Des fleurons de Torah séfarades vieux de 300 ans exposés aux États-Unis – une première
Le Musée des beaux-arts de Boston et le Musée juif de New York acquièrent ensemble les œuvres d'Oliveyra, premier orfèvre juif enregistré à Londres
BOSTON (JTA) – Abraham de Oliveyra a été officiellement enregistré comme orfèvre à Londres en 1725, devenant ainsi le premier juif à obtenir l’autorisation d’exercer ce métier dans la ville.
Le retour des Juifs en Angleterre n’avait été autorisé que 70 ans avant cette date, après leur expulsion des siècles plus tôt. L’enregistrement d’Oliveyra l’a établi comme un fabricant prolifique d’objets de culte juifs (Judaica) destinés aux synagogues de la ville.
Aujourd’hui, près de 300 ans plus tard, les œuvres d’Oliveyra seront exposées pour la première fois dans des musées américains. Une paire d’ornements de Torah réalisés par l’artisan du 18e siècle a été achetée conjointement par le Musée des beaux-arts de Boston et le Musée juif de New York.
« Le fait qu’Oliveyra ait été le premier orfèvre juif connu actif en Angleterre est absolument remarquable », souligne Abigail Rapoport, conservatrice des objets de culte juifs au Musée juif, dans un entretien accordé à la Jewish Telegraphic Agency. Les ornements, ajoute-t-elle, sont un « chef-d’œuvre de l’histoire du judaïsme ».
La paire d’ornements, des fleurons, ou « rimonim » en hébreu, et se place au sommet des deux portées en bois du rouleau de la Torah quand celui-ci n’est pas en utilisation. Réalisés en 1729 en argent partiellement doré, les fleurons présentent des cloches étagées entourant trois sphères aplaties et soulignant le motif ajouré caractéristique d’Oliveyra, c’est-à-dire le motif créé par le découpage ou le perçage du métal précieux pour former des motifs délicats et complexes, créant une sorte de dentelle métallique.
Oliveyra est également connu pour son utilisation du motif de la coquille, qui caractérise le style rococo de l’époque, inspiré par la nature. Bien que ces objets soient typiques de leur époque, les rimonim dorés conçus par Oliveyra rappellent clairement le caractère juif des fleurons, dans la mesure où ils évoquent le statut royal que les juifs conféraient traditionnellement à la Torah, explique Rapoport.
Les rimonim sont l’une des onze paires connues d’Oliveyra. Les seuls autres rimonim de l’artiste qui se trouvent aux États-Unis appartiennent à la Congrégation Shearith Israel, la synagogue hispano-portugaise de Manhattan.
« On a envie de les toucher, de tracer le dessin exquis avec les doigts et d’imaginer leur utilisation précieuse pendant des siècles », dit Rapoport en parlant des fleurons exposés au musée. « C’est presque intangible et magique. »
Oliveyra est né à Amsterdam dans une famille juive d’origine portugaise venue s’installer dans cette ville hollandaise, plus tolérante, pour fuir les persécutions religieuses. À l’aube de la trentaine, il part s’installer à Londres, où lui et d’autres artisans juifs ont la possibilité d’adhérer à des guildes professionnelles.
C’était un fait rare à l’époque, car les Juifs d’Europe occidentale étaient généralement exclus des guildes d’artistes, et en particulier de l’association des orfèvres. Si bien que jusqu’au 19e siècle, la plupart des pièces européennes d’art cérémoniel juif, bien que commandées par des Juifs, ont été fabriquées par des orfèvres chrétiens.
Dès qu’Oliveyra a commencé à créer ses pièces d’argent, il a été approché par les communautés séfarade et ashkénaze de Londres pour créer des pièces d’argenterie destinées au culte juif. Selon Rapoport, les œuvres d’Oliveyra étaient achetées par les deux communautés.
« J’aime à penser qu’il était la personne de référence pour les fleurons », dit-elle.
Rapoport a déclaré à la JTA que les musées ont acheté les fleurons à Gidon Finkelstein, le fils de feu le diamantaire belge et collectionneur de Judaïca Bernard Finkelstein. Le prix n’a pas été divulgué. Une autre paire de fleurons d’Oliveyra plus simples a été vendue pour 200 000 dollars lors d’une vente aux enchères en 2016, et des fleurons de moindre importance qui n’ont pas pu être authentifiés comme étant l’œuvre de l’artiste ont été vendus chez Sotheby’s en juin pour 25 000 dollars.
D’autres rimonim fabriqués par Oliveyra se trouvent à la synagogue séfarade Bevis-Marks de Londres, qui se veut « la synagogue la plus ancienne et la plus somptueuse de Grande-Bretagne », ou encore à la synagogue Hambro, qui a surtout servi les Juifs ashkénazes de la ville à partir du 18e siècle. Plusieurs exemplaires font partie de la collection permanente du Jewish Museum de Londres et un exemplaire est en dépôt au Victoria and Albert Museum de la ville.
Les rimonim achetés par les deux musées américains sont actuellement exposés au Jewish Museum jusqu’à la fin du mois d’octobre et seront exposés au MFA à partir du mois de décembre.
La collaboration entre les musées « augmente les chances que les rimonim soient vus par un public large et diversifié dans deux villes différentes », a déclaré Simona Di Nepi, conservatrice de l’art judaïque au MFA.
Les deux conservateurs ont déclaré que les rimonim avaient diversifié leurs collections parce qu’Oliveyra était sépharade. En effet, la plupart des objets juifs de leurs collections respectives ont été conçus pour les communautés ashkénazes.
« J’aime beaucoup l’exubérance de ces ornements de la Torah, cet argent percé et travaillé qui orne les fleurons ainsi que les portées gravées avec raffinement », confie Di Nepi.