Israël en guerre - Jour 431

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Interview

Ahaz Ben-Ari met en garde contre les initiatives prévues en Cisjordanie

L'ancien conseiller juridique à la Défense déclare que le rôle taillé sur mesure pour Smotrich au ministère de la Défense pourrait nuire à la sécurité

Emanuel Fabian est le correspondant militaire du Times of Israël.

Des Palestiniens et des activistes de gauche se heurtent aux forces de sécurité israéliennes pendant une manifestation dans le village de Beit Dajan, en Cisjordanie, le 9 décembre 2022. (Crédit : Nasser Ishtayeh/Flash90)
Des Palestiniens et des activistes de gauche se heurtent aux forces de sécurité israéliennes pendant une manifestation dans le village de Beit Dajan, en Cisjordanie, le 9 décembre 2022. (Crédit : Nasser Ishtayeh/Flash90)

Un ancien conseiller juridique issu de l’establishment israélien de la Défense a mis en garde contre des législations que le nouveau gouvernement du Premier ministre Benjamin Netanyahu a bien l’intention de faire adopter à la Knesset, affirmant qu’elles nuiront à la sécurité israélienne et qu’elles auront de potentielles répercussions à l’international au cours d’une interview accordée au Times of Israel.

Les accords de coalition prévoient que le contrôle des nominations de différents hauts-généraux, ainsi que l’autorité d’une unité qui, au sein du ministère de la Défense, supervise les politiques israéliennes en Cisjordanie, soient retirés du ministre de la Défense pour être confiés au chef du parti d’extrême-droite Hatzionout HaDatit, Bezalel Smotrich. De plus, Itamar Ben Gvir, le chef d’Otzma Yehudit, une faction qui est elle aussi d’extrême-droite, cherche actuellement à accorder l’immunité face à d’éventuelles poursuites judiciaires aux soldats pour toute action entreprise dans l’exercice de leur devoir, quand ils sont en opération.

Ahaz Ben-Ari, qui a été conseiller juridique du ministère de la Défense entre 2007 et 2017, indique au Times of Israel que le plan du gouvernement visant à restructurer l’autorité militaire en Cisjordanie en créant au sein du ministère de la Défense un nouveau bureau qui sera placé sous la houlette de Smotrich, le ministre actuel des Finances, ne sera pas seulement une violation du droit – mais une initiative susceptible de porter préjudice à la sécurité.

« Smotrich doit assumer sa fonction [au sein du ministère de la Défense] en tant que subordonné au ministre de la Défense » et non pas en tant que ministre indépendant, explique Ben-Ari, qui cite la Loi fondamentale : La gouvernement, qui est quasi-constitutionnelle et qui stipule que les ministres au sein des ministères sont des subalternes et qu’ils ne sauraient être considérés comme des ministres indépendants.

« La responsabilité générale des unités du ministère [notamment concernant les questions relatives à la Cisjordanie] reste entre les mains du ministre de la Défense. Il faut considérer qu’il compte un ministre au sein du ministère, il n’y a pas de ministère distinct », précise-t-il.

« Mais quand on lit les accords de la coalition, on se rend compte qu’ils sont incompatibles avec la Loi fondamentale parce qu’ils donnent l’impression que Smotrich jouit à la fois de sa totale liberté d’action et de son indépendance », continue Ben-Ari.

Ahaz Ben-Ari. (Autorisation)

Smotrich a obtenu « la responsabilité civile » du bureau du COGAT (Coordinateur des activités gouvernementales dans les territoires), une unité civile et militaire hybride, ce qui signifie qu’il est responsable de l’émission des permis de construire en Cisjordanie – tandis que toutes les autres activités relatives à cette unité du ministère de la Défense semblent apparemment être prises en charge par Yoav Gallant, le ministre de la Défense en exercice.

Les accords de coalition autorisent également Smotrich à nommer les généraux à la tête du COGAT et de l’Administration civile – le bureau qui, au sein du COGAT, gère de nombreux dossiers relatifs aux implantations. Les décisions qu’il sera amené à prendre devront être par ailleurs approuvées par Netanyahu, et il est difficile, pour le moment, d’affirmer que l’armée consentira aux changements qui sont envisagés.

« Il y a un lien entre les activités civiles israéliennes et les activités sécuritaires [en Cisjordanie]. Le bénéfice en termes de fonctionnement d’avoir un ministre de la Défense en charge du système tout entier est que cela lui donne une vision d’ensemble claire, cohérente, de ce qui se passe sur le terrain », poursuit Ben-Ari.

Il ajoute que le dossier civil « le plus important » en Cisjordanie est le contrôle de l’avancée des plans de construction – un contrôle qui est entre les mains du ministre de la Défense, conformément à la décision qui avait été prise par le tout premier gouvernement de Netanyahu en 1996. Cette résolution, la dite « Résolution 150 », déterminait que tout projet de construction en Cisjordanie devait être approuvé par le ministre de la Défense.

« Mais l’accord de coalition s’engage à amender la Résolution 150 et à transférer à Smotrich toute autorité dans ce domaine, en permettant à ce dernier de faire avancer des plans de construction en accord avec le Premier ministre et en ignorant totalement le ministre de la Défense », déplore Ben-Ari. « Le plan, ici, c’est de contourner le ministre de la Défense sur une problématique pourtant démesurément importante et de faire de Smotrich l’homme qui sera chargé de donner des ordres à la Haute-commission de planification du ministère ».

« Je peux vous affirmer, sur la base de centaines d’heures d’expérience, que quand des plans de construction sont présentés pour approbation au ministre de la Défense, le moment choisi pour le projet de construction et son envergure sont systématiquement pris en compte. L’aspect sécuritaire est également toujours examiné avec sérieux. Ce ne sont pas des éléments de réflexion qui peuvent être déconnectés les uns des autres », dit-il.

« Si des questions civiles ne sont pas gérées par le ministre de la Défense, alors il peut y avoir de graves conséquences en matière de sécurité et il faut arrêter cela », s’exclame Ben-Ari.

Des travaux de construction pour de nouveaux logements à Modiin Illit, en Cisjordanie, le 11 janvier 2021. (Crédit : Flash90)

Autoriser Smotrich à nommer deux généraux, comme le précisent les accords de coalition, contrevient à la Loi fondamentale : L’armée, dont la Clause 2 (b) spécifie que « le ministre en charge de l’armée pour le compte du gouvernement est le ministre de la Défense ».

« Il n’est pas possible qu’un autre ministre nomme [le chef du COGAT ou de l’Administration civile]. C’est une autorité qui ne peut pas être transférée à un autre ministre. Et quoi qu’il en soit, le ministre de la Défense ne nomme pas les généraux mais il ne fait qu’approuver leur désignation », note Ben-Ari.

Actuellement, le major-général qui est à la tête du COGAT est désigné par le ministre de la Défense et sur recommandation du chef d’état-major de l’armée, et le général de brigade qui dirige l’Administration civile est nommé à son poste par le chef d’état-major, sans implication du ministre de la Défense.

Smotrich n’a encore pris aucune décision à ce poste ministériel secondaire et le conseiller juridique de la Knesset a fait savoir, le mois dernier, que Gallant serait en mesure de passer outre toute initiative de sa part.

Ben-Ari affirme aussi que le projet du ministre de la Sécurité nationale, Itamar Ben Gvir, de réexaminer les règles d’engagement – qui encadrent les tirs à balle réelle – et d’adopter une loi qui accorderait aux policiers et aux soldats l’immunité face à d’éventuelles poursuites judiciaires intentées pour des actions entreprises dans l’exercice de leur devoir pourrait entraîner des complications pour Israël à l’international.

Le dirigeant d’Otzma Yehudit, Itamar Ben Gvir (à gauche), s’entretient avec le chef de HaTzionout HaDatit Bezalel Smotrich à la Knesset le 29 décembre 2022 (Crédit : Yonatan Sindel / Flash90)

Ce plan soulève deux principales difficultés, selon l’ex-conseiller. « La première est interne – en semblant donner la permission aux soldats de commettre des actes qui ne doivent pas être commis », dit-il.

« La deuxième est internationale – et elle n’est pas moins grave. Il faut noter que la Cour pénale internationale de La Haye et des tribunaux plus ‘ordinaires’ en Europe peuvent être saisis pour des dossiers visant des soldats, ou des politiciens impliqués dans des faits qui sont susceptibles d’être considérés comme des crimes de guerre », explique-t-il.

« Tant que la situation actuelle restera ce qu’elle est, tant qu’Israël sera doté d’un système judiciaire remarquable, sérieux, et que nos législations seront reconnues dans le monde entier comme étant équilibrées, les tribunaux européens respecteront le système israélien ».

« Les Européens se disent : ‘Parce que ce qui s’est produit est arrivé dans un pays où le système judiciaire est respectable, on ne va pas se mêler à ça. Ils ont leurs autorités, des procureurs, des tribunaux, la police… Ils feront tout ce qui est nécessaire’. Mais si on se débarrasse de ça et qu’on donne carte blanche aux soldats, en les laissant faire ce qu’ils veulent et en leur accordant l’immunité face à la justice, cela ouvrira la porte à toutes sortes de mesures ».

« Les Européens peuvent se dire qu’en Israël, on ne leur fera rien et que par conséquent, il faudra s’occuper d’eux en Europe », ajoute-t-il.

Des soldats israéliens en Cisjordanie, le 12 janvier 2023. (Crédit : Armée israélienne)

Ben-Ari note que pendant son mandat, des efforts conjointement livrés avec le ministère des Affaires étrangères, le ministère de la Justice, l’avocat-général de Tsahal et d’autres responsables ont permis de décourager les tribunaux européens d’inculper des soldats ou des politiciens suite à certains incidents survenus en Cisjordanie.

Ce projet d’immunité judiciaire pour les soldats avancé par Ben Gvir n’a pas encore été officiellement présenté sous forme de législation, mais il a été l’une de ses principales promesses de campagne électorale. Il est difficile de dire si Netanyahu soutiendrait une telle initiative.

Ben-Ari est membre d’un groupe connu sous le nom des Commandants pour la sécurité d’Israël, un groupe constitué de plus de 400 anciens hauts-responsables des services sécuritaires et qui prône une solution à deux États dans le conflit opposant Israël aux Palestiniens.

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