Un nouveau podcast explore le rôle tenu par la SNCF pendant la Shoah
"Covering Their Tracks" parle d'une bataille pour la justice - mais pour les Juifs américains qui subissent actuellement un antisémitisme sans précédent, c'est aussi une histoire de résilience et de fierté
NEW YORK — Leo Bretholz avait sauté par instinct de survie. C’était le 6 novembre 1942 et le jeune homme avait été embarqué dans un wagon à bestiaux bondé, étouffant, qui était en partance pour Auschwitz-Birkenau. Conscient de la mort certaine qui les y attendait, lui et son ami, Manfred Silberwasser, avaient décidé de se jeter par une fenêtre du train qui circulait dans la nuit. Sur les plus de mille Juifs qui avaient été entassés dans ce train, seuls quatre, dont Silberwasser et Bretholz, avaient survécu à la Shoah.
Ce moment désespéré et stupéfiant est au cœur de « Covering Their Tracks », un podcast récent qui ne raconte pas seulement l’échappée spectaculaire de Bretholz mais aussi ses décennies de combat contre la SNCF, la compagnie de chemins de fer française – une lutte visant à faire assumer à l’entreprise ses responsabilités pour ses actes de collaboration avec les nazis, pendant la guerre. C’est une histoire de survie, une histoire de complicité et de quête de justice et, dans un contexte de recrudescence de l’antisémitisme dans le monde entier, il s’agit aussi de résilience.
« Nous n’avions absolument aucune idée, lorsque nous avons commencé ce travail, qu’il serait diffusé dans une période de bouleversement et de difficultés aussi fortes pour les Juifs de tout le globe », s’exclame Matthew Slutsky, documentariste, qui est à l’origine du podcast.
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Suite au massacre commis par le Hamas dans le sud d’Israël, le 7 octobre – des milliers de terroristes du Hamas avaient franchi la frontière entre l’État juif et la bande de Gaza et ils avaient semé la désolation dans le sud d’Israël, assassinant près de 1 200 personnes et kidnappant 253 personnes, prises en otage dans la bande de Gaza – l’antisémitisme a grimpé en flèche dans le monde entier et notamment aux États-Unis.
S’il connaissait déjà un essor depuis quelques années, il a atteint un nouveau pic avec la riposte lancée par l’État juif, à Gaza, une campagne dont l’objectif est d’obtenir la remise en liberté des otages et de renverser du pouvoir le groupe terroriste, qui gouverne d’une main de fer l’enclave côtière. Dans ce contexte, les activistes anti-Israël ont pris pour cible les Juifs et les institutions de tous les types, en particulier les campus des universités.
« Les circonstances sont très différentes aujourd’hui mais cette haine des Juifs et le sentiment sous-jacent qu’il y a un problème persiste, et nous avons voulu nous assurer que le lien serait fait », ajoute Slutsky.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, la SNCF avait transporté presque
76 000 Juifs vers les camps de concentration, faisant payer des transports au kilomètre aux Allemands – parfois avec des intérêts. Même après la libération de Paris, la compagnie avait continué à réclamer les paiements des factures qui n’avaient pas été honorées.
Les communications internes au sein de la SNCF, pendant la saison des betteraves, sont l’un des éléments les plus stupéfiants à avoir été découverts par Slutsky.
« Ils tentaient de déterminer s’il était plus rentable de transporter des betteraves ou des êtres humains », explique-t-il.
C’est Raphael Prober, l’un de ses amis, qui lui avait raconté cette histoire. Avocat au sein d’un cabinet de Washington DC, Prober avait offert ses services – bénévolement – à Bretholz et à d’autres survivants qui tentaient d’empêcher la SNCF de signer de juteux contrats aux États-Unis.
« Il m’a appelé et il m’a raconté. J’ai eu comme une illumination, j’ai su que je devais faire quelque chose », dit Slutsky.
Le dossier avait fait son apparition quand Bretholz, qui s’était installé dans le Maryland en 1947, avait appris que Keolis, filiale américaine de la SNCF, tentait d’obtenir un contrat de six milliards de dollars pour construire un système de tramway dans l’état. Horrifié, il avait lancé une campagne qui avait visé à obtenir de la compagnie ferroviaire qu’elle reconnaisse sa collaboration avec les nazis, qu’elle présente ses excuses pour cette collaboration et qu’elle indemnise les survivants.
Rosette Goldstein l’avait rejoint dans le cadre de cette initiative. Née à Paris en 1938, Goldstein avait vécu dans la clandestinité, hébergée par une famille chrétienne de fermiers français, pendant la guerre. Sa mère avait survécu ; son père, qui avait été embarqué dans un train de la SNCF à destination d’Auschwitz, était mort. Comme Bretholz, Goldstein voulait que la SNCF reconnaisse sa collaboration.
« La SNCF savait parfaitement ce qui se passait. Ces gens fermaient les portes des trains. Ils refusaient de s’arrêter et de laisser des passants offrir de l’eau, parce qu’un tel arrêt aurait perturbé la durée du transport. Leo et moi voulions que justice soit faite et nous voulions des excuses », dit-elle.
La SNCF n’a jamais nié avoir envoyé les Juifs à la mort, assurant qu’elle n’avait pas le choix. Il n’existe toutefois aucun élément laissant penser qu’un employé de la SNCF aurait risqué, par une éventuelle insubordination, autre chose que la rétention de sa prime de Noël, selon le podcast.
« A travers cette bataille de plusieurs décennies avec la SNCF, j’ai été choqué, encore et encore, par le refus opposé par cette dernière d’assumer ses responsabilités et par l’approche du sujet par l’entreprise, qui semblait considérer tout cela comme une campagne de lobbying ordinaire ou comme une campagne de relations publiques », explique Prober.
Présenté par Tablet Media avec le soutien de Blue Chalk Media, qui s’est chargé de sa production, le podcast « Covering Their Tracks » est une histoire tortueuse qui emporte l’auditeur d’un wagon plombé à un salon d’attente du département d’État américain, des salles d’audiences du Congrès à la table d’une cuisine où les survivants racontent ce qu’ils ont vécu.
« Le thème de la persévérance, dans le récit de Leo, a une résonance réelle. Cette persévérance est un fil conducteur dans l’expérience juive toute entière et il sait l’incarner avec une grande grâce », dit Courtney Hazlett, productrice au sein des Tablet Podcast Studios.
Le podcast est avant tout une histoire de la Shoah, déclare Prober.
« Mais c’est aussi le parcours d’un héros pendant sept décennies ; un récit de lumière face à l’obscurité, d’espoir face au désespoir ; c’est un récit de mort mais également un récit d’amour énorme, de liens que nous entretenons les uns avec les autres, une histoire de responsabilité, de l’importance qu’il peut y avoir à assumer ses responsabilités et de demander pardon », poursuit-il.
Bretholz s’est éteint en 2014, à l’âge de 93 ans, quelques jours avant son témoignage prévu devant la commission des voies et des moyens, à la Chambre du Maryland, où il devait s’exprimer en soutien à un projet de loi exigeant des compagnies ferroviaires s’étant rendues coupables de collaboration avec les nazis et qui cherchent à conclure des contrats publics qu’elles indemnisent les survivants de la Shoah.
La justice a finalement prévalu. En 2016, le département d’État américain a commencé à verser les premières indemnisations françaises aux survivants qui, aux États-Unis, avaient été amenés dans les camps d’extermination par les trains français.
« Je pensais que j’avais compris toute l’histoire quand j’ai commencé le podcast. Mais j’ai découvert au fur et à mesure qu’il y avait tant de choses que j’ignorais ; plus je faisais des recherches, plus j’avais l’impression d’enlever les pelures d’un oignon, les unes après les autres », dit Slutsky.
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