A la synagogue de Rome, le pape condamne la violence au nom de Dieu
Le pape a évité toute allusion spécifique politique en lien avec Israël, a évoqué la Shoah et la rafle de 1 026 juifs dans le ghetto de Rome, déportés à Auschwitz en octobre 1943

Le pape François a exalté dimanche l’amitié qui le lie aux juifs, demandant à tous les croyants de rejeter l’antisémitisme et la violence au nom des monothéismes, dans sa première visite à la synagogue de Rome.
Troisième pape à s’y rendre après Jean Paul II (1986) et Benoît XVI (2010), François été chaleureusement accueilli, entouré dès son arrivée par de vieux habitants du Ghetto avec qui il a été aussitôt à tu et à toi.
Il a ensuite été accueilli à l’intérieur du « Tempio maggiore », situé au bord du Tibre, par 1 500 invités qu’il a longuement salués.
« Nos relations me tiennent beaucoup à coeur. Déjà à Buenos aires j’avais l’habitude d’aller dans les synagogues et de rencontrer vos communautés », a-t-il rappelé à son auditoire conquis, commençant avec « Toda raba » (merci) et finissant par « Shalom alechem » (« la paix soit sur vous »).
Au milieu de mesures de sécurité imposantes (800 hommes mobilisés), cette visite, presque trois ans après son élection, a eu lieu sur fond de quelques frictions comme la reconnaissance de l’Etat palestinien par le Saint-Siège. Mais le pape a évité toute allusion spécifique politique.
« Non à toute forme d’antisémitisme ! Il faut condamner toute injure, toute discrimination et toute persécution qui en dérivent ! », a clamé le pape, très applaudi.
Il a appelé à la « vigilance maximale » pour défendre la dignité humaine. S’adressant aux juifs comme à ses « chers frères aînés », comme l’avait fait Jean-Paul II, le pape a exprimé « sa proximité avec tout survivant de la Shoah encore en vie ».
« Lien indestructible »
« Six millions de personnes, seulement parce qu’elles appartenaient au peuple hébreu, ont été victimes de la barbarie la plus inhumaine, perpétrée au nom d’une idéologie qui voulait substituer l’homme à Dieu », a-t-il remarqué, en évoquant la rafle de 1 026 juifs dans le ghetto de Rome, déportés à Auschwitz en octobre 1943.
Evoquant la fanatisme dans le monde, le pape a assuré : « Ni la violence ni la mort n’auront jamais le dernier mot, parce que Dieu est le Dieu de l’amour et de la vie. Nous devons le prier avec insistance pour qu’il nous aide à pratiquer en Europe, en Terre Sainte, au Moyen Orient, en Afrique (…) la logique de la paix, de la réconciliation ».
« La violence de l’homme contre l’homme est en contradiction avec toute religion digne de ce nom, et en particulier avec les trois grandes religions monothéistes », a martelé Jorge Bergoglio, dans un discours qui visait aussi les musulmans.
François s’est félicité du chemin parcouru depuis le Concile Vatican II (1962/655), après des siècles d’ « enseignement du mépris » ayant contribué à alimenter l’antisémitisme. « D’ennemis et étrangers, nous sommes devenus amis et frères » et « le lien est indestructible », a-t-il insisté.
« Pour se comprendre eux-mêmes, les chrétiens ne peuvent que faire référence aux racines juives, et l’Eglise, tout en professant le Salut à travers le Christ, reconnaît le caractère irrévocable de l’Ancienne Alliance et l’amour constant et fidèle de Dieu pour Israël », a-t-il dit.
Dans son discours d’accueil, la présidente de la communauté juive de Rome, Ruth Dureghetto, avait affirmé que « tous doivent dire au terrorisme de s’arrêter. Pas seulement le terrorisme de Madrid, de Londres, Bruxelles ou Paris, mais aussi celui qui frappe tous les jours Israël ».
Elle a remercié le pape François pour avoir dit l’an dernier à une délégation juive qu’ « une attaque délibérée contre Israël était de l’antisémitisme ».
Le pape François a aussi appelé les trois religions monothéistes -christianisme, islam et judaïsme– à rejeter toute violence qui est « en contradiction » avec elles, lors de sa première visite à la synagogue de Rome.
« La violence de l’homme contre l’homme est en contradiction avec toute religion digne de ce nom, et en particulier avec les trois grandes religions monothéistes », a affirmé Jorge Bergoglio, en exaltant « le lien imbrisable unissant juifs et chrétiens ».

Christianisme et judaïsme doivent aussi « offrir à l’humanité entière le message de la Bible sur le soin de la Création » au monde, a-t-il ajouté, dans un nouvel appel pour la protection de l’environnement.
Affirmant que les relations avec les juifs lui « tiennent beaucoup à coeur » et évoquant « un lien unique et particulier » entre les deux religions « en vertu des racines juives du christianisme », le pape François a condamné avec force l’antisémitisme.
« D’ennemis et étrangers, nous sommes devenus amis et frères », a-t-il noté, en reparcourant le chemin parcouru depuis la déclaration du Concile Vatican II, « Nostra Aetate » (1965), sur le respect dû aux autres religions.
Pape/juifs : des frictions demeurent par delà l’immense progrès accompli
La réconciliation progresse sans cesse depuis la fin du Concile Vatican II (1962/65) entre juifs et catholiques, mais de nombreuses incompréhensions et pommes de discorde subsistent.
La principale est la pleine reconnaissance effective depuis ce mois de janvier de l’Etat de Palestine par le Saint-Siège. Alors qu’un accord règle désormais le statut des institutions de l’Eglise en Palestine, un accord semblable n’a pas été encore conclu avec Israël, alors que le Vatican et l’Etat hébreu entretiennent des relations diplomatiques depuis 1993.
Plusieurs attitudes du pape, notamment quand il s’était arrêté en 2014 devant le mur de séparation près de Bethléem, pour protester contre son existence, et son éloge appuyé du président palestinien Mahmoud Abbas « homme de paix » n’ont pas été appréciées des Israéliens.
En décembre, un document de la Commission vaticane pour les relations religieuses avec les juifs, affirmant que l’Eglise « ne mène ni n’encourage aucune mission institutionnelle tournée spécifiquement vers les juifs », autrement dit que l’Eglise ne doit plus chercher à les convertir, a été très favorablement accueilli.
L’Eglise prend ses distances avec la « théologie de la substitution » selon laquelle Dieu aurait délaissé les juifs pour ne s’intéresser qu’aux chrétiens, s’était félicité le rabbin américain David Rosen.

Mais les théologiens juifs demandent que ce message, qui met fin à des siècles d’ « enseignement du mépris » et d’antisémitisme, ne reste pas cantonné aux élites mais soit diffusé dans les moindres paroisses. Si la hiérarchie de l’Eglise et ses théologiens ne parlent plus du « peuple déicide », un tel jugement négatif s’observe encore chez certains croyants traditionalistes.
Un autre thème sensible est le lien du peuple juif avec la terre d’Israël. Des théologiens juifs reprochent au Saint-Siège de refuser de prendre en considération le caractère central qu’occupe la Terre d’Israël dans la vie religieuse, passée et présente, des juifs. Le Saint-Siège est jugé pro-palestinien, pro-arabe, en adoptant cette attitude.
Certains s’irritent du message sur la miséricorde dont ne cesse de parler François : la miséricorde serait celle du Christ et du nouveau Testament, l’ancien Testament (avant Jésus) étant perçu comme dur et non miséricordieux, Dieu y figurant essentiellement comme « le Dieu de justice ».
D’autres encore ne sont pas d’accord avec la formule popularisée par Jean Paul II pour définir les juifs, « nos frères aînés », en rappelant que, dans l’Ancien Testament, le frère aîné a souvent le mauvais rôle. Benoît XVI avait préféré employer le terme de « pères dans la foi ».
Enfin, le procès de béatification du pape Pie XII (1939/58), qui est au ralenti mais n’est pas abandonné, heurte de nombreux juifs, qui reprochent à ce pape de ne pas être intervenu comme il aurait dû contre la Shoah perpétrée par les nazis, une attitude qu’ils dénoncent comme une forme de complicité passive.