50 ans après le massacre oublié de Kiryat Shmona, un film réveille les mémoires
« A Haunted Home » évoque l'atroce attentat terroriste qui a coûté la vie à 18 personnes dans un immeuble du nord d'Israël, en 1974, et les failles dans l'action des autorités
En un instant, Yossi Chitrit a perdu sa femme et trois de ses enfants.
Près de 50 ans plus tard, il pleure en se rappelant qu’il se trouvait au pied de son immeuble lorsque les terroristes ont fait irruption à l’intérieur et ouvert le feu sur tous ceux qu’ils ont trouvés.
Ce jour-là, en avril 1974, trois terroristes ont traversé la frontière entre le Liban et Israël et pénétré dans un immeuble de Kiryat Shmona à l’intérieur duquel ils ont tué 18 personnes. Depuis, l’épouvantable massacre a disparu des mémoires et nombreux sont ceux qui ignorent jusqu’à son existence.
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Un nouveau film, intitulé « A Haunted Home » (« La maison de Kiryat Shmona » en hébreu) souhaite le tirer de l’oubli et expliquer pour quelle raison on l’a remisé dans les oubliettes de l’histoire.
Présenté en avant-première au Festival du film de Jérusalem en juillet, il sera diffusé dimanche en Israël sur le réseau câblé HOT.
Co-créé par Lisa Peretz, Robby Elmaliah et Ilanit Baumann, et co-réalisé par Peretz et Elmaliah, le film évoque les événements douloureux de 1974 et examine le profond traumatisme qu’il a laissé sur les habitants de cette ville frontalière du nord, qui moins d’un an plus tôt avait été terrorisée par des centaines de roquettes tirées pendant la guerre du Kippour.
« C’était une plaie ouverte, mais personne n’en parle », expliquait Elmaliah au Times of Israel dans une interview il y a peu. « Ceux qui l’ont vécu, les témoins oculaires, ont mis de la distance entre eux et le bâtiment, le traumatisme. »
A l’aide d’images d’archives, de témoignages de survivants et de proches des victimes et de quelques illustrations, le film fait habilement entrer les spectateurs au coeur de cette histoire déchirante. Le récit le plus douloureux est sans aucun doute celui d’Iris Chitrit, qui avait 9 ans lors de l’attentat qui a coûté la vie à sa mère et à ses trois frères et sœurs.
Elle se souvient s’être cachée derrière la porte d’un placard avec son frère de 4 ans, qui lui tenait la main. Elle a entendu les hommes armés tirer sur sa famille. « Il y a eu un moment de silence et Motti s’est écarté », dit-elle. « Et puis j’ai entendu une autre salve de balles… Je ne le tenais pas fermement. Pas assez, apparemment. »
Elmaliah explique que tous les proches des victimes – partis s’installer ailleurs après le massacre – n’ont pas souhaité parler de ce qu’ils ont vécu.
« Ils n’ont pas tous accepté de participer au film », dit-il. « C’était très difficile pour eux, cela leur rappelait trop de choses. » Mais pour certains survivants, « il était très important de faire ce film, comme pour boucler la boucle ».
Peretz, qui est journaliste au quotidien économique Globes, a grandi à Kiryat Shmona, où elle est arrivée quelques années après le massacre. Elle raconte dans le film comment elle a ressenti le poids de l’attentat sur la ville tout au long de son enfance. Elmaliah dit s’être intéressée à l’histoire et à la ville en raison de ses origines à Sderot, près de Gaza.
« Kiryat Shmona est sans doute le seul endroit en Israël où l’on peut toucher du doigt ce qu’est le stress post-traumatique ». « À Sderot, nous vivons toujours un traumatisme… C’est pourquoi le film et son sujet m’ont tant intéressée. »
L’ex-député du Shas, Yigal Guetta, qui avait 8 ans lorsque son frère et sa belle-sœur enceinte ont péri dans cet attentat, explique que la ville a eu beaucoup de mal à faire face aux conséquences.
« L’école n’a rien fait de spécial pour moi et ce que je traversais, en tant qu’enfant d’une famille endeuillée », se souvient-il dans le film. « On m’a dit qu’un thérapeute viendrait me parler. Je l’attends toujours. »
Les terroristes, affiliés au Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), avaient pénétré en Israël tôt le matin du 11 avril 1974, réussissant à passer inaperçus pendant plus d’une heure. Leur première cible était une école primaire, mais les salles de classe étaient vides car c’était les fêtes de Pessah.
Ils ont alors traversé la rue, sont entrés dans l’immeuble situé au 13, rue Yehuda Halevi dont ils ont tué des habitants avant de se rendre dans l’immeuble voisin, le n° 15, dont ils ont commencé par tuer le jardinier avant de monter les escaliers et tirer sur tous ceux qu’ils voyaient.
Les trois terroristes se sont barricadés dans un appartement au dernier étage, où des coups de feu ont fini par faire exploser leur sac à dos rempli d’explosifs et les tuer tous les trois en plus de deux soldats israéliens. Au total, 16 civils, dont huit enfants, ont perdu la vie ce jour-là.
Le film soulève des questions difficiles sur l’impuissance de la police et de Tsahal à intervenir à temps et sans doute à sauver la vie des blessés. Des témoins oculaires racontent que les forces de l’ordre ont attendu un certain temps à l’extérieur avant d’investir le bâtiment.
Iris Chitrit raconte avoir appelé à l’aide depuis la fenêtre alors que sa mère et sa sœur étaient blessées mais encore en vie, « mais personne ne m’a répondu ». Son père, Yossi, au travail lorsque l’attentat a commencé, est revenu précipitamment : « J’ai essayé d’entrer mais on m’en a empêché… la police des frontières, l’armée, la police, ils regardaient mais personne n’osait monter. »
Yossi Daskal, colonel retraité de Tsahal, avait été dépêché sur les lieux en sa qualité d’officier du renseignement. Il estime que de nombreuses erreurs ont été commises.
« C’un vrai fiasco », dit-il dans le film. « Nous n’avons pu sauver personne. L’armée n’a sauvé personne. »
Près de 50 ans plus tard, Elmaliah – qui n’avait pas entendu parler de l’attaque avant de travailler à ce film – est d’avis que le souvenir de l’attentat ne s’est pas effacé tout seul, mais qu’il a au contraire été délibérément enfoui.
« L’une des raisons pour lesquelles cet événement est méconnu – et même caché, interdit – … c’est parce qu’il n’y a pas de bravoure ». « Il n’y a pas de héros dans cette histoire … Personne n’a sauvé personne. En fin de compte, 18 personnes ont été tuées, et les soldats ne sont entrés dans le bâtiment qu’à la fin. »
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