A New York, une campagne de mobilisation appelle les Juifs à voter aux municipales
Les bénévoles du Jewish Voters Action Network puisent dans leur cercle social pour inciter leurs amis et leur famille à s'enregistrer auprès des démocrates et à se rendre aux urnes

NEW YORK – Une bénévole, une paire d’écouteurs aux oreilles, est au téléphone. Elle lit un texte imprimé qui est posé sur une table, à côté d’une masse de Post-Its, de plusieurs tasses à café et d’un chapeau sur lequel est inscrit un slogan : « Pas de kvetch. Votez. »
« Il est déterminant que la voix de la communauté juive soit entendue lors des élections municipales. Et pour qu’elle soit entendue, vous devez être vous enregistrer auprès des démocrates », dit-elle avec conviction – c’est son vingtième appel de la matinée. « Est-ce qu’on peut compter sur vous pour vous inscrire ? »
Cet appel entre dans le cadre d’une campagne menée par le Jewish Voters Action Network, le réseau d’action des électeurs juifs, un nouveau groupe qui s’est donné pour objectif de mobiliser les électeurs de la communauté en vue des élections municipales de la ville de New York. Cette organisation à but non-lucratif a été créée au mois d’août dernier et elle a inauguré son bureau, situé dans l’Upper West Side, au début du mois.
Une centaine de bénévoles y travaillent à ce jour. Ils appellent – depuis leur domicile ou depuis le bureau – leurs connaissances, leurs amis et les membres de leur famille, en se concentrant tout particulièrement sur ceux qui ne sont pas démocrates, pour leur donner des informations sur les élections municipales de cette année et pour les sensibiliser à l’importance du scrutin. L’initiative est financée par des donateurs privés et par des subventions, explique Becca Zebovitz, qui est la directrice exécutive du groupe.
Leur principal message : la nécessité de s’inscrire en tant que démocrate en vue des primaires. Le parti démocrate a la main haute dans la ville de New York, ce qui signifie que l’issue de la majorité des élections municipales se décide lors des primaires du parti. Les élections au conseil municipal et le scrutin qui désignera le nouveau maire auront lieu au mois de juin, avant les élections générales du mois de novembre.
« Beaucoup de gens semblent ne pas se rendre compte. Et quand on les interpelle en leur disant que : ‘Hé, vous êtes inscrit comme républicain, si vous voulez avoir votre mot à dire, vous devez vous enregistrer du côté démocrate’, je pense qu’ils ne réalisent même pas », s’exclame Lizzy Brenner, une bénévole.
Après le 14 février – c’est la date-limite pour changer de parti – les bénévoles s’efforceront de convaincre les Juifs de New York de se rendre aux urnes.
Les bénévoles atteignent leurs cibles à l’aide d’une application israélienne qui s’appelle UpVote. L’application fait correspondre les données publiques portant sur les inscriptions sur les registres électoraux aux contacts de l’utilisateur – les bénévoles peuvent ainsi voir qui, parmi leurs contacts, est inscrit comme républicain ou comme indépendant, explique le directeur de la campagne sur le terrain, Avishai Rostamian. Les volontaires peuvent passer un appel téléphonique ou ils peuvent envoyer un texte qui a été prérédigé.
« Quand on a une discussion plus émotionnelle – c’est en particulier le cas avec un ami, avec quelqu’un qui vous connaît, avec quelqu’un qui comprend votre point de vue – ça peut être beaucoup plus efficace », dit Zebovitz, dont ce n’est pas la première expérience dans des organisations juives à but non-lucratif.
Le groupe se focalise pour le moment sur la campagne téléphonique – mais il élargira ses activités à l’approche des élections en faisant du porte-à-porte à Brooklyn et dans le Queens, et en installant des tables dans des restaurants et dans des épiceries casher.
L’initiative a été inspirée par une campagne de mobilisation juive qui avait été lancée dans le contexte d’une course au Congrès dans le comté de Westchester, au nord de New York, l’année dernière. Cette course opposait George Latimer, un démocrate centriste et pro-israélien, au député sortant de gauche Jamaal Bowman, un critique féroce d’Israël affilié au mouvement Democratic Socialists of America (DSA), une personnalité qui avait entraîné la colère et l’inquiétude du côté des électeurs juifs pendant la campagne.

Latimer l’a finalement emporté, en partie grâce à la participation des électeurs juifs, indique Maury Litwack, fondateur du Jewish Voters Action Network. Ce sont environ 12 000 bulletins qui ont décidé de l’issue du scrutin et 14 000 électeurs juifs s’étaient rendus dans les bureaux de vote, soit 20 % du total, déclare-t-il. Il ajoute que cette élection a été « notre plus grande prise de conscience de ce que nous pouvions véritablement accomplir dans la réalité ».
« Tous ces éléments combinés nous ont fait comprendre qu’il y a réellement quelque chose à faire. C’est à ce moment-là que nous avons commencé à construire et à créer une nouvelle organisation », explique Litwack. « Et la ville par excellence où nous pouvons mettre en œuvre ces tactiques et ces techniques, c’est bien la ville de New York. »
Brenner, qui est mère de deux enfants et qui vit dans l’Upper East Side, raconte avoir suivi la campagne de Westchester : « C’était incroyable de voir que tant de gens votaient, que tant de gens s’engageaient civiquement ». Elle a entendu parler de l’initiative prise à New York par des connaissances et elle a décidé de se porter volontaire – malgré un emploi du temps chargé.
« Si je dois prendre 30 minutes ici et là pour m’arrêter, pour faire du démarchage téléphonique, pour amener les gens à s’impliquer, pour les inciter à s’engager, je le ferai. C’est quelque chose de trop important pour s’endormir sur ses lauriers », s’exclame-t-elle alors qu’elle se trouve à l’extérieur du bureau où travaillent les bénévoles, un bureau niché entre un bureau de tabac et un salon de coiffure sur Lexington Avenue.
Les élections au conseil municipal de New York se jouent souvent à quelques milliers de voix, et le taux de participation dans la course à la mairie est généralement faible, note Litwack, ce qui signifie que la communauté juive peut avoir un impact important. Lors du dernier scrutin, en 2021, le taux de participation n’avait été que de 21 %.
« C’est ce principe établi d’un taux de participation faible avec une communauté juive, ici, qui compte près d’un million d’électeurs juifs qui nous a poussés à créer cette organisation et à la développer », précise-t-il. Litwack qui, dans le passé, a fait du lobbying à Washington, est membre de la Teach Coalition, un groupe affilié à l’Orthodox Union (OU) qui œuvre en faveur de l’éducation et qui a participé à la campagne de Westchester, l’année dernière.
Dans les primaires de Westchester comme dans celles qui sont organisées en vue des élections de la ville de New York, de nombreux électeurs juifs centristes et de droite s’inquiètent des critiques acerbes de la gauche à l’égard d’Israël. Dans la course à la mairie de New York, l’activiste anti-israélien Zohran Mamdani, comme Bowman, est soutenu par les Democratic Socialists of America. Mamdani est membre de l’assemblée de l’État et il a obtenu de bons résultats lors de ses premières collectes de fonds – même s’il reste relativement à la traîne dans les sondages.

Le Jewish Voters Action Network ne peut pas soutenir un candidat à proprement parler en raison de son statut non-lucratif, mais Litwack explique que l’appartenance de Mamdani au groupe Democratic Socialists of America est en elle-même un facteur déterminant aux yeux des électeurs juifs.
« Concernant le DSA, la communauté juive dans son ensemble est extrêmement inquiète parce que le groupe adopte des positionnements qui sont ouvertement anti-israéliens et qu’il a constamment élu des politiciens qui ont soit des positions terrifiantes sur l’antisémitisme, soit des positions erronées sur l’antisémitisme », note-t-il.
« Le DSA est, en ce qui me concerne, un exemple de ce qui se passe lorsque les membres de la communauté juive, les New Yorkais et les Américains ne votent pas et qu’ils permettent à d’autres de dominer ces primaires à faible taux de participation – avec des gens qui, par la suite, seront en mesure de revendiquer un mandat », explique Litwack.
Sara Forman, à la tête du New York Solidarity Network, un groupe politique pro-israélien qui n’est pas affilié à la campagne de mobilisation, estime que cette initiative s’inscrit dans le cadre d’un mouvement plus large au sein de la communauté juive américaine depuis le pogrom qui a été perpétré par le Hamas, le 7 octobre 2023, en Israël, avec les répercussions que l’attaque sanglante a pu avoir dans la politique américaine.
« Il y a simplement une hyper-conscience de notre environnement, de la personne nous représente, de ce que cette personne va dire, on y prête attention », explique Forman. « Je pense que ça fait vraiment la différence pour les électeurs juifs, aujourd’hui. Je pense que nous sommes restés endormis pendant un certain nombre d’années, mais j’ai l’impression que nous sommes tous très éveillés aujourd’hui. »
Elle salue le Jewish Voters Action Network, soulignant qu’il s’agit de la toute première initiative de cette ampleur à New York.

Phylisa Wisdom, à la tête du groupe politique libéral New York Jewish Agenda, estime qu’il est « très certainement important de s’assurer que les électeurs juifs sont engagés et actifs au cours de ces élections, en particulier à un moment où un si grand nombre de questions juives sont à l’ordre du jour ».
Wisdom, qui n’entretient aucun lien avec cette mobilisation électorale, dit que les données indiquent que les électeurs juifs ont tendance à s’engager et à participer aux élections locales et fédérales. Elle fait remarquer également que la population des électeurs juifs de Westchester est différente de celle de la ville de New York, où les populations progressistes et hassidiques sont plus nombreuses.
« Je ne pense pas que cette initiative modifiera beaucoup le comportement électoral des juifs libéraux, mais je suis curieuse de voir l’impact qu’elle aura dans la ville », s’exclame-t-elle.
Concernant les électeurs qui changent de parti pour avoir une influence sur le scrutin, « on peut comprendre que les gens veuillent pouvoir peser dans la balance » mais cela pourrait devenir un problème en fonction du vainqueur.
« Si un groupe d’anciens républicains finit par pousser un candidat ou un autre à l’emporter, je pense que les électeurs démocrates auront du mal à l’accepter – mais il y a tellement de scénarios possibles », ajoute-t-elle.

La course à la mairie est toujours en suspens – y compris pour le vote juif. L’ancien gouverneur de New York, Andrew Cuomo, est, selon les sondages, le grand favori – mais il n’est pas officiellement entré dans la course. Cuomo s’est prononcé à plusieurs reprises en faveur d’Israël et contre l’antisémitisme depuis qu’il a démissionné de son poste de gouverneur à la suite d’accusations de harcèlement sexuel, en 2021. Le maire de New York, Eric Adams, est également un fervent partisan d’Israël et il entretient des liens étroits avec de nombreuses communautés juives, mais ses sondages sont médiocres et il fait l’objet d’accusations de corruption.
Le contrôleur juif de la ville, Brad Lander, un progressiste, a axé sa campagne sur les questions de qualité de vie. L’ancien contrôleur et président de l’arrondissement de Manhattan, Scott Stringer, un juif centriste, est également en lice. L’avocat Jim Walden, un candidat de longue date, a fait de la lutte contre l’antisémitisme l’une des priorités de sa campagne.
En plus des élections municipales, le Jewish Voters Action Network a identifié 12 courses au conseil municipal qu’il juge compétitives.
Les questions juives joueront probablement un rôle déterminant dans ces élections, en raison des problèmes liés au conflit du Moyen-Orient – des problèmes comme l’antisémitisme, les manifestations de rue, comme les lois sur le port du masque et le soutien à Israël, affirment les analystes politiques.
Les membres de la campagne de mobilisation espèrent que – même si les candidats privilégiés par les électeurs juifs devaient perdre – les élus en tiendront compte avec une communauté qui se sera rendue en grand nombre aux urnes. (Une initiative distincte a adopté une approche similaire au sein de la communauté hassidique ‘Habad-Loubavitch dans le quartier de Crown Heights, à Brooklyn).
« Même si quelqu’un qui n’est peut-être pas très favorable à l’égard de la communauté arrive au pouvoir, s’il a conscience du fait que notre groupe s’est rendu aux urnes en grand nombre, il sera obligé de s’en préoccuper », affirme-t-elle.
Les organisateurs n’ont pas l’intention de se limiter à la ville de New York et ils espèrent élargir leur initiative et leur infrastructure à l’échelle nationale.
« Nous sommes en train de mettre en place un terrain qui nous permettra de revenir à chaque élection et de dire : ‘D’accord, il a fallu revenir, il faut recommencer. Nous devons recommencer. Nous devons à nouveau activer nos réseaux’, » explique Zebovitz.
« Nous devons pouvoir demander des comptes à nos hommes politiques, et c’est ce que nous faisons. Nous allons dire aux gens : « C’est l’antisémitisme qui figure sur le bulletin de vote ici, à New York’, » continue-t-elle.
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