À Tel Aviv, des prières en amont de Rosh HaShana pour transcender les clivages politiques
Alors que les appels pour le retour des captifs deviennent synonymes de manifestations anti-gouvernement, une soirée de Selichot sur la Place des Otages veut créer un espace inclusif
JTA – Le son chevrotant du shofar a résonné dans la petite foule rassemblée sur la Place des Otages à Tel Aviv dimanche soir pour une soirée de Selihot, les prières de pénitence récitées à l’approche des fêtes du Nouvel an juif.
La chanteuse et compositrice Kaley Halperin, qui a soufflé dans le shofar, a réfléchi à ce qui lui passait par la tête au moment où elle l’a fait retentir.
« J’espérais que, quelque part dans les profondeurs des tunnels de Gaza, quelqu’un entendrait le son et saurait que nous l’appelons à rentrer chez lui », a-t-elle déclaré.
Recevez gratuitement notre édition quotidienne par mail pour ne rien manquer du meilleur de l’info Inscription gratuite !
Halperin faisait partie d’un groupe de cinq personnes qui s’étaient réunies pour diriger la cérémonie musicale, qui combinait des chansons populaires israéliennes et des liturgies traditionnelles de Selihot. Depuis le 7 octobre, les textes religieux et laïcs ont acquis une nouvelle signification, a-t-elle expliqué, citant des paroles de chanteurs israéliens emblématiques, notamment Shlomo Artzi, Naomi Shemer et Chava Alberstein, appelant les êtres chers à rentrer.
La soirée était organisée par Rabba Anat Sharbat, une résidente de Tel Aviv décrite par un participant à l’événement comme « la rabbin de la Place des Otages ».
Sharbat, ordonnée rabbin par la yeshiva libérale orthodoxe Maharat, a commencé à organiser des offices hebdomadaires de Kabbalat Shabbat accueillant le jour de repos juif, ainsi que des cérémonies de Havdalah, quelques jours après le pogrom du 7 octobre perpétré par le groupe terroriste palestinien du Hamas. Une table de Shabbat a été disposée sur la place – avant qu’elle ne soit rebaptisée Place des Otages – en prévision du retour imminent des otages.
« Nous étions naïfs à l’époque, nous pensions qu’ils reviendraient rapidement », a déclaré Sharbat.
« Mais j’ai vu la table et j’ai dit, en attendant, nous avons besoin d’un Kabbalat Shabbat ici. J’ai senti que cet endroit avait besoin de prières. »
Le samedi suivant, Shelly Shem-Tov, dont le fils de 22 ans, Omer, fait partie des otages enlevés par le Hamas le 7 octobre, a demandé à Sharbat de diriger la Havdalah, la prière marquant la sortie du Shabbat. « Cette nuit-là a commencé une tradition qui, nous l’espérons, cessera très, très bientôt, lorsqu’ils rentreront chez eux », espère Sharbat.
Ces derniers mois, les samedis soirs sont également devenus synonymes à Tel Aviv de manifestations appelant à un accord de de « trêve contre libération d’otages ». Alors que les rassemblements ont lieu à deux pas du siège du ministère de la Défense, des efforts ont été faits pour que la Place des Otages reste un espace neutre, sans contenu politique, par respect pour les familles qui couvrent l’ensemble du spectre politique.
Mais comme l’a souligné Rena Egulsky, l’une des participantes, malgré les meilleures intentions, la place s’est parfois transformée en un forum où se joue la politique. « Si un membre d’une famille d’otages prononce un discours contre le gouvernement, personne ne l’arrêtera », a-t-elle déclaré.
« Ce qui était si unique dans cet événement [de Selihot], c’est que pas un seul mot politique n’a été prononcé. »
« Peut-être était-ce dû aux prières et aux supplications, je ne sais pas. Cela ne vient pas d’un point de vue religieux ; il s’agit plutôt de la connexion entre les gens qui a été créée grâce à eux. C’était très puissant », a déclaré Rena, qui se décrit comme n’étant pas pratiquante.
« On pouvait le voir à la diversité des passants – des Haredim aux plus laïcs – qui ont été attirés par l’événement et qui sont restés jusqu’à la fin. »
Tehila, une participante qui semblait porter une tenue tsniout – soit conforme aux règles vestimentaires de la loi juive orthodoxe – et qui a refusé de donner son nom de famille, a déclaré que l’absence de politique était l’une des raisons pour lesquelles l’événement l’avait touchée. « Je ne me sens pas toujours à l’aise pour venir à ce genre d’événements », a-t-elle déclaré.
« Je ne m’implique pas dans la politique et j’ai souvent l’impression qu’il n’y a pas de place pour quelqu’un comme moi. »
Varda Alexander, une parente de Sharbat, dont le petit-fils américain Edan servait dans la Brigade Golani du Corps d’Infanterie lorsqu’il a été fait otage par le Hamas, a déclaré que pour la première fois de sa vie, elle prêtait attention aux mots des poèmes liturgiques, connus en hébreu sous le nom de piyyutim.
« Ils ont beaucoup de sens pour moi en cette période », a-t-elle déclaré à la foule, ajoutant que depuis l’enlèvement de son petit-fils, elle récite quotidiennement la prière Avinu Malkeinu, un élément essentiel des fêtes du Nouvel an juif qui est également récité dans les moments de détresse.
« Pour nous, les fêtes du Nouvel an juif [5784] ne se sont jamais terminées. Elles se sont poursuivies du 7 octobre jusqu’à aujourd’hui. »
Yelena Trupanov, qui a été libérée des geôles du Hamas avec sa mère en novembre à la demande du président russe Vladimir Poutine, s’est également adressée à la foule, exprimant l’espoir que son fils Sasha, qui est toujours détenu à Gaza, rentre à la maison à temps pour les fêtes. Elle a ajouté qu’elle connaissait Varda Alexander pour avoir prié sur les tombes de personnes pieuses. Dans un documentaire réalisé par la chaîne publique Kann au début de l’année, Yelena, originaire du kibboutz laïc de Nir Oz, a déclaré qu’elle était devenue plus pratiquante depuis le 7 octobre.
« J’ai vu tellement de choses que je ne peux pas expliquer », déclare Yelena dans le documentaire.
« Je pense que ce n’est pas une coïncidence. »
Hannah Katsman, dont le fils Hayim a été tué le 7 octobre au kibboutz Holit, a été très impliquée dans les manifestations – aussi bien celles qui ont eu lieu l’année dernière contre les projets largement controversés du gouvernement de refonte du système judiciaire que dans leur itération la plus récente, liée à la guerre menée contre le groupe terroriste palestinien du Hamas. Le contenu religieux fait de plus en plus son chemin sur cette scène, a-t-elle expliqué, malgré la réputation des manifestations d’être orientées à gauche et laïques.
« Tout le monde parle toujours de polarisation, mais il y a aussi beaucoup de coopération que l’on ne voyait pas auparavant. Différents groupes sont devenus plus proches », a déclaré Hannah. « Je vois des gens se réapproprier les traditions juives à leur manière. Ils trouvent du réconfort dans les sources. »
Hannah a expliqué qu’elle était très pointilleuse sur les événements auxquels elle participait, par souci d’auto-préservation. « Je compte chaque interaction émotionnelle que j’ai. En tant que mère endeuillée, je dois les limiter », a-t-elle souligné.
Elle n’a, par exemple, pas assisté aux funérailles de l’Américano-israélien Hersh Goldberg-Polin, tué en captivité le mois dernier, et ne s’est pas non plus jointe à la foule dans les rues avec des drapeaux pour l’accompagner dans son dernier voyage, bien qu’elle vive dans le même quartier de Jérusalem. Même les événements organisés en l’honneur de son propre fils, un universitaire israélien dont les recherches portaient sur le nationalisme religieux, peuvent être accablants et épuisants. C’est pourquoi elle a choisi d’organiser cette semaine un événement axé sur l’étude de textes anciens et modernes issus de ses recherches, plutôt que de revenir sur l’histoire de sa vie.
En revanche, un événement consacré aux Selihot lui a semblé suffisamment inoffensif pour qu’elle y assiste aux côtés de sa sœur en visite. Dans l’esprit de la saison, Hannah a réfléchi à la manière dont les remords ont façonné ses émotions, rappelant que son fils et elle avaient l’habitude de se disputer à propos de « tout et n’importe quoi » durant son enfance.
« Je pense à ma relation avec mon fils, qui n’a pas toujours été idéale, et à la façon dont cela a affecté mes autres enfants et les relations au sein de la famille, et à ce que j’aurais pu faire pour améliorer les choses lorsqu’il était en vie », a-t-elle expliqué.
Elle a déclaré qu’il était difficile d’offrir son pardon aux personnes au pouvoir, car elle a l’impression qu’elles n’ont pas encore fait preuve de remords, ni même reconnu la situation. Comme tant d’autres, elle n’a rien entendu de la part du gouvernement, hormis une lettre générique envoyée quatre mois après la mort de Hayim. Mais ce qui est encore plus douloureux, dit-elle, c’est le manque d’empathie de certains de ses concitoyens israéliens. Certains ont laissé entendre que parce que son fils était un militant pacifiste laïc d’un kibboutz, il avait « en quelque sorte invité le Hamas dans sa maison ».
Elle a également pointé du doigt le Forum Gvura, ou Forum des héros, formé par des parents de soldats tués à Gaza, qui, selon elle, utilisent la mort de soldats « pour justifier la poursuite de la guerre ».
« Ils semblent dire en réalité : ‘Nos enfants ont été tués et nous demandons à tous les autres de laisser leurs enfants être tués pour que notre sacrifice soit utile.’ C’est une sorte d’erreur sur les coûts irrécupérables », a-t-elle souligné.
Rena a également critiqué ce qu’elle considère comme une droite de plus en plus intransigeante, alimentée, selon elle, par la « propagande » de la Quatorzième chaîne, un réseau de droite largement considéré comme favorable au gouvernement. La fille de Rena, Lian, ancienne soldate de surveillance de l’armée israélienne, était présente à l’événement et tenait une pancarte sur laquelle figuraient les images des cinq soldates de surveillance enlevées sur la base militaire de Nahal Oz.
Rena a longtemps renoncé à partager des photos d’événements liés aux otages avec son groupe WhatsApp familial, mais elle a fait une exception dimanche soir en raison de la nature de l’événement. La famille de Rena, dont la plupart des membres sont religieux, se situe de l’autre côté de la barrière idéologique lorsqu’il s’agit de la question des otages, car elle est fermement convaincue qu’un accord visant à obtenir leur retour entraînerait de nombreuses autres attaques terroristes à l’avenir.
Selon Rena, depuis la création du pays, il y a toujours eu un consensus sur le fait que les familles endeuillées avaient le droit de dire ce qu’elles voulaient. « Pour une raison ou une autre, ce principe que nous tenons tous pour sacré n’est pas étendu aux familles des otages, alors qu’elles le méritent plus que quiconque », a-t-elle déclaré.
Elle avait pris soin de n’envoyer à sa famille que des vidéos des piyyoutim chantés dimanche soir, pensant qu’ils ne pouvaient en aucun cas être considérés comme offensants. « J’avais tort. J’ai eu des réactions négatives », a-t-elle déploré.
« Le simple fait de voir les chaises jaunes est un affront pour eux », a-t-elle poursuivi, faisant référence à la couleur utilisée pour symboliser le sort des otages.
« Comment peut-on être choqué par un événement aussi pur, spirituel, religieux et émotionnel que celui-ci ? Je ne le comprendrai jamais. »
Pour sa part, Sharbat est catégorique : l’unité reste un élément central de tous les événements qu’elle organise à la Place des Otages.
« Il est très important pour moi que cette place soit un lieu de rassemblement pour les personnes de droite comme de gauche », a-t-elle affirmé.
« Elle peut accueillir tout le monde. Il n’y a pas une personne qui ne prie pas pour le retour des otages. »
... alors c’est le moment d'agir. Le Times of Israel est attaché à l’existence d’un Israël juif et démocratique, et le journalisme indépendant est l’une des meilleures garanties de ces valeurs démocratiques. Si, pour vous aussi, ces valeurs ont de l’importance, alors aidez-nous en rejoignant la communauté du Times of Israël.
Nous sommes ravis que vous ayez lu X articles du Times of Israël le mois dernier.
C'est pour cette raison que nous avons créé le Times of Israel, il y a de cela onze ans (neuf ans pour la version française) : offrir à des lecteurs avertis comme vous une information unique sur Israël et le monde juif.
Nous avons aujourd’hui une faveur à vous demander. Contrairement à d'autres organes de presse, notre site Internet est accessible à tous. Mais le travail de journalisme que nous faisons a un prix, aussi nous demandons aux lecteurs attachés à notre travail de nous soutenir en rejoignant la communauté du ToI.
Avec le montant de votre choix, vous pouvez nous aider à fournir un journalisme de qualité tout en bénéficiant d’une lecture du Times of Israël sans publicités.
Merci à vous,
David Horovitz, rédacteur en chef et fondateur du Times of Israel