des amis qui s’amusent beaucoup. En plus de cela, nous construisons des ponts. »
Plus jamais ça
Le club, qui compte quelques dizaines de membres, est composé d’environ un tiers de musulmans, un tiers de Juifs et un tiers d’athées ou d’autres religions qui soutiennent la mission. Mais c’est le contingent musulman qui a fait pression pour le grand voyage du groupe à Auschwitz en 2022.
« Visiter Auschwitz était quelque chose que je voulais faire depuis des années », a déclaré Dr. Asghar, un passionné de la Seconde Guerre mondiale et fervent lecteur de livres d’Histoire. « J’ai toujours essayé de comprendre comment des atrocités comme celles-ci pouvaient se produire. Comment des humains peuvent-ils faire quelque chose d’aussi grotesque ? Et comment pouvons-nous encore nous répéter avec d’autres génocides après la Seconde Guerre mondiale ? »
Le club s’est mis en relation avec l’ambassade de Pologne au Danemark, qui a sponsorisé leur séjour à l’hôtel du groupe à Cracovie. Onze membres ont participé à l’expédition de plus de 1 500 kilomètres au début du mois d’octobre.
« Pour nous, en tant que groupe, j’ai pensé que nous devions avoir conscience des conséquences si nous ne construisions pas de ponts et si nous ne nous comprenions pas », a déclaré Dr. Asghar. « J’ai une théorie selon laquelle si tous les lycéens d’Europe visitaient Auschwitz, il y aurait peut-être moins de racisme. »
« Et les musulmans parmi nous pensent que si quelque chose comme ça devait se reproduire, les musulmans en seraient les victimes », a-t-il ajouté.
Trois des membres juifs de MuJu & Co. ont perdu des proches dans la Shoah, ce qui a rendu la visite beaucoup plus personnelle pour l’ensemble du groupe.
« C’était un vrai défi pour moi de me retrouver à cet endroit », a déclaré Said Idrissi, le capitaine de route de MuJu & Co. Son travail consistait à mener le peloton sur la route, à tracer les itinéraires et à s’assurer que le groupe respecterait le calendrier.
« En tant qu’êtres humains, pouvons-nous être réellement aussi cruels ? Je voulais le voir de mes propres yeux », a déclaré Idrissi, un musulman originaire du Maroc qui a déménagé au Danemark lorsqu’il était enfant et qui travaille aujourd’hui comme moniteur de conduite. « Si j’avais été là avec mes autres amis ou des collègues, la visite aurait été différente, mais en venant ici avec mes amis juifs, j’ai vu comment ils ont réagi et la douleur sur leurs visages. »
Tony Gelvan, un membre juif du groupe, a demandé au guide touristique de l’aider à trouver des informations sur le père de sa belle-sœur, qui a été emprisonné à Auschwitz pendant une partie de la guerre. « J’étais heureux que le retour à l’hôtel se fasse sur 70 kilomètres, ce qui m’a permis d’être seul sur ma bécane », a déclaré Gelvan.
Il dit avoir passé la majeure partie du trajet à penser à tous les génocides qui se sont produits depuis la Seconde Guerre mondiale, en particulier en Bosnie dans les années 1990, furieux que le monde n’ait rien appris.
Une équipe de tournage s’est également jointe au groupe pour suivre leur aventure, dans l’éventualité de réaliser un documentaire. Gelvan a déclaré que, malgré la gravité de leur destination, la partie « conduite » du voyage leur a permis de faire ce qu’ils aiment le plus : rouler ensemble.
« Un long voyage comme celui-là met vraiment à l’épreuve les liens qui existent entre les gens », a déclaré Meyrowitsch.
De nouveau sur la route
Récemment, une demi-douzaine de membres du groupe se sont retrouvés au domicile de Meyrowitsch, à Copenhague, pour entamer une balade de deux heures entre Copenhague et le village de pêcheurs de Hundested. Il y faisait déjà un froid automnal lorsque le groupe a traversé la campagne danoise vallonnée. Ils ont emprunté des routes de campagne sinueuses, parsemées de fermes traditionnelles au toit de chaume et offrant des vues imprenables sur l’eau.
Les balades du samedi constituent l’activité principale du club. Elles permettent d’explorer des régions situées à quelques heures de Copenhague, de s’arrêter pour déjeuner, de visiter un musée ou un site culturel, avant que chacun ne rentre chez soi. Ils roulent en formation serrée sous la conduite d’Idrissi, qui insiste sur le fait qu’il possède la moto la plus puissante et la plus bruyante du club, bien que cela soit un sujet de discussion lors des arrêts pour la pause déjeuner. Pendant les arrêts, ils aiment taquiner Meyrowitsch à propos de son écurie de motos classiques qui tombent constamment en panne, discuter des récents achats de motos ou de leur entretien, ou encore « parler boutique » avec d’autres motards rencontrés en chemin.
MuJu & Co. est un club officiel enregistré auprès de la Biker Foundation Denmark, qui régit les « clubs de patchs » de motos, reconnus par les écussons sur leurs vestes. La plupart des clubs se réunissent autour d’un thème central, qui peut être la passion pour une certaine marque de moto, le fait d’habiter près les uns des autres dans un quartier local, ou le fait d’être des vétérans de l’armée, d’anciens policiers, d’anciens drogués ou des motards qui collectent des fonds pour des œuvres caritatives, a expliqué Gelvan.
« S’il existe d’autres clubs centrés sur l’identité religieuse, MuJu & Co. est le seul groupe interconfessionnel pour les musulmans, les Juifs et leurs alliés », a déclaré Meyrowitsch. Ils ne connaissent pas d’autres groupes de motards interconfessionnels musulmans/Juifs ailleurs dans le monde, mais ils aimeraient beaucoup collaborer.
Un rabbin, un imam et une Harley…
Le moment interconfessionnel le plus extraordinaire sur un deux-roues s’est peut-être produit en mai dernier. C’était juste avant un débat que MuJu & Co. avait organisé dans un café local de Nørrebro, un quartier de Copenhague comptant une importante population d’immigrants musulmans. Avant le débat, MuJu & Co. avait invité des motards à une visite des hauts lieux musulmans et juifs de Copenhague, notamment des centres communautaires et des lieux de culte.
Le grand rabbin du Danemark, Jair Melchior, s’est joint à eux pour la journée. Malheureusement, le rabbin ne savait pas conduire une moto. C’est pourquoi l’imam Abdul Wahid Pedersen, l’imam d’une grande mosquée de Copenhague qui accompagne occasionnellement le groupe, a invité le rabbin à monter à l’arrière de sa Harley.
L’événement a été un succès, et pas seulement parce qu’un imam et un rabbin roulaient sur une même moto.
« Nous avons parlé de la manière de poursuivre des relations et des dialogues pacifiques, en nous concentrant sur les relations entre Juifs et musulmans, mais aussi de façon générale, sur toutes les minorités ethniques religieuses », a déclaré Meyrowitsch.
Une grande partie de la mission de MuJu & Co. consiste à diffuser son message au-delà des motards et dans le monde entier. Le 19 mars, ils ont participé aux célébrations locales de la Journée internationale des Nations unies pour l’élimination de la discrimination raciale. L’année dernière, ils ont accueilli Liselott Blixt, alors membre du Parlement danois, pour une balade et une discussion sur la politique d’immigration et l’impact de la rhétorique des politiciens sur l’immigration au Danemark. Le député conduisait une énorme Suzuki Hayabusa orange, considérée comme « l’une des motos les plus rapides du marché », selon Meyrowitsch.
Le club a également célébré des fêtes ensemble, notamment en partageant un énorme repas d’iftar du Ramadan avec trois générations de la famille élargie d’Imran Parvaiz, membre du MuJu & Co., et en se réunissant pour allumer les bougies de Hanoukka. Cela leur a permis d’avoir un aperçu de la culture de l’autre et, pour beaucoup, de comprendre comment d’autres personnes de leur propre religion peuvent avoir des traditions différentes.
« Cela nous a donné un aperçu que nous n’aurions probablement jamais eu, à moins d’avoir des amis très proches ou de la famille qui suivent ces traditions de cette manière », a déclaré Meyrowitsch.
« Le message à retenir pour moi est que nous avons utilisé notre passion, la moto, pour renforcer nos liens d’amitié et construire des ponts », a déclaré Dr. Asghar, qui espère que d’autres personnes réfléchiront à des moyens de lier leurs passions à des occasions de rencontrer des personnes un peu différentes d’elles-mêmes.
« Je ne dis pas que tout le monde devrait rouler à moto. Ça pourrait être un club de rencontre, un club de lecture, ou quoi que ce soit d’autre », a-t-il déclaré, exhortant les gens à envisager de s’ouvrir à des personnes de différentes confessions et à voir quel genre de relations peuvent se nouer. « Il s’agit de trouver des amis parmi des personnes peu probables. »
« Les motos ne sont qu’une excuse pour tisser des liens d’amitié », a-t-il ajouté. « Nous avons trouvé de vrais amis, avons appris à nous connaître et nous comblons les fossés que nous pensions exister, mais nous avons surtout réalisé qu’ils n’existaient pas en réalité. »
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