Uruguay : le président renonce à transformer un aigle nazi en colombe de la paix
Le pays coincé avec la sculpture nazie après les critiques contre la proposition du président Luis Lacalle Pou, la comparant à transformer Auschwitz en une colonie de nudistes

JTA – Le président de l’Uruguay a renoncé à sa proposition de transformer un aigle en bronze pesant 360 kilos et flanqué d’une croix gammée, provenant d’un navire nazi coulé, en une œuvre artistique symbolisant la paix, suite aux critiques affirmant que ce projet desservirait l’Histoire.
La question du sort de l’aigle, abrité dans un entrepôt de la marine, est un problème pour Montevideo depuis qu’il a été récupéré par des explorateurs privés dans l’épave de l’Admiral Graf Spee en 2006. Après avoir brièvement exposé l’aigle en tant qu’objet historique, le pays l’a retiré suite à des accusations selon lesquelles il glorifiait le nazisme.
En 2019, un tribunal uruguayen a décidé que le gouvernement devait mettre l’objet aux enchères et reverser le produit de la vente aux investisseurs qui avaient financé la mission de récupération. Le bronze a été retiré de la vente aux enchères suite aux protestations de groupes juifs et du gouvernement allemand ; un homme d’affaires juif a proposé l’année dernière de l’acheter pour le détruire.
Vendredi, le président Luis Lacalle Pou a suggéré une autre idée : confier à l’artiste sculpteur uruguayen Pablo Atchugarry le soin de fondre la relique et de refaçonner l’aigle nazi en une colombe de la paix.
Les dirigeants juifs locaux ont dans un premier temps salué cette idée, avant que des critiques ne se fassent rapidement entendre.
Transformer un objet nazi en colombe de la paix équivaudrait à ce que « le Mexique transforme ses pierres sacrificielles aztèques en tables de camping », a déclaré l’historien et humoriste uruguayen Diego Delgrossi. Un ancien parlementaire, Anibal Gloodtdofsky, l’a même comparé à « transformer Auschwitz en camp de nudistes ».
L’écrivaine uruguayenne Mercedes Vigil a, elle, tweeté en réponse à l’annonce du gouvernement : « Si le patrimoine culturel de l’humanité suivait ces critères, des joyaux comme le cirque romain, la Cappadoce, le mur des Lamentations et bien d’autres seraient aujourd’hui de la terre brûlée ».

Le président uruguayen a annoncé dimanche qu’il revenait sur sa décision. « Si l’on veut générer la paix, la première chose à faire est de générer l’unité. Et ce n’est pas le cas », a déclaré M. Lacalle Pou lors d’une conférence de presse. « Je continue de penser que c’est une bonne idée, mais un président doit savoir être à l’écoute ».
Le débat a traversé le Rio de la Plata, le fleuve qui sépare l’Uruguay et l’Argentine, où vit une importante communauté juive et où se trouve le plus grand musée du Shoah de la région, qui a récemment rouvert ses portes après trois ans de travaux de rénovation.
« Toutes les idées et représentations artistiques qui sensibilisent le public aux horreurs du nazisme sont très précieuses », a déclaré lundi le directeur exécutif du musée de la Shoah de Buenos Aires, Jonathan Karzembaum, à la Jewish Telegraphic Agency. » Cependant, un objet ou un document historique n’est pas nécessaire pour cela, surtout un objet aussi unique que l’aigle du Graf Spee, qui lie l’histoire du Troisième Reich au fleuve Rio de la Plata ».

Un Argentin a proposé une autre option pour l’aigle nazi.
« L’aigle sur le Graf Spee ne doit pas être dénaturé ou détruit », a tweeté Carlos Maslaton, un avocat et un libéral politique très suivi sur les réseaux sociaux. « Au contraire, il devrait être emmené à Jérusalem, la capitale d’Israël, qui est le pays des Juifs, et être exposé dans un monument spécial avec la phrase : ‘Nazis échoués, l’opération a mal tourné. Le sionisme a gagné. Faites-vous exploser' ».
L’Uruguay compte environ 15 000 Juifs, d’après les données du Congrès juif latino-américain, sur une population totale de 3,4 millions d’habitants. L’Uruguay a été le premier pays d’Amérique du Sud à reconnaître officiellement l’État d’Israël et a accueilli la première ambassade israélienne en Amérique latine, établie en 1948.
L’Uruguay est loin d’être le seul pays à se demander que faire des reliques nazies. La plupart des maisons de vente aux enchères évitent ces objets, par crainte qu’ils ne soient achetés par des sympathisants nazis, mais quelques-unes d’entre elles en ont fait une activité lucrative.
Le Centre Simon Wiesenthal a publié en 2021 une déclaration exhortant l’Uruguay à exposer l’écusson dans un musée au lieu de le vendre sur le marché libre. Les autorités allemandes ont modifié leur position initiale contre l’exposition, déclarant qu’elles autoriseraient l’exposition de l’aigle dans le cadre d’un musée éducatif. Lacalle Pou n’a pas encore proposé d’autre plan depuis qu’il a renoncé à l’idée d’en faire une colombe de la paix.