Après la guerre des Six jours, regards croisés d’Elie Wiesel et de deux autres auteurs
Les extraits de l'édition du mois de juillet 1967 du magazine Hadassah, dont un article du survivant, offre des témoignages immédiats de ces journées qui ont changé Israël
JTA — Lorsqu’Israël a gagné la guerre des Six jours, nombreux sont ceux qui ont considéré cette victoire comme un miracle. Non seulement ce petit pays avait battu les armées de trois pays arabes – Egypte, Jordanie et Syrie – mais il était également parvenu à restaurer le contrôle des Juifs sur Jérusalem après presque deux millénaires.
Tandis que les histoires de la guerre attribuent plus volontiers le mérite de la victoire à la planification militaire de haut-niveau plutôt qu’à une éventuelle intervention divine, le sens de l’émerveillement, mêlé à la crainte, est évident dans les récits de ceux qui se trouvaient dans le pays durant la guerre – et immédiatement dans son sillage.
Les extraits des récits exposés ci-dessous, qui avaient été publiés dans l’édition du mois de juillet 1967 du magazine Hadassah, évoquent la visite d’Elie Wiesel au mur Occidental après la guerre, la manière dont l’hôpital Hadassah avait géré les soins apportés aux blessés malgré une grave pénurie de personnel et la réouverture du mont Scopus, sous contrôle jordanien depuis 1948.
Elie Wiesel sur sa visite au mur Occidental après la réunification de Jérusalem
La réunification de Jérusalem a été peut-être l’accomplissement le plus significatif de la Guerre des Six jours. Cela faisait presque deux millénaires que la Vieille Ville n’avait pas été sous gouvernance juive. Elle se trouvait sous contrôle jordanien depuis 1948, ce qui voulait dire que les Juifs ne pouvaient pas se rendre au mur Occidental.
Elie Wiesel a visité le mur Occidental peu de temps après la guerre. Là, l’auteur lauréat de nombreux prix et survivant de l’Holocauste, qui n’avait pas encore été distingué par le Nobel, avait évoqué l’incrédulité qu’il avait ressentie lorsqu’il avait visité le site de Jérusalem, vestige historique du mont du Temple.
« Ils me l’ont dit : C’est le mur. Non. Je ne peux pas y croire – je ne peux pas – j’ai peur d’y croire. Au plus profond de moi, bien sûr, je réalise qu’ils ont raison, que c’est bien ce mur – quel Juif ne saurait le reconnaître instantanément ! Oui, je ne parviens pas à croire que c’est moi – moi – qui me tiens maintenant face à lui, l’observant comme si j’étais plongé dans un rêve, l’affrontant, le souffle coupé, comme s’il était un être vivant, omnipotent, omniscient, maître des secrets de l’univers. … Un homme de pierre qui a su s’élever hors et au-delà du temps, un être qui m’emmène vers un monde étrange et distant, dont chaque pierre possède sa volonté propre, sa destinée et sa mémoire… Je ne peux croire que c’est moi qui ai conçu de telles fantaisies tempétueuses et pourtant, c’est bien moi qui suis en train de trembler comme un murmure emporté par le vent ! »
Comment l’hôpital Hadassah a fonctionné alors que les médecins se trouvaient sur le front
Au cours de la guerre, l’hôpital Hadassah, qui fonctionnait depuis son campus d’Ein Kerem, un village situé au sud-ouest de Jérusalem, a soigné les soldats blessés – arabes et israéliens – et les civils en plus de ses patients habituels.
En même temps, l’hôpital a dû faire avec un personnel gravement limité – tous les médecins âgés de moins de 49 ans avaient été appelés sur le front. De plus, l’établissement avait subi les dégâts engendrés par les obus jordaniens.
Mais le personnel s’est malgré tout assuré que les malades bénéficiaient d’un traitement approprié.
« L’hôpital était sens dessus dessous. La large salle accueillant les malades de l’hôpital de jour avait été transformée en quelques heures en centre massif de prise en charge des victimes, avec des centaines de lit placés l’un à côté de l’autre, en rang, chacun avec ses propres instruments, du plasma, du matériel de perfusion en goutte à goutte, des médicaments.
Des plans d’urgence méticuleux conçus deux ans auparavant et réadaptés jusqu’au moindre détail avaient été mis en oeuvre.
Huit équipes d’urgence étaient présentes pour accueillir les blessés, avec neuf salles d’opération et des équipes spécialisées – depuis l’ophtalmologie jusqu’à l’urologie – étaient prêtes à passer à l’action. Rien n’avait été laissé au hasard.
Quarante réservoirs d’eau potable avaient été distribués au cas où il y ait une coupure d’eau.
Quinze mille sacs de sable, 365 mètres de murs de protection avaient été dressés pour les entrées… L’hôpital Hadassah a doublé sa capacité médicale en une nuit et le directeur général, le docteur [Kalman] Mann qui, dans l’urgence, était également devenu responsable des deux autres hôpitaux de la ville, Bikur Holim et Shaare Zedek, et d’un certain nombre de centres de soins, avait averti qu’il y avait deux milles lits prêts dans les hôpitaux opérationnels et encore 1 200 autres à proximité et à travers la ville. Tout ce qui pouvait être fait avait été fait ».
Réouverture de l’hôpital Hadassah du mont Scopus
La journaliste Rinna Samuel avait couvert la réouverture de l’hôpital Hadassah sur le mont Scopus de Jérusalem, qui avait été fermé jusqu’en 1948 après la prise de contrôle de la Jordanie.
L’état d’esprit était un mélange d’excitation – les dirigeants et les personnels de l’établissement retournant dans leur ancien lieu de travail – et la tristesse, lorsqu’ils ont constaté la manière dont l’hôpital avait été vandalisé sous le contrôle de la Jordanie et qu’ils se sont souvenus des pertes subies sur le site durant la guerre de l’Indépendance israélienne. Là, Samuel avait raconté le voyage en bus qui l’avait emmené sur le mont Scopus.
« La Jérusalem jordanienne avait grandi et changé sous de nombreux aspects au cours des presque 20 années qui s’étaient écoulées depuis 1948. C’était un petit peu comme se trouver à l’étranger, sur une terre étrangère, jusqu’à ce que les passagers ne commencent à retrouver leurs repères, à reconnaître un vieux point marquant ou une maison familière, ou même à identifier des arbres spécifiques.
‘Vous vous souvenez de cette maison ?’ Les passagers s’encourageaient les uns les autres et leurs voix étaient chagrines. Les souvenirs collectifs de la fin de l’ancien convoi depuis l’hôpital qui se trouvait fauché, les pertes subies en 1948 étaient brutes et douloureuses… Dans le hall, une horloge sans aiguilles, comme si le mont Scopus avait oublié le temps. Nous avons été émus et n’avons plus pu dire un mot. Pièce après pièce, la violation de l’hôpital s’est révélée. Corridor après corridor, les sols parsemés de verre brisé, où se sont illustrés les ravages des dix neuf ans qui avaient passés ».