Antisémitisme : Un juge approuve les poursuites contre Harvard, s’opposant au rejet de la plainte
Un juge de district a déclaré que les faits présentés dans la plainte montrent que l'université n'a pas protégé les étudiants juifs contre la haine à leur encontre
L’université de Harvard n’est pas parvenue à convaincre un juge américain de rejeter une plainte déposée par des étudiants juifs qui accusaient le prestigieux établissement d’enseignement supérieur de l’ Ivy League d’avoir laissé son campus devenir un bastion de l’antisémitisme.
Sans se prononcer sur le fond, le juge de district Richard Stearns a estimé, mardi, que les plaignants affirmaient de manière plausible que la réponse apportée par Harvard aux incidents survenus sur le campus était inadéquate, et que « les faits, tels qu’ils sont présentés à la justice, montrent que Harvard a abandonné ses étudiants juifs ».
Stearns s’est également dit « dubitatif » face à l’argument avancé par la défense de Harvard, qui avait expliqué que certaines des activités contestées par les étudiants juifs sur le campus étaient protégées par le premier amendement de la Constitution américaine.
Les étudiants avaient intenté une action en justice en janvier, accusant Harvard d’avoir appliqué de manière sélective sa politique anti-discrimination, avec pour conséquence que les Juifs évoluant sur le campus n’avaient pas été protégés de manière appropriée et que leurs demandes de protection avaient été ignorées. Ils avaient aussi indiqué que des professeurs soutenant la violence antijuive et propageant de la propagande antisémite avaient été embauchés.
Harvard et ses avocats n’avaient pas répondu à nos demandes de commentaire au moment de la rédaction de cet article. Les avocats des étudiants n’ont pas donné suite à nos demandes de réaction pour le moment.
Stearns a jugé que les accusations établissant que Harvard avait agi avec une indifférence délibérée à l’égard de sa communauté juive étaient « suffisantes ».
« Conclure que la plainte n’a pas démontré de manière plausible une indifférence ‘délibérée’ de la part de l’université reviendrait à récompenser Harvard pour ses déclarations publiques pleines de vertu qui, pour la plupart – et selon ce que nous apprend la plainte – se sont révélées creuses lorsqu’il s’est avéré nécessaire de prendre des mesures disciplinaires à l’encontre des étudiants et des enseignants fautifs », a-t-il écrit.
Les étudiants avaient demandé une injonction pour mettre fin aux violations présumées de la part de Harvard du titre VI de la Loi sur les droits civils de 1964 – qui interdit aux bénéficiaires de fonds fédéraux d’autoriser une quelconque discrimination qui serait fondée sur la race, la religion et l’origine nationale.
Stearns a déclaré que les plaignants, au sein de l’université, pouvaient également faire valoir deux autres arguments : Harvard a manqué à son obligation contractuelle d’appliquer ses politiques de non-discrimination et le prestigieux établissement d’enseignement supérieur a traité les étudiants de manière inéquitable en n’appliquant pas ces politiques « de manière impartiale ».
L’action en justice, qui avait été intentée au mois de janvier, est l’une des nombreuses plaintes accusant les grandes universités d’avoir autorisé et d’avoir encouragé l’antisémitisme – notamment lors de manifestations pro-palestiniennes et anti-israéliennes qui avaient pris d’assaut les campus américains suite à la guerre opposant Israël au Hamas dans la bande de Gaza, une guerre qui avait éclaté au mois d’octobre dernier.
L’université Brown et l’université de New York ont trouvé des arrangements dans le cadre de poursuites similaires, le mois dernier.
L’université de Columbia, quant à elle, a accepté, au mois de juin, de fournir des escortes aux étudiants juifs à des fins de sécurité et de prendre d’autres mesures pour mettre fin à une action en justice affirmant que son campus était devenu dangereux.
La plainte contre Harvard avait été déposée huit jours après la démission de l’ancienne présidente de l’université, Claudine Gay, qui se trouvait alors sous le feu des critiques pour sa prise en charge du problème de l’antisémitisme dans le sillage du pogrom commis par le Hamas en Israël, le 7 octobre dernier, et de la guerre à Gaza qui avait suivi le massacre. Gay avait également été accusée de plagiat dans une autre affaire.
Des manifestations anti-israéliennes massives ont balayé les universités américaines après le pogrom du 7 octobre – en cette matinée de Shabbat, des milliers de terroristes, placés sous l’autorité du Hamas, avaient franchi la frontière séparant l’enclave côtière de l’État juif et ils avaient massacré près de 1 200 personnes, des civils en majorité, kidnappant également 251 personnes qui avaient été prises en otage à Gaza. Lors de ces mouvements de protestation qui s’étaient multipliés sur les campus américains, les manifestants avaient scandé des slogans pro-palestiniens tels que « Palestine libre », appelant également parfois à « l’Intifada » – le mot utilisé pour désigner les deux soulèvements meurtriers palestiniens, qui s’étaient caractérisés par des attentats terroristes constants – ou ils avaient appelé de leurs vœux un autre « millier de 7 octobre ».
Gay avait présenté sa démission après une audition au Congrès où elle avait évoqué sa prise en charge, à Harvard, de la problématique posée par l’antisémitisme sur les campus. Elle avait témoigné aux côtés des présidentes respectives de l’université de Pennsylvanie et du MIT.
Lors de cette audition, un député républicain avait affirmé que le soutien à « l’Intifada » équivalait à appeler au génocide des Juifs – avant de demander si ce type d’appel à l’extermination totale de toute une population pouvait être considérée comme contraire aux politiques des campus. Les présidentes avaient apporté des réponses de juristes à cette question, refusant d’affirmer sans équivoque que ce genre de propos était interdit.
Au mois de juin, les groupes de travail consacrés à l’antisémitisme et aux préjugés islamophobes qui avaient été mis en place à Harvard dans ce climat agité ont chacun conclu que le campus connaissait des faits de discrimination et de harcèlement, avec des signalements d’intolérance à l’égard des personnes affichant des opinions pro-palestiniennes ou pro-israéliennes.
Le groupe de travail sur l’antisémitisme a demandé que des mesures soient prises – avec notamment une formation à la lutte contre le harcèlement en direction des étudiants – et que des initiatives soient mises en place pour garantir un « environnement accueillant » aux étudiants juifs pratiquants.
Par ailleurs, le groupe de travail sur les préjugés antimusulmans a recommandé des mesures visant notamment à empêcher le « doxxing » des étudiants qui soutiennent le peuple palestinien et à établir clairement quelles sont les politiques de l’institution en matière de faits d’intimidation ou de préjugés.
Dans un message accompagnant les conclusions des groupes de travail, le président de Harvard, Alan Garber, a exhorté la communauté universitaire à « renforcer nos liens en nous engageant durablement à nous côtoyer les uns envers les autres avec tact, avec décence et avec compassion ».