A la Knesset, Tsahal admet avoir ajouté des centaines de recrues Haredi fictives
La Direction des ressources humaines reconnaît que des erreurs ont été commises dans le comptage des recrues ultra-orthodoxes, mais affirme ne pas avoir cherché à tromper le public
Judah Ari Gross est le correspondant du Times of Israël pour les sujets religieux et les affaires de la Diaspora.
Des officiers supérieurs de la Direction des ressources humaines de l’armée ont été convoqués lundi devant la puissante commission des Affaires étrangères et de la Défense de la Knesset pour expliquer les disparités importantes récemment révélées dans le nombre de recrues ultra-orthodoxes.
La semaine dernière, la chaîne publique Kan a rapporté que pendant des années, l’armée israélienne avait publié des chiffres gonflés concernant les recrues ultra-orthodoxes, ou Haredim, correspondant parfois à deux ou trois fois les véritables chiffres.
En réponse au tollé, le chef d’État-major de Tsahal, Aviv Kohavi, a ordonné une enquête approfondie sur cette affaire, qui sera confiée à Roni Numa, un général en chef récemment démobilisé.
Au cours de la réunion de lundi, le chef de la Direction des ressources humaines, le général de division Moti Almoz, a révélé qu’en un an, quelque 300 personnes se sont ajoutées aux effectifs des soldats ultra-orthodoxes, même si elles ne font pas partie de cette communauté. Toutefois, il a soutenu que les autres divergences étaient le résultat d’une erreur liée à un changement dans les critères de définition des Haredim.
« Ils n’ont certainement pas à être dans le décompte », a-t-il dit. « Cela pourrait être une erreur, une erreur sérieuse. »
La semaine dernière, un officier de la Direction des ressources humaines, s’exprimant de manière anonyme, a déclaré à la Treizième chaîne de télévision qu’il subissait des pressions des plus hautes sphères pour « truquer les chiffres » et atteindre les objectifs d’enrôlement des ultra-orthodoxes.
Moti Almoz a fait savoir que l’armée n’avait pas encore terminé son enquête sur cette affaire. La commission des Affaires étrangères et de la Défense, chargée de superviser l’enrôlement des Haredim, prévoit de tenir une session de suivi une fois que Numa aura remis son rapport à Kohavi.
« Nous avons décidé de procéder à deux auditions, l’une maintenant et l’autre à la fin de l’enquête de Roni Numa », a indiqué le député Gabi Ashkenazi (Kakhol lavan), un ancien chef d’État-major de l’armée israélienne.
Ashkenazi a reproché à l’armée de ne pas s’être manifestée après avoir découvert les disparités. Le fait que l’information ait été divulguée aux médias à la place a nui à l’image de Tsahal, a-t-il déploré.
Le député Yair Golan du Camp démocratique, ancien chef d’État-major adjoint, a recommandé que Tsahal prenne la question au sérieux et qu’une enquête approfondie soit menée sur cette affaire, ce qui, selon lui, « a fait passer l’armée pour des menteurs ».
Au début de ses observations, Almoz a rejeté les affirmations selon lesquelles les chiffres gonflés ont commencé sous ses prédécesseurs.
« Je suis le responsable de tout cela, moi seul », a-t-il précisé.
Le chef de la Division de la planification et de la direction des ressources humaines, le brigadier général Amir Vadamni, a rejeté l’idée que l’armée avait délibérément cherché à tromper le public.
« Il est important pour moi de dire dans cette instance importante : nous ne sommes pas des menteurs ou des fabricants ou des gonfleurs de chiffres. Dès que nous avons découvert les écarts, nous les avons mis sur la table », a assuré Amir Vadamni.
Avec l’adoption d’une nouvelle loi exigeant une augmentation de l’enrôlement des Haredim en 2012, l’armée s’est vu assigner des objectifs spécifiques chaque année, commençant en 2013 avec 2 000 et augmentant chaque année à 3 200 en 2016, sur un effectif annuel de 30 000 à 40 000 recrues ultra-orthodoxes potentielles. L’armée n’a jamais atteint ces chiffres, ratant les objectifs de plusieurs dizaines à plusieurs centaines de personnes.
Le brigadier général a indiqué que les écarts avaient été découverts à son initiative.
Selon Vadamni et Almoz, le problème a été découvert lorsque la Direction des ressources humaines préparait les statistiques pour 2018.
« Lors de la collecte des chiffres pour 2018, nous avons arrêté le processus. Nous avons compris que quelque chose dans les chiffres ne tenait pas la route », a expliqué Almoz.
Vadamni a expliqué qu’il avait ordonné à un colonel d’examiner la question et de vérifier les chiffres.
« J’ai trouvé dans mon enquête que les chiffres rapportés en 2017 étaient inexacts », a-t-il dit.
Selon les généraux, la principale cause de ces écarts repose sur un changement dans la définition de qui est considéré comme ultra-orthodoxe.
Au départ, l’armée n’avait pas de définition légale. Ainsi, Tsahal a inclus dans ses chiffres à la fois les personnes ayant étudié dans des écoles reconnues comme Haredi pendant au moins deux ans et les personnes qui, autrement, vivaient un « style de vie Haredi », a déclaré un porte-parole militaire la semaine dernière. En 2014, la Knesset a proposé des critères spécifiques pour déterminer qui est considéré comme Haredi, à savoir tous ceux ayant étudié dans une institution ultra-orthodoxe pendant au moins deux ans.
Malgré le changement juridique, l’armée a déclaré qu’elle avait accidentellement continué à inclure des personnes qui semblaient être des Haredim, mais qui ne répondaient pas aux critères.
Almoz a déclaré qu’il n’était pas encore clair combien de personnes incluses dans ces chiffres n’étaient pas considérées comme Haredim en vertu de la loi en question.
Les chiffres erronés, calculés par la Direction des ressources humaines, étaient envoyés chaque année au chef d’État-major de Tsahal, au ministre de la Défense et à tout autre organisme gouvernemental compétent et publiés dans des rapports officiels.
Vadamni a fait savoir que la tâche de dénombrer le nombre de recrues Haredi est une affaire compliquée, qui exige la combinaison et l’analyse de diverses bases de données provenant de sources disparates.
« Le processus de collecte des chiffres, qui semble simple, est en fait très compliqué. Je ne dis pas que nous sommes satisfaits ; je dis simplement qu’il est compliqué de passer en revue les chiffres », a-t-il affirmé.
M. Vadamni a ajouté qu’une partie du problème se situait dans les zones grises ; par exemple, les personnes qui ne répondent pas à la définition légale mais qui vivent un style de vie Haredi, ou les personnes qui n’ont étudié dans une école ultra-orthodoxe que pendant un an et demi, pas deux.
« Il y a des gens qui ne répondent pas aux critères, mais qui sont des Haredi », a dit M. Vadamni.
Le député Kakhol lavan Ofer Shelah a rapidement rejeté les observations de l’officier.
« Non, vous ne pouvez pas dire ça ! » a déclaré Shelah, soulignant l’importance pour Tsahal de respecter les définitions juridiques.
La communauté ultra-orthodoxe a historiquement bénéficié d’exemptions générales de l’armée en faveur des études religieuses en yeshiva et de nombreux membres de la communauté se soustraient au service militaire, qui est obligatoire pour les autres Juifs israéliens.
Depuis que la loi autorisant l’exemption a été abrogée en 2012, le gouvernement a commencé à fixer des quotas d’enrôlement annuels croissants, au milieu d’un tollé du grand public à l’égard de la communauté qui ne partage pas le fardeau du service militaire.
Les responsables politiques se sont efforcés d’élaborer de nouvelles règles concernant le nombre d’enrôlements et les sanctions pour les déserteurs, un point de friction important dans les pourparlers de coalition ratés.
En effet, l’impasse politique actuelle d’Israël peut être attribuée à des querelles politiques au sujet de l’enrôlement d’étudiants de yeshiva. En mai, moins de deux mois après que les électeurs ont semblé donner au Premier ministre Benjamin Netanyahu le mandat de former un nouveau gouvernement, les pourparlers de coalition ont échoué parce que le parti laïc de droite Yisrael Beytenu et les partis ultra-orthodoxes ont refusé de faire des concessions au sujet de la loi.
Le projet de loi élaboré par le ministère de la Défense, actuellement en cours d’examen, aurait fixé des objectifs annuels minimaux pour la conscription ultra-orthodoxe qui, s’ils n’étaient pas atteints, entraîneraient des sanctions financières pour les yeshivas où les étudiants sont inscrits. Dans le même temps, il officialiserait également les exemptions pour la grande majorité des étudiants de yeshiva.
L’équipe du Times of Israel a contribué à cet article.