Affaire Sarah Halimi : L’expert Daniel Zagury appelle à un changement de loi
Le psychiatre estime que les criminels doivent être pénalement responsables de leurs actes quand une abolition du discernement résulte de leurs propres actions
Daniel Zagury, premier des sept experts psychiatres nommés pour expertiser Kobili Traoré, a signé ce week-end une tribune dans le journal Le Monde, quelques jours après les manifestations organisées dans toute la France suite à la décision de la Cour de cassation de reconnaitre pénalement irresponsable l’assassin de Sarah Halimi, sexagénaire de confession juive tuée en 2017.
Contrairement aux autres experts, Daniel Zagury, dans son rapport établi en septembre 2017, s’était démarqué sur les conséquences juridiques à tirer de la « bouffée délirante » rencontrée par Kobili Traoré, désormais hospitalisé en psychiatrie, lorsqu’il a, aux cris de « Allah Akbar », roué de coups et jeté par-dessus le balcon sa voisine d’immeuble. Le psychiatre avait suggéré de retenir « l’altération du discernement », invoquant une « intoxication chronique volontaire » dont Kobili Traoré ne pouvait ignorer les dangers. Les autres experts avaient eux conclu à une « abolition du discernement » de l’auteur des faits.
Les magistrats de la Cour d’appel n’avaient pas suivi le rapport Zagury, privilégiant les avis des six autres experts qui ont suivi, et avaient déclaré le meurtrier irresponsable pénalement, tout en retenant que les charges étaient suffisantes pour des poursuites pour meurtre avec la circonstance aggravante de l’antisémitisme. Ils avaient ordonné l’hospitalisation de l’auteur du crime (qui avait déjà été interné par la police après son arrestation la nuit du meurtre), assortie de mesures de sûreté pour 20 ans. La Cour de cassation a jugé la décision conforme au droit, et a également entériné le caractère antisémite du crime.
Sur ce dernier point, les juges avaient suivi les explications du Dr. Zagury sur la dimension antisémite du geste de Kobili Traoré, pris d’un « délire persécutif polymorphe, à thématique mystique et démonopathique ».

« Dans le bouleversement délirant, le simple préjugé ou la représentation banale partagée se sont transformées en conviction absolue », avait expliqué l’expert dans son rapport.
Dans sa tribune au Monde, il a estimé que l’arrêt de la Cour de cassation pourrait « permettre de faire avancer le droit sur l’irresponsabilité des sujets, qui, pour l’instant, repose sur des facteurs très aléatoires ». Écrivant que « l’affaire Sarah Halimi n’a pas été un fait divers, mais un véritable séisme », il argue que « les contradictions entre experts ne concernent pas les dimensions proprement médicale et scientifique, puisqu’il y a unanimité sur le diagnostic de ‘bouffée délirante aiguë’ », mais sur « les domaines médico-légal et juridique ».
« Quelles conséquences tirer de ce diagnostic ? Au demeurant, le rapport entre les points de vue est beaucoup plus partagé qu’il n’a été dit (sept experts et une seule conclusion d’altération). J’ai en effet conclu à l’altération du discernement. Devant l’évidence, le deuxième collège d’experts a reconnu, lors de l’audience publique de la chambre de l’instruction, que le diagnostic de schizophrénie sur lequel reposait son raisonnement était erroné. Dont acte pour son honnêteté. »
« Le troisième collège a estimé qu’il était habituel, dans de tels cas, de conclure à l’abolition, le docteur Coutanceau affirmant ultérieurement, dans un article de L’Express, que la conclusion contraire aurait été également possible. C’était une manière de dire que la question n’était pas seulement clinique mais, eu égard aux multiples conséquences en chaîne de cet avis, on en reste pantois. »
« Quoi qu’il en soit, on a connu des querelles plus tranchées ! Il est très habituel, dans de telles situations, que le débat soit renvoyé devant la juridiction de jugement. Ce ne fut pas le cas. Dont acte. »
Après avoir dénoncé « beaucoup d’erreurs, de confusions et de raccourcis », il explique que « l’argument selon lequel le sujet ne pouvait pas savoir qu’il ferait une bouffée délirante aiguë, parce qu’il s’agit d’un effet non recherché et non prévisible, [lui] parait absurde » : « comme tout citoyen », Kobili Traoré savait que « la consommation d’un produit toxique illicite est susceptible de générer des effets de perte de contrôle aux conséquences imprévisibles ».
Il avance ainsi que « s’il est inéquitable d’imputer à Kobili Traoré l’intention délibérée de tuer, il est faux de prétendre qu’il n’est pour rien dans la perte de contrôle qui a permis le passage à l’acte criminel ».
Alors que la loi pénale actuelle « ne fait pas de distinction parmi les causes possibles de l’état d’abolition du discernement » et que « seul compte l’état mental au moment des faits, sans considération de l’éventuelle contribution du sujet », Daniel Zagury appelle à une réforme législative.
Il rappelle qu’aujourd’hui, l’orientation « vers l’irresponsabilisation ou vers la responsabilisation se fait en fonction de facteurs très aléatoires, qui tiennent à la position d’un juge, à la sensibilité d’un expert, ou aux hasards des interventions des uns ou des autres », et que d’autres exemples, « superposables à l’affaire Sarah Halimi », ont conduit à des conclusions inverses.
Selon l’expert, il ne faut néanmoins pas que cette législation se fasse « dans l’urgence et sous le coup de l’émotion », ni que soit « contredit le principe de l’irresponsabilité pénale des malades mentaux ».
« Je me suis suffisamment battu dans certaines affaires d’assises qui voyaient de grands malades dans le box des accusés, avec des cours d’assises qui déliraient avec eux et des psychiatres qui faisaient semblant de ne pas voir ce qui sautait aux yeux de tous, pour ne pas devoir me justifier sur ce [dernier] point », explique-t-il.
Mais il dénonce aussi l’idée simpliste qu’ « on ne juge pas les fous ». « En réalité, on ne juge pas ceux dont seule la maladie éclaire le crime, et qui n’ont rien fait pour la provoquer », éclaire-t-il, ce qui n’est pas le cas de Kobili Traoré.

Il rappelle que le meurtrier pourrait sortir prochainement d’internement en raison d’un « autre grand principe auquel tous les psychiatres sont évidemment attachés » : « On ne retient pas à l’hôpital des sujets qui n’ont plus aucun trouble psychiatrique. Ce serait un internement abusif. Si c’est le cas de Kobili Traoré aujourd’hui ou dans un avenir proche, il devrait sortir. »
Bien que rappelant ne pas être juriste ou pénaliste, il propose une modification de la loi de sorte à ce qu’elle précise : « N’est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte au moment des faits d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes, si cette abolition ne résulte pas de façon déterminante de sa propre action. »
« Il est essentiel que l’expert puisse apprécier, en fonction de chaque cas et de chaque situation, les parts respectives de la maladie mentale et de la prise de toxiques, de l’interruption de traitement ou de l’adhésion à une idéologie haineuse. Pour le moment, la loi mécaniquement appliquée le lui interdit », conclut-il, ajoutant que le « calvaire de Sarah Halimi » devrait « nous servir au moins à en tirer des conséquences raisonnables, mesurées, justes, conformes à l’évolution de la conscience collective et aux fondements du droit ».
Suite à la décision des juges français, les proches de Sarah Halimi envisagent désormais de porter l’affaire à la Cour européenne des droits de l’homme et de déposer plainte en Israël.