Absente à une conférence sur la Shoah, l’envoyée de Bulgarie en Israël critiquée
Ses organisateurs estiment que cela atteste de la volonté des autorités bulgares de fermer les yeux sur la rafle de 11 000 Juifs lors de la Seconde Guerre mondiale
JTA — L’ambassadrice de Bulgarie en Israël n’a pas assisté à une conférence sur l’histoire de la Shoah en Bulgarie, la semaine passée, ce qui, selon ses organisateurs, est une preuve de la volonté des autorités bulgares de fermer les yeux sur cette partie de leur histoire.
Le porte-parole de l’ambassade a déclaré à la Jewish Telegraphic Agency que l’ambassadrice, Rumiana Bachvarova, avait reçu « une invitation de dernière minute pour se rendre à la conférence » et « décidé qu’il était sans doute meilleur que les discussions aient lieu entre historiens et experts, hors de toute présence de nature politique ».
L’événement, intitulé « Persécution et collaboration, sauvetage et survie : Nouvelles perspectives sur la Bulgarie et la Shoah 80 ans après », s’est tenu à l’instigation de Yad Vashem, l’Université Bar-Ilan et la Cinémathèque de Tel Aviv du 22 au 24 mai.
« Nous sommes confiants du fait que les contacts se poursuivront entre historiens bulgares et israéliens », a écrit le porte-parole, « et contribueront à une clarification objective et complète des événements historiques ».
Cette année est le 80e anniversaire des manifestations en Bulgarie qui se sont opposées à la déportation des Juifs bulgares.
Toutefois, d’éminents historiens ont fait valoir que le roi Boris III avait livré plus de 11 000 Juifs aux camps nazis de la zone occupée par la Bulgarie, dans ce qui est aujourd’hui la Macédoine du Nord. C’est une histoire à laquelle la Bulgarie refuse de faire face, estiment les critiques.
« La triste vérité est que c’est bel et bien le gouvernement bulgare du roi Boris III – et non l’Allemagne nazie – qui a rassemblé 11 343 Juifs originaires de Macédoine, Thrace et Pirot pour les envoyer sciemment à la mort, à Treblinka. » Il s’agit d’un « fait historique avéré » qui ne nécessite aucune « clarification », complète ou autre », affirme l’historien et avocat Menachem Rosensaft, qui a prononcé un discours pour l’ouverture de l’événement.
« En refusant de saluer les participants à la conférence, l’ambassadrice Bachvarova, qui ne faisait peut-être qu’obéir à des ordres, donne le sentiment de vouloir continuer dans la voie de l’obscurcissement de l’histoire en refusant d’admettre que la Bulgarie a sur la conscience la mort de ces 11 343 Juifs », ajoute Rosensaft, également vice-président exécutif associé du Congrès juif mondial, dans un message adressé par WhatsApp.
L’organisateur de l’événement – le cinéaste Jacky Comforty, auteur de « The Stolen Narrative of The Bulgarian Jews and The Holocaust » (2021) et réalisateur d’un film sur la façon dont la Bulgarie s’est opposée à Hitler -, a fait savoir à la JTA que la conception de l’histoire de Bachvarova relevait « de la propagande ». Il a ajouté que dans les « cercles néo-nazis » bulgares, on lisait souvent que « les Juifs ne sont pas reconnaissants d’avoir été sauvés ».
Comforty rappelle que Bachvarova a déjà été invitée à s’exprimer publiquement à propos d’un de ses films.
« Elle a alors répondu qu’elle ne viendrait pas car il s’agissait d’un événement anti-bulgare », explique Comforty.
« Les autorités bulgares ont fait en sorte d’utiliser cette histoire » de sauvetage des Juifs « mais ils ont épuisé le crédit humanitaire dont ils jouissaient », assure-t-il.
Jacky Vidal, président de la Maison du patrimoine juif bulgare de Jaffa, assure avoir envoyé l’invitation à l’ambassadrice.
« Je n’ai pas eu de réponse, et je n’en connais pas la raison », dit-il, croyant avoir compris qu’elle assistait à une cérémonie commémorative de Dimitar Peshev, « l’un des plus grands sauveteurs de Juifs bulgares ».
Politicien pro-allemand, Peshev est néanmoins intervenu pour empêcher le roi Boris de déporter les Juifs en 1943.
« L’attitude de la Bulgarie lors de la Shoah est très louable », explique Rosensaft. « C’est un fait que 48 000 Juifs de Bulgarie n’ont pas été déportés dans les camps de la mort et ont donc survécu. C’est aussi un fait que cela n’a pas été dirigé par le roi Boris. »
Il ajoute que le sauvetage a été initié par les évêques de l’Église orthodoxe bulgare, le métropolite Stephan de Sofia et le métropolite Kiril de Plovdiv – tous deux ont été reconnus à titre posthume, avec Peshev, par Yad Vashem, le mémorial de l’histoire de la Shoah d’Israël.
Selon la publication en ligne Balkan Insight, en mars dernier, la journaliste bulgare Emmy Barouh a adressé une lettre ouverte au président bulgare Roumen Radev, disant craindre que l’anniversaire du sauvetage des Juifs bulgares ne soit « utilisé à des fins politiques ».
« Les noms des 11 343 personnes mises dans des wagons scellés et déportées à Treblinka par la police et l’armée bulgares sont connus.
La manière dont les soldats et policiers bulgares les ont traités, au nom de l’État et du drapeau bulgare, l’est également. La surprenante cruauté dont ils ont fait preuve est abondamment documentée. Leur indifférence face à la tragédie vécue par ceux dont les derniers instants se sont déroulés sous leur contrôle est la preuve d’une faillite morale particulièrement grave », a-t-elle écrit.