Après le boycott d’Israël, Ben & Jerry’s est poursuivi pour travail infantile
Suite à la découverte de travailleurs mineurs, un collectif accuse le fabricant de crème glacée d'avoir trompé les consommateurs sur son engagement éthique et porte plainte
Luke Tress est le vidéojournaliste et spécialiste des technologies du Times of Israël

NEW YORK – La marque Ben & Jerry’s fait aujourd’hui face à une plainte collective, accusée d’hypocrisie pour avoir fait appel à du travail infantile, à rebours de son engagement pour la justice sociale, qui se voulait être la clef de voûte de son image de marque.
Les faits ont été révélés très peu de temps après le règlement d’un autre contentieux juridique très médiatisé avec la maison mère, cette fois au sujet d’une tentative de boycott contre Israël, que les soutiens d’Israël estimaient partiale.
Le conseil d’administration de Ben & Jerry’s, responsable du boycott, est resté silencieux sur la question du travail dissimulé des enfants, mais son PDG a continué à tirer à boulets rouges sur Israël.
La société, qui a son siège dans le Vermont, affirmait dans des documents récents ne pas faire appel à de la main d’oeuvre infantile au sein de sa chaîne d’approvisionnement et aurait tenté d’étouffer l’affaire.
La question de la main d’œuvre infantile est sortie dans la presse grâce à une enquête du New York Times, publiée à la fin du mois dernier.
Cette dernière révélait que des entreprises américaines et leurs fournisseurs faisaient appel à des migrants mineurs pour effectuer des travaux particulièrement dangereux et épuisants dans leurs usines, comme c’était le cas dans des laiteries qui approvisionnent Ben & Jerry’s.
Un grand nombre d’enfants, qui fuient la misère qui fait rage en Amérique centrale, arrivent aux États-Unis en qualité de mineurs non accompagnés et sont ensuite exploités sur le marché du travail.
Ils travaillent pour rembourser leur dette à leurs passeurs, envoyer de l’argent à la famille restée au pays et vivre au jour le jour, ce qui les prive presque à coup sûr de toute forme d’éducation.
Le ministère américain du Travail a réagi à la nouvelle en annonçant de nouvelles mesures pour améliorer la lutte contre le travail dissimulé des mineurs migrants.
L’enquête indique que le taux de blessures au sein de ces laiteries est deux fois plus élevé que la moyenne nationale de toutes les industries. Elle cite le cas d’un garçon dont la main a été écrasée par une machine à traire industrielle dans le Vermont.
La législation du travail de cet État permet à toute personne âgée de plus de 16 ans de travailler dans l’agriculture mais interdit aux moins de 16 ans d’effectuer des travaux dangereux.
Il n’y a actuellement aucune preuve que Ben & Jerry’s, ou ses fournisseurs, aient enfreint la législation du travail.

Un représentant de Ben & Jerry’s a semblé reconnaître les faits dans les colonnes du New York Times, affirmant que l’entreprise travaillait avec des organisations de travailleurs pour s’assurer des bonnes conditions de travail chez ses fournisseurs et ajoutant que si les mineurs migrants avaient besoin de travailler à temps plein, il était préférable pour eux de travailler en des lieux appropriés et surveillés.
Suite à la publication de cette enquête, un des plaignants a déposé une plainte collective fédérale à l’encontre de Ben & Jerry’s devant un tribunal de New York, affirmant que la société avait menti aux consommateurs à propos de son engagement éthique.
Les plaignants font valoir que Ben & Jerry’s vend ses produits plus cher, en raison notamment de son image d’entreprise socialement responsable, et que les consommateurs n’auraient pas acheté ou accepté de payer autant, s’ils avaient su que ses fournisseurs faisaient appel à de la main-d’oeuvre infantile.
Dovid Tyrnauer demande des dommages et intérêts et des engagements à Ben & Jerry’s pour abus de confiance.
Au cours de la procédure judiciaire concernant la tentative de boycott d’Israël, Ben & Jerry’s avait fait valoir à plusieurs reprises, devant le tribunal même où la plainte collective a été déposée, que son image vertueuse était un élément essentiel de sa stratégie commerciale et de son succès financier.
« Ben & Jerry’s assure avoir une chaîne d’approvisionnement éthique et être attentif au bien-être des travailleurs agricoles, mais la réalité est tout autre. Les chaînes d’approvisionnement de Ben & Jerry’s font effectivement appel à de la main-d’oeuvre infantile », estime le plaignant.
« Ben & Jerry’s voudrait quelque part avoir le beurre et l’argent du beurre. Il veut vendre des produits haut de gamme auréolés de prétendus principes éthiques, alors que ses fournisseurs emploient de la main-d’oeuvre infantile. Pour dire les choses comme elles sont, c’est de la cupidité sans bornes. »

« Rien ne justifie dans ce cas le prix plus élevé payé par les consommateurs pour des produits prétendument éthiques, mais qui releva en fait d’un véritable abus de confiance encouragé par de fausses déclarations », explique le plaignant.
Les avocats du plaignant n’ont pas souhaité s’exprimer, et Ben & Jerry’s n’a pas encore de représentation juridique répertoriée dans le cadre de cette affaire.
Suite à la publication de l’article du New York Times, Ben & Jerry’s a publié une déclaration rappelant son hostilité au travail infantile et soulignant les engagements éthiques de l’entreprise et ses liens avec des organisations de défense des droits des travailleurs, sans nier le recours à de la main-d’oeuvre mineure par ses fournisseurs ni donner d’éléments sur la connaissance de ces faits par la société.
« Nous sommes profondément préoccupés par les affirmations de cet article et ne tolérons aucun fournisseur qui ne respecte pas la loi. Soyons clairs : Ben & Jerry’s est fermement opposé au travail des enfants », indique le communiqué.
Contacté pour évoquer cette plainte collective, Ben & Jerry’s a renvoyé le Times of Israel à sa déclaration, sans apporter de réponse à un certain nombre de questions, parmi lesquelles celle du moment exact où l’entreprise a eu connaissance de la présence de main-d’oeuvre mineure chez ses fournisseurs.

La question de l’information de l’entreprise en la matière est importante car elle a certifié, dans les documents déposés en janvier, que ses fournisseurs n’avaient pas recours à de la main-d’oeuvre mineure.
Cette déclaration avait vocation à enregistrer la société en tant que B Corporation, certification privée qui atteste des « normes élevées de performance sociale et environnementale » d’une entreprise.
Ben & Jerry’s avait également déclaré, cette fois dans des documents déposés en 2017, que son document d’évaluation des risques professionnels interdisait le recours au travail des enfants.
Le conseil d’administration indépendant de Ben & Jerry’s, chargé de protéger la « mission sociale » de l’entreprise, celui-là même qui a décidé de boycotter les implantations israéliennes, n’a pas commenté la question du travail des enfants.
Un porte-parole de la société a fait savoir que la déclaration faite suite à l’enquête du New York Times n’était pas de la main du Conseil d’administration.
La présidente de ce Conseil, Anuradha Mittal, ne s’est pas exprimée sur la question, mais a publié à plusieurs reprises des contenus anti-israéliens sur Twitter depuis que la question du travail des enfants a été révélée.
Mittal a une affiche pro-Intifada au mur de son bureau.

Alyza Lewin, avocate de Ben & Jerry’s Israël lors du procès concernant le boycott d’Israël, a déclaré que les accusations concernant la main-d’œuvre infantile révélaient le traitement différentiel de la marque envers Israël.
« Cette information sur la main-d’œuvre migrante mineure confirme quelque part l’hypocrisie de toute l’affaire avec Israël », assure Lewin.
« Ce qui s’est passé, c’est que le Conseil d’administration a cédé à la pression du BDS mais il n’a jamais été question d’aider les Palestiniens en quoi que ce soit. »
« Ils clament haut et fort qu’ils sont des champions de la justice sociale, alors que dire de ces pauvres enfants ? » questionne Lewin.
Le président de Ben & Jerry’s Israël, Avi Zinger, qui a lutté avec succès devant les tribunaux contre le boycott, a déclaré que cette décision avait nui aux Palestiniens, aux employés, aux consommateurs et à son partenaire commercial en Cisjordanie.
En juillet 2021, le Conseil d’administration de Ben & Jerry’s avait annoncé sa décision de boycotter les « territoires palestiniens occupés », suite à la guerre qui avait fait rage cette année-là entre Israël et des terroristes de Gaza ainsi qu’à une vigoureuse campagne hostile à la société sur les réseaux sociaux.
Les lois israéliennes interdisent les discriminations fondées sur le lieu de résidence : aussi, le boycott des implantations se serait analysé comme une interdiction de vente partout en Israël.

La décision avait donné lieu à un intense et complexe bras de fer juridique et avait eu de lourdes conséquences pour Unilever, la société mère de Ben & Jerry’s, au moment où les États américains promulguaient des lois anti- BDS, retirant des centaines de millions de dollars d’investissements du conglomérat britannique.
La décision du fabricant de crème glacée de boycotter les « territoires occupés » avait suscité un véritable tollé en Israël, comme au sein de plusieurs organisations juives américaines.
Les critiques du boycott estimaient qu’il était au final antisémite, dans la mesure où la société n’avait jamais boycotté d’autres territoires.
De leur côté, les partisans du boycott d’Israël assuraient qu’en exhortant entreprises, artistes et universités à rompre leurs relations avec Israël, ils faisaient usage de moyens non-violents pour s’opposer aux politiques injustes envers les Palestiniens.
Israël avait alors déclaré que l’intention véritable du mouvement était de délégitimer et détruire l’Etat juif.
Zinger et Ben & Jerry’s Israël avaient refusé d’obéir au boycott des implantations, au motif qu’il était illégal au regard des lois israéliennes et américaines.
Leur licence de vente de crème glacée devait expirer fin 2022, ce qui signifie que le boycott n’est jamais entré en vigueur.

Ben & Jerry’s Israël a poursuivi Unilever sur cette question aux États-Unis, affirmant qu’Unilever avait indûment mis fin à leur contrat commercial.
Quelques mois plus tard, Unilever concluait un accord avec Ben & Jerry’s Israël, accordant à la succursale israélienne l’indépendance nécessaire pour vendre ses produits sans limitation de date en Israël et en Cisjordanie, en utilisant les marques hébraïques et arabes.
En vertu de cet accord, Ben & Jerry’s n’exerce aucune autorité sur sa franchise israélienne.
Unilever avait déclaré que le Conseil d’administration avait annoncé le boycott des implantations sans consulter la société mère.
Peu de temps après l’annonce de cet accord, Ben & Jerry’s tentait de faire achopper l’accord en poursuivant Conopco, principale branche américaine d’Unilever, au motif que ce dernier avait enfreint son accord d’acquisition avec Ben & Jerry’s.
L’accord de fusion de 2000 avait en effet conféré au Conseil d’administration du fabricant de crème glacée le pouvoir de veiller sur la « mission sociale » de l’entreprise.
Ce procès aura constitué un contentieux juridique sans précédent entre une grande entreprise et sa société mère.
Unilever a déclaré avoir résolu son différend avec Ben & Jerry’s en décembre dernier, sans préciser les termes de l’accord.
L’affaire semblait aller à l’encontre de Ben & Jerry’s avant l’annonce de cet accord.
Zinger s’est déclaré « satisfait » que le litige ait été résolu.
Ni Ben & Jerry’s ni son Conseil d’administration n’ont fait de commentaire.
Les fondateurs juifs de Ben & Jerry’s, qui ne dirigent plus l’entreprise, ont déclaré qu’Unilever « avait usurpé leur autorité » en se séparant de la branche israélienne.
Cette affaire illustre les pièges de l’activisme progressiste des entreprises, les risques pour les entreprises de boycotter Israël et la montée en puissance d’entreprises, aux États-Unis, qui prennent position sur le conflit israélo-palestinien.