Alors que l’ère Trump débute, que veut vraiment Israël en Cisjordanie ?
Les implantations se développent rapidement, la paix est toujours dans une impasse et les intentions d’Israël semblent être un vrai mystère pour les capitales occidentales. Et pourtant la question a une réponse étonnamment simple, qui n’a pas changé depuis 1948
Le 15 mai 1967, le soir précédant la 19e Journée de l’Indépendance d’Israël, dans un petit séminaire religieux du centre de Jérusalem, un vieux rabbin avec un chapeau noir et une vénérable et fine barbe blanche, réprimandait ses disciples.
Le rabbin, Zvi Yehuda Kook, sera par la suite reconnu comme le père spirituel du mouvement des implantations de Cisjordanie. Mais nous étions toujours des semaines avant la guerre des Six Jours, et Israël n’avait pas encore conquis la Cisjordanie.
Dans son sermon inhabituellement émotionnel de ce soir-là, Kook a rappelé une autre « nuit célèbre », la nuit du 29 novembre 1947, quand Israël a appris que les Nations unies avaient voté la partition de la terre en un état juif et un état arabe.
« Alors que toute la nation descendait dans les rues pour fêter sa joie, a-t-il raconté à ses étudiants, je n’ai pas pu, je ne pouvais pas rejoindre ce bonheur. Je me suis assis seul en silence, un poids sur mes épaules. Dans ces premières heures, je ne pouvais pas accepter ce qui avait été fait, cette terrible nouvelle, que la prophétie s’était réalisée : ‘Et ma terre divisée !’ [Joël 4:2]. »
Alors qu’il parlait, l’émotion a éclaté. « Où est notre Hébron ?, a-t-il crié. L’avons-nous oubliée ? Et où est notre Shchem [Naplouse] ? L’avons-nous oubliée ? Et où est notre Jéricho ? […] Où est chaque motte de terre, chaque parcelle des quatre coins de la terre de Dieu ? »
Trois semaines après, le 7 juin, le troisième jour de la guerre des Six Jours, les troupes israéliennes ont capturé ces villes mêmes, Hébron, Naplouse et Jéricho, à l’armée jordanienne qui se retirait. A la fin de la guerre, le 10 juin, toute la Cisjordanie, y compris le mont du Temple sacré du centre antique de Jérusalem, ainsi que le plateau du Golan au nord, la bande de Gaza et la péninsule du Sinaï dans le sud, étaient aux mains d’Israël. C’était une réussite stupéfiante, inattendue, inimaginable, et pour les disciples qui s’étaient rassemblés au séminaire de Jérusalem alors que leur rabbin révéré déplorait la partition de la terre de Dieu, c’était un accomplissement de la prophétie immédiate et de l’ancienne prophétie.

Kook avait 76 ans l’année où il a prononcé ce sermon, en fait trop vieux pour diriger le mouvement que les conquêtes de la guerre des Six Jours allaient engendrer. Mais avec ses enseignements, sa croyance venant de l’historiosophie mystique de son célèbre père, le rabbin Abraham Isaac Kook, pour qui le sionisme, ce projet de construction d’une nation essentiellement laïque, accomplissait sans le vouloir la rédemption biblique promise, il a fourni à ses étudiants les bases intellectuelles de ce qui allait arriver.
L’un de ces disciples, le rabbin Hanan Porat, qui avait combattu comme parachutiste pendant la bataille de 1967 pour la Vieille Ville, a organisé un an après la mise en place de la première implantation dans la Cisjordanie récemment conquise, le Gush Etzion restauré au sud de Jérusalem. Un autre étudiant, le rabbin Moshe Levinger, a aidé à fonder la deuxième. En avril 1968, il a organisé les fêtes de Pessah dans un hôtel de Hébron, et quand la fête fut terminée, lui et une bande de militants et de croyants ont tout simplement refusé de partir. Il a ainsi fondé la nouvelle implantation juive dans la cité des Patriarches.
Ces deux implantations ont une importance particulière pour les Israéliens, bien au-delà du petit cercle des adhérents du rabbin Kook. Hébron et le Gush Etzion abritaient des communautés florissantes avant la fondation d’Israël, qui ont été massacrées et expulsées par les émeutiers arabes, respectivement en 1929 et en 1948.
Quelques années après, en 1974, Porat, Levinger et d’autres ont fondé officiellement le mouvement du Gush Emunim (le bloc des fidèles), qui s’est chargé de la tâche sacrée d’accompagner dans la rédemption les communautés juives qui s’installaient dans les paysages bibliques de la Judée et de la Samarie, la Cisjordanie.
Le mois dernier, cinquante ans après, les héritiers de ces idéologues ont été dénigrés par John Kerry, dans ses derniers jours de secrétaire d’Etat américain, comme « les éléments les plus extrêmes » de l’actuel gouvernement israélien de droite. C’est leur camp idéologique qui a produit la quarantaine de familles de l’avant-poste d’Amona, qui a été évacuée au début du mois après de multiples jugements qui ont conclu qu’elles vivaient illégalement sur des terrains palestiniens privés. Et c’est la vision mystique de ces fidèles de Kook du retour juif en Cisjordanie qui conduit à établir des faits démographiques sur le terrain qui est vue par beaucoup dans le monde comme l’obstacle le plus important à la possibilité d’une séparation future d’Israéliens et Palestiniens en deux états.
« Pas de bonnes réponses »
Selon les propres chiffres officiels d’Israël, depuis ses humbles débuts en 1968, la population des implantations est passée à environ 390 000 Israéliens, sans compter les quartiers juifs de Jérusalem Est. Cette population est bien plus jeune que la moyenne israélienne, avec un âge médian de 19 ans, contre 30 ans pour la population générale. Avec une croissance annuelle de 4 %, elle croît aussi deux fois plus vite que la population israélienne dans son ensemble.
Alors, Kerry a-t-il raison de prévenir que les implantations « mènent vers un état et une occupation perpétuelle » ? Après tout, ce n’est pas uniquement l’administration Obama ou les diplomates des Nations unies qui partagent cette inquiétude. Même le secrétaire à la Défense du président américain Donald Trump, le général des Marine à la retraite James Mattis, a déclaré en 2013 que les implantations garantissaient qu’Israël « cesse d’être un Etat juif, ou alors vous dites que les Arabes ne peuvent pas voter : l’apartheid. Cela n’a pas marché si bien la dernière fois que j’ai vu cela pratiqué dans un pays. »

La semaine dernière, tout en affirmant que les implantations n’étaient pas un obstacle à la paix, Sean Spicer, l’attaché de presse de la Maison Blanche, a néanmoins suggéré qu’en construire de nouvelles, ou étendre celles qui existent au-delà de leurs périmètres actuels, « pourrait ne pas aider » à conclure un accord de paix. Et en Europe, l’Allemagne, rempart pro-Israël, est aussi troublée par cette question, et aussi critique des implantations, que les anti-sionistes proclamés de l’extrême-gauche britannique.
Que ces critiques soient partagées si largement par-dessus tant de divisions politiques, et particulièrement qu’elles soient prononcées aussi souvent par des alliés que par des ennemis, suggère qu’elles sont en partie enracinées dans une perplexité authentique.
Beaucoup d’étrangers regardent les implantations israéliennes en Cisjordanie grandir, et ne peuvent s’empêcher de poser cette évidente question : Israël prévoit-il de garder d’importantes populations non israéliennes sous son contrôle permanent ? Et comment l’Etat juif pourrait-il maintenir sa majorité juive, sa légitimité et ses amis dans cette tentative ?
« Personne n’a jamais fourni de bonnes réponses à ces questions, parce qu’il n’y en a pas », a déclaré Kerry dans son chant du cygne.
Des avant-postes sur une colline
La réalité sur le terrain est bien sûr plus complexe que ces angoisses politiques, et en révèle plus sur ce que pensent réellement les Israéliens.
Sur les 130 implantations approuvées par l’Etat de Cisjordanie, la plus grande de loin, et celle qui s’agrandit le plus vite sont les deux villes ultra-orthodoxes de Modiin Illit et de Beitar Illit, qui comptent 115 000 habitants à elles deux, près d’un tiers de la population israélienne totale dans ces territoires. Et elles grandissent rapidement : l’âge médian de Modiin Illit est un époustouflant 11,3 ans, et celui de Beitar Illit est de 12,6 ans.
Mais ces deux moteurs déferlant du changement démographique ne sont qu’à 600 mètres de la fameuse « Ligne verte », la ligne d’armistice de 1949 qui forme la limite entre la Cisjordanie et Israël.
Elles représentent ce que les Israéliens appellent le phénomène de « bloc d’implantations ». Les trois quarts des Israéliens de Cisjordanie vivent dans des groupes de villes qui sont adjacentes ou très proches de la Ligne verte, et sont principalement composées de personnes qui n’ont que peu de connexion avec le nationalisme rédempteur du rabbin Kook : des juifs ultra-orthodoxes, des immigrants russophones et des Israéliens laïcs, tous attirés par le prix de l’immobilier, à à peine une demi-heure de voiture des centres commerciaux et gouvernementaux de Tel Aviv et Jérusalem.

Dans chaque série de négociations tenues entre Israéliens et Palestiniens depuis le lancement du processus de paix d’Oslo en 1992, les Israéliens ont supposé que ces blocs, qui ne représentent que 2 % à 4 % du territoire de la Cisjordanie, feraient partie d’Israël grâce à un échange de territoires.
Dans le discours israélien, par conséquent, les partisans d’une solution à deux états ont un sentiment radicalement différent de ce qui est un obstacle à une paix négociée. Ils ne s’inquiètent pas des centaines de milliers d’habitants d’Efrat ou de Modiin Illit, mais du groupe bien moins important d’environ 90 000 personnes qui vivent en dehors de ces blocs, dans certains cas à plus de 30 kilomètres de la Ligne verte, le long de la sinueuse route 60 qui traverse le territoire.
C’est ici, dans ces implantations autorisées par l’Etat de quelques centaines d’habitants, et dans les avant-postes non autorisés, dont certains comptent à peine une dizaine de résidents, perchés entre les plus grandes villes palestiniennes, que la bataille idéologique israélienne interne pour la Cisjordanie se mène. C’est le long de cette ligne de partage des eaux, la montagne centrale allant de la crête de Jénine au nord, à Hébron dans le sud, que la continuité et la viabilité d’un futur état palestinien seront décidées.
Les blocs de gauche
Pour les observateurs extérieurs, la distinction israélienne entre les blocs et les implantations isolées peut sembler être une question de commodité politique. Pour eux, il semble souvent que le petit territoire que les Palestiniens ont toujours pour leur futur état est encore diminué pour ne pas faire obstacle aux Israéliens, déjà triomphants mais toujours assoiffés de territoire. Après tout, personne n’a forcé Israël à construire des villes entières dans ce territoire, qui même aux yeux de la loi israélienne, n’est pas un territoire israélien.
Mais pour les Israéliens, la distinction est fondamentale et nécessaire, et s’adresse à une angoisse aussi vieille que l’Etat lui-même.
En décembre 1948, pendant une accalmie dans les combats de la guerre d’Indépendance d’Israël, les ministres du nouvel Etat juif étaient rassemblés à Tel Aviv pour envisager un assaut militaire final pour expulser l’armée égyptienne du sud du pays et les troupes irakiennes des villes du nord de la Cisjordanie de Qalqilya et Tulkarem, qui sont toutes les deux situées à 15 kilomètres de la côte méditerranéenne.
Pendant la réunion du cabinet, le ministre de l’Intérieur Yitzhak Gruenbaum a formulé la question qui a accablé les Israéliens depuis : est-il sage de prendre le contrôle de territoires avec une importante population palestinienne ? L’extension d’Israël à ce moment-là de la guerre se faisait dans des zones qui étaient soit faiblement peuplées, ou dont les populations arabes avaient largement fui, ou dans des endroits d’une importance stratégique si désespérée, comme Lod et Ramle, que les forces israéliennes avaient simplement expulsé certains des habitants arabes.

L’historien Benny Morris a décrit la préoccupation de Gruenbaum comme l’origine de la compréhension qu’Israël « ne peut pas détenir un territoire rempli d’Arabes ».
La question est revenue avec encore plus de force quelques mois après, quand Yigal Alon, le commandant de terrain ayant connu le plus de succès de la toute nouvelle armée israélienne, a exhorté le Premier ministre David Ben Gurion à ordonner la conquête de la Cisjordanie, une opération qu’il pensait pouvoir conclure en quelques jours.
Ceci était particulièrement vrai après le cessez-le-feu de février avec l’Egypte, qui avait libéré une grande partie des plus de 100 000 soldats israéliens pour combattre la force jordanienne en Cisjordanie, qui comptait peut-être 12 000 hommes. Encore une fois, les dirigeants d’Israël ont hésité, et pour la même raison : un état-nation juif pouvait-il se permettre d’étendre sa souveraineté sur d’importantes populations non juives ?
En d’autres termes, la Cisjordanie telle qu’elle est définie aujourd’hui, un territoire distinct qui n’est ni Israël, ni la Jordanie, n’a pas été, comme cela est souvent pensé, forgé par le succès militaire jordanien en repoussant les Israéliens pendant la guerre de 1948 – 1949. Cette préoccupation n’a pas diminué depuis 70 ans. Elle est toujours le principal argument de la gauche et de la droite contre l’annexion de la Cisjordanie et pour la mise en place d’un état palestinien.
Mais il existe une angoisse israélienne opposée, et elle aussi est là depuis le tout début : le sentiment palpable de vulnérabilité que les Israéliens ressentent pour la sinueuse route de montagne de la ligne d’armistice de 1949, maintenant appelée la Ligne verte.
En 1948, Ben Gurion avait de bonnes raisons de craindre que les troupes irakiennes déployées à Qalqilya et à Tulkarem ne puissent frapper vers l’ouest et couper le pays en deux en une seule descente. En juin 1967, Abba Eban, alors ministre des Affaires étrangères, a décrit devant le Conseil de sécurité des Nations unies ce fin corridor comme « la bande côtière bondée et pathétiquement étroite dans laquelle tant de la vie et de la population d’Israël sont concentrées ». Et en 2017, les dirigeants israéliens, à gauche comme à droite, s’inquiètent d’une prise de pouvoir du Hamas sur cette crête montagneuse qui placerait le cœur commercial et la métropole du centre d’Israël à une si faible distance des roquettes du groupe terroriste.
Ainsi, en juin 1967, alors que la Jordanie rejoignait les préparatifs de la guerre arabe malgré les supplications des dirigeants israéliens pour qu’elle reste en dehors des combats, les craintes sécuritaires l’ont finalement emporté. Trois semaines après la complainte inspirée par la Bible du rabbin Kook sur la division de la terre de Dieu, Israël a conquis la Cisjordanie. Uzi Narkiss, le commandant des forces israéliennes en Cisjordanie pendant cette guerre, a ensuite raconté que la conquête, contrairement à l’avancée d’Israël sur le Golan et dans le Sinaï, était inattendue et n’avait pas été prévue avant le tout début des combats.
Mais la conquête n’a rien fait pour changer l’équation fondamentale, les préoccupations concurrentes sur l’étroite ligne côtière et la folie d’absorber de vastes populations non juives potentiellement hostiles.
Ainsi, alors qu’une poignée de nationalistes religieux tournaient les yeux vers Hébron et le Gush Etzion, c’est la coalition gouvernante de gauche qui a lancé le premier programme d’implantation systématique en Cisjordanie. Les nouvelles implantations couraient autour des contours du « plan Alon », développé par le même Alon qui avait demandé la conquête de la Cisjordanie en 1948.
Le plan cherchait à établir un équilibre entre les deux objectifs incompatibles dont le cabinet avait débattu 20 ans auparavant : revendiquer les régions qui pourraient apaiser la menace perpétuelle de l’étroit corridor nord-sud israélien tout en laissant intact et non revendiqué un grand territoire arabe continu qui pourrait un jour devenir l’état palestinien.
En pratique, cela entraînait des mesures relativement modestes, comme la mise en place de hameaux bien défendus le long du Jourdain dont les réservistes devenus fermiers pourraient contenir une armée ennemie en cas d’urgence, ou étendre la ville la plus vulnérable et précieuse d’Israël, Jérusalem, pour inclure les collines qui avant la guerre la menaçait de toutes parts. Même aujourd’hui, la plupart des habitants juifs vivent dans un cercle autour de Jérusalem, ou dans des villes placées comme tampons autour des principales artères menant à la capitale.

Comme Alon lui-même l’a dit au cabinet le 19 juin 1967, peu après la guerre, au final, un Etat palestinien doit être établi dans le territoire qui est au « maximum » de ce qu’il peut être, « pas un canton, pas une région autonome, mais un état arabe indépendant négocié entre nous et eux dans une enclave entourée par le territoire israélien, indépendant même dans sa politique étrangère. »
Pas de rupture des stocks de plans
Le plan Alon n’a jamais été officiellement adopté par un gouvernement israélien. Mais il n’a pas eu à l’être, ses hypothèses centrales sont devenues des axiomes de la pensée israélienne classique.
Amos Yadlin, ancien chef des renseignements de l’armée israélienne, choisi pour être ministre de la Défense du Parti travailliste en cas de victoire aux élections de 2015, et actuel directeur d’un prestigieux think-tank sur la sécurité nationale, a proposé une version de ce plan : un retrait unilatéral des terres du centre de la Cisjordanie où vivent la plupart des Palestiniens, tout en gardant la vallée du Jourdain à l’est et en retranchant l’armée israélienne le long de la barrière de sécurité à l’ouest.
Netanyahu lui aussi a soutenu une version de ce plan pendant les négociations de paix menées en 2014 par les Etats-Unis, selon une information divulguée par le journaliste israélien Amir Tibon, qui n’a jamais été démentie par le bureau de Netanyahu. Netanyahu a cherché à garder les blocs d’implantations adjacents à la Ligne Verte et le contrôle de la vallée du Jourdain, tout en démantelant et en déplaçant les implantations périphériques d’environ 90 % du territoire de la Cisjordanie, où sont concentrés les centres de population palestiniens.

Ce ne sont pas des exceptions, c’est la règle. Quand Ariel Sharon, alors Premier ministre, a retiré Israël de Gaza en août 2005, il a aussi voulu démanteler deux avant-postes lointains du nord de la Cisjordanie, Homesh et Sa-Nur. C’était un précédent et un message : la Cisjordanie va suivre. Sept mois après, son adjoint, Ehud Olmert, s’est présenté aux élections de mars 2006 avec la promesse explicite de mettre en place un retrait de type Alon de la plupart de la Cisjordanie. Il a remporté l’élection.
Il y a, en somme, une sorte de consensus israélien non déclaré, mais néanmoins persistant, qui a perduré pendant sept décennies d’élaboration politiques. Il subsiste pour la simple et bonne raison que les craintes primordiales qui l’ont créé de premier abord ont également persévéré.
Et c’est un consensus que les étrangers les mieux intentionnés ignorent à leur péril.
Lorsque l’administration Obama a insisté à partir de 2009 pour que les maisons construites dans le quartier de Gilo dans le sud de Jérusalem, qui se trouve au-dessus de la Ligne Verte, sont d’importance identique que les maisons construites, par exemple, à Eli, une implantation lointaine, elle s’est mise à dos involontairement non seulement le gouvernement Netanyahu, mais également tout l’édifice du compromis interne israélien qui existe depuis longtemps et les inquiétudes viscérales qu’il tente de résoudre.
Pour les responsables de l’administration Obama, tenir tête à Israël sur la construction dans les « blocs » d’implantations semblait une manœuvre sage pour convaincre les Palestiniens que les pourparlers de paix ne seraient pas un diktat unilatéral. Mais pour les Israéliens, y compris un grand nombre d’électeurs de gauche et autrefois de gauche, cela a été interprété comme une inclinaison américaine loin des hypothèses mêmes qui rendaient acceptables les risques inhérents à un retrait en Cisjordanie.

Ce n’est pas un hasard si, au cours des trois mois qui ont suivi l’élection de Donald Trump et avant la rencontre de Netanyahu le 15 février avec le nouveau président américain, des voix de droite comme le ministre de la Défense Avigdor Liberman et son prédécesseur Moshe Yaalon ont publiquement exhorté Israël à demander des assurances à l’administration Trump, non pas sur les implantations lointaines, mais sur les blocs d’implantations. Ce n’est pas un hasard si le centriste Yair Lapid, l’alternative préférée de l’administration Obama à Netanyahu tout au long du second mandat d’Obama, a promis aux Israéliens l’année dernière qu’il pourrait obtenir le soutien d’Obama pour les blocs.
Même le président de HaBayit HaYehudi, Naftali Bennett, l’héritier politique direct de la politique mystique du rabbin Kook, soutient désormais un projet de loi visant à annexer l’implantation de Maale Adumim, située dans la banlieue de Jérusalem, mais pas un projet de loi qui ferait de même pour toute la Cisjordanie.
Cette réticence de Bennett n’est pas une concession faite aux diplomates américains ou européens, mais aux Israéliens.
Les étrangers
Il y a, bien sûr, deux groupes qui sont à la fois des étrangers et des acteurs centraux de ce discours israélien : le mouvement idéologique des implantations susmentionné et, évidemment, les Palestiniens dont le sort pèse si dangereusement – et, pour beaucoup, de manière agaçante, sur la politique israélienne interne.
Pour les héritiers idéologiques de Kook, Levinger et Porat, le consensus d’Alon signifie que leur vision d’un retour rédempteur au territoire biblique est profondément vulnérable. Bien que la gauche et de nombreux observateurs étrangers croient, comme l’a affirmé Kerry, que « l’objectif des habitants des implantations est la définition du futur d’Israël », le mouvement des implantations en lui-même ne partage pas ce sentiment de triomphe inéluctable. Ils savent que le retrait de Gaza par Sharon en 2005 était réellement populaire à l’époque, et que l’opinion publique s’est progressivement opposée à ces retraits quand Gaza s’est transformé en mini-état du Hamas, et après les guerres récurrentes.
Le rabbin Yoel Bin-Nun, un autre étudiant du rabbin Kook qui, comme Porat, a combattu comme parachutiste pendant la bataille de la Vieille Ville, est l’un de ceux qui décrivent le mieux cette peur.

Les habitants des implantations, a-t-il fameusement écrit au commencement du processus de paix d’Oslo au début des années 1990, « n’ont pas réussi à s’installer dans les cœurs » du courant dominant israélien.
Parlant des habitants de Hébron plus de dix ans après, il a prévenu que le fait même que la promesse de Dieu aux juifs soit « éternelle » signifiait qu’elle n’était pas nécessairement promise à telle ou telle génération. A moins d’attirer le courant dominant juif dans leur histoire, a-t-il prédit, le courant dominant, qui a toujours, depuis la fondation d’Israël, craint un état judéo-arabe presque autant qu’une guerre existentielle, pourrait défier la rédemption promise et finalement démanteler l’idéologie du mouvement des implantations.
« Les dix derniers pour cent »
De même que la politique d’Obama a été sourde au discours israélien, et a donc involontairement renforcé les craintes mêmes qu’elle cherchait à apaiser, le débat israélien reste largement sourd sur la manière dont les Palestiniens l’entendent et y répondent, et contribue ainsi à compromettre leur capacité à y répondre de manière positive.
Le consensus inspiré par Alon en demande déjà beaucoup aux Palestiniens, plus qu’ils ne seront jamais susceptibles de l’accepter : qu’Israël entoure les structures politiques palestiniennes de toute part, qu’il domine l’environnement sécuritaire d’une manière qui rend l’indépendance palestinienne un acte de tolérance israélien de facto, et qu’il garde le contrôle sur le creuset des identités juive et palestinienne, les lieux saints de la Vieille Ville de Jérusalem.
La plupart des Israéliens accusent l’intransigeance palestinienne et le terrorisme de bloquer les négociations de paix. Ce n’est pas que de la propagande, mais un sentiment authentique et puissant parmi les Juifs israéliens, qui découle des vagues d’attaques brutales et répétées contre les civils, qui ont souvent eu lieu au plus fort des négociations de paix.
Pourtant, pour les Palestiniens, l’apparente confusion des politiques israéliennes qui découlent des tensions du compromis Alon, où un seul gouvernement peut parler de négociations de paix et simultanément soutenir les implantations, où le même gouvernement israélien pourrait soutenir l’indépendance palestinienne mais pas le contrôle palestinien sur les frontières palestiniennes, peut faire de la conciliation avec un Israël apparemment instable un suicide politique.
Cela ne veut pas dire qu’Israël soit la principale source de l’incapacité politique palestinienne, mais simplement que tout dirigeant palestinien qui surmonte cette incapacité, qui cherche l’accord et la réconciliation, tout en réussissant à résoudre le désaccord interne sur la paix avec Israël et à calmer miraculeusement les violents camps qui dominent tant la politique palestinienne, rencontrera au final une politique israélienne qui peut ne pas être en mesure de lui offrir le genre d’indépendance que même les Palestiniens les plus libéraux et les plus modérés attendent.

Quel genre d’état palestinien peut-on construire autour des contours du plan Alon ? Et quelle sorte de gouvernement israélien pourrait signer un accord abandonnant les sites saints de Jérusalem, ou la ligne de défense de la vallée du Jourdain ?
Cela n’est plus clair nulle part ailleurs que dans la frustration que certains dirigeants palestiniens éprouvent envers l’unilatéralisme israélien. En juillet 2006, moins d’un an après le retrait de Gaza, Yossi Beilin, ancien ministre israélien de la Justice, négociateur de paix et militant, a illustré cette situation en citant une conversation qu’il avait eue avec un dirigeant palestinien, dont il n’a pas donné le nom.
Comme l’a dit Beilin dans un entretien accordé à Haaretz à l’époque : « un des Palestiniens les plus haut placés et les plus modérés m’a récemment dit que ‘pendant des années, nous avons discuté dans la rue palestinienne de la paix israélo-palestinienne. Nous expliquons que nous devons accepter les quartiers juifs de Jérusalem Est, et l’échange de territoire, et le désarmement, et un compromis sur la question des réfugiés, pour qu’au final il existe un état palestinien en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. Mais si Israël nous laisse toute la bande de Gaza et 90 % de la Cisjordanie, pensez-vous que nous pourrions convaincre un seul Palestinien d’accepter ces douloureux compromis en échange des dix derniers pour cent du territoire ?’ »
Les modérés palestiniens sont affaiblis par l’extension des implantations, ce qui est considéré comme une preuve des mauvaises intentions des Israéliens. Mais ils sont également affaiblis par les retraits israéliens, qui semblent montrer qu’Israël peut quitter un territoire sans forcer les Palestiniens à faire les concessions insoutenables et politiquement ruineuses qui leur sont demandées en retour.
En fin de compte, les modérés palestiniens sont affaiblis principalement par le simple fait que le débat interne israélien sur l’avenir de la Cisjordanie les ignore essentiellement, et qu’ils l’ignorent à leur tour. Les politiques changeantes et indécises d’Israël en Cisjordanie sont une source d’angoisses si puissantes que les Israéliens peuvent à peine rassembler la bande passante émotionnelle pour accorder une attention sérieuse aux voix provenant de l’autre côté de la clôture de sécurité ou de l’océan.
Quand des diplomates de Washington, de Londres ou d’ailleurs s’interrogent sur les intentions d’Israël, quand ils se plaignent que Netanyahu mente sur son soutien à un état palestinien ou sur son soutien aux implantations, car comment pourrait-il soutenir les deux ? Ils oublient le fait le plus important sur la position d’Israël. Depuis les premiers jours d’Israël, la Cisjordanie signifie à la fois des frontières sûres et un danger mortel, un retour aux paysages de l’histoire juive et biblique, et une mixité potentiellement désastreuse avec un peuple étranger.
Cette contradiction est l’élément le plus authentique, le plus sincère et le plus cohérent de la politique israélienne à l’égard de la Cisjordanie, depuis bien avant sa conquête en 1967. Pour le meilleur ou pour le pire, c’est ce choc de désirs, cette confusion, et l’absence de déclaration cohérente que l’on pourrait trouver dans le discours d’un politicien israélien, qui constitue ce qu’Israël « veut » en Cisjordanie.
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