Au cœur des manifestations étudiantes US ? Couper les liens avec Israël
Ces manifestations redonnent de la vigueur au mouvement BDS. Les étudiants demandent de ne plus investir en Israël ni dans les entreprises qui travaillent avec
Aux Etats-Unis, pas un jour ne passe sans que les étudiants de nouvelles universités se joignent au mouvement consistant à ériger des campements pour exiger de leur établissement qu’il cesse tout lien avec Israël et même avec toute entreprise qui soutient sa guerre contre le Hamas à Gaza après les massacres sadiques qu’il a perpétrés en Israël le 7 octobre, aux côtés de civils complices.
Cette revendication trouve ses racines dans le mouvement Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS), actif depuis des dizaines d’années contre l’existence d’Israël. Le mouvement a repris de la vigueur à la faveur d’une guerre entre Israël et le Hamas qui dure maintenant depuis plus de six mois et dont les souffrances endurées par la population de Gaza font d’Israël le centre d’attention de toute la communauté internationale et de ses demandes de cessation des hostilités.
Inspirés par les manifestations et l’interpellation, la semaine dernière, d’une centaine d’étudiants de l’Université Columbia, les étudiants du Massachusetts à la Californie se rassemblent par centaines sur les campus pour déployer leur propre campement et rester sous les tentes jusqu’à complète satisfaction de leurs revendications.
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« Nous voulons être visibles », explique Mahmoud Khalil, leader de la contestation à Columbia, qui rappelle que les étudiants de l’université plaident en faveur du désinvestissement d’Israël depuis 2002. « L’université devrait faire quelque chose par rapport à notre demande, à propos du génocide qui a lieu à Gaza. Ils devraient cesser d’investir dans ce génocide. »
Les manifestations sur les campus ont commencé dans le sillage de l’attaque sanglante du Hamas, le 7 octobre dans le sud d’Israël, lorsque des terroristes ont tué 1 200 personnes, pour la plupart des civils, et fait 253 otages. Selon le ministère de la Santé de Gaza, dirigé par le Hamas, la guerre qui s’en est suivie a d’ores et déjà fait 34 000 victimes palestiniennes dans la bande de Gaza, chiffre pour l’heure invérifiable et qui pourrait comprendre les 13 000 hommes armés du Hamas dont Israël revendique la mort. Israël assure par ailleurs avoir tué un millier de terroristes sur le sol israélien le 7 octobre 2023. Deux cents soixante-et-un soldats de Tsahal ont été tués dans l’offensive terrestre à Gaza.
Que veulent les étudiants ?
Les étudiants demandent aux universités de cesser tout contact avec les entreprises qui permettent de soutenir l’action militaire israélienne à Gaza – et dans certains cas, avec Israël lui-même.
Sur de nombreux campus, les manifestations sont l’œuvre de coalitions d’organisations étudiantes comprenant souvent des sections locales d’organisations telles que Students for Justice in Palestine – qui s’est publiquement réjouie des massacres du 7 octobre menés par le Hamas, à l’origine de la guerre – ou encore l’organisation anti-sioniste Jewish Voice for Peace. Elles créent des groupes de coordination, comme la Coalition contre l’apartheid du MIT ou la Coalition Tahrir de l’Université du Michigan.
Les groupes agissent le plus souvent de manière indépendante même s’il existe une certaine forme de coordination. Après avoir établi leur campement la semaine dernière, les étudiants de Columbia se sont entretenus au téléphone avec 200 personnes désireuses d’établir leur propre campement. Mais la plupart du temps, les choses se font spontanément, sans trop de collaboration entre les campus, assurent les organisateurs.
Les demandes varient d’un campus à l’autre. On trouve par exemple :
– Ne plus faire d’affaires avec les fabricants de matériels militaires qui fournissent des armes à Israël.
– Ne plus accepter de fonds israéliens en faveur de la recherche pour des projets susceptibles de profiter à l’action militaire du pays.
– Ne plus confier les fonds de dotation des universités à des gestionnaires de fonds qui profitent des entreprises ou des sous-traitants israéliens.
– Etre plus transparent sur les fonds reçus d’Israël et leur utilisation.
Ces dernières semaines, les instances représentatives étudiantes de certaines universités ont adopté des résolutions demandant la fin des investissements et partenariats universitaires avec Israël. De telles dispositions ont été adoptées par les instances étudiantes de Columbia, Harvard Law ou Rutgers, sans oublier l’American University.
Comment les établissements universitaires réagissent-ils ?
Les autorités de plusieurs universités se sont dites intéressées par le dialogue avec les étudiants et attachées au respect de leur droit à manifester. Mais elles sont également sensibles à l’inquiétude de nombreux étudiants juifs qui font état de propos et d’actes proprement antisémites – ce qu’elles se disent bien déterminées à ne pas laisser passer.
Sylvia Burwell, présidente de l’American University, n’a pas souhaité donner suite à une résolution des instances représentatives étudiantes de premier cycle demandant à l’université de mettre fin aux investissements et partenariats avec Israël.
« De telles actions menacent la liberté académique, la libre expression respectueuse des idées et des points de vue, ainsi que les valeurs d’inclusion et d’appartenance qui sont au cœur de notre communauté », a déclaré par voie de communiqué Burwell, qui a par ailleurs rappelé la « position fort ancienne » de l’université contre le mouvement BDS dans sa première mouture.
Selon les manifestants d’aujourd’hui, il existe un parallèle entre la politique d’Israël envers Gaza – une minuscule bande de terre nichée entre Israël, l’Égypte et la mer Méditerranée, peuplée de 2,3 millions de Palestiniens – et l’apartheid qu’a connu l’Afrique du Sud. Israël s’est retiré – civilement et militairement – de Gaza en 2005, deux ans avant que le Hamas ne prenne brutalement le contrôle de l’enclave des mains de l’Autorité palestinienne, au prix d’une guerre quasi-fratricide. Suite à cela, Israël et l’Égypte ont imposé des restrictions sécuritaires à Gaza pour empêcher le Hamas de se procurer des armes susceptibles de servir lors d’attaques terroristes contre des Israéliens. Mais au vu de l’arsenal, des tunnels souterrains ultra-sophistiqués et des capacités du Hamas à nuire, on s’interroge sur l’efficacité de ces restrictions.
Les opposants au BDS estiment qu’il flirte avec l’antisémitisme. Rien que ces dix dernières années, plus de 30 États ont promulgué des lois ou des directives empêchant les agences d’embaucher des entreprises qui soutiennent le mouvement. L’ancienne secrétaire à l’Éducation, Betsy DeVos, l’a qualifiée de « menace pernicieuse », en 2019, affirmant qu’elle alimentait les préjugés contre les Juifs sur les campus des Etats-Unis.
Interrogé cette semaine pour savoir s’il condamnait « les manifestations antisémites », le président Joe Biden a répondu par l’affirmative. « Je condamne également ceux qui ne comprennent pas ce qui se passe avec les Palestiniens », a déclaré Biden après un événement dédié à la Journée de la Terre, lundi.
À Yale, où des dizaines de manifestants étudiants ont été interpelés lundi, le président Peter Salovey a relevé, dans un message sur le campus, qu’après avoir entendu les étudiants, le Comité consultatif sur la responsabilité des investisseurs de l’université avait recommandé de ne pas cesser d’investir dans les matériels de guerre.
La présidente de Columbia, Minouche Shafik, a déclaré qu’il fallait « parler sérieusement » de la façon dont l’université pouvait apporter de l’aide au Moyen-Orient. Mais « il est impossible de laisser un groupe dicter ses conditions », a-t-elle déclaré par voie de communiqué lundi.
Le MIT a, pour sa part, déclaré par voie de communiqué que les manifestants avaient « toute l’attention de la direction, qui s’entretient au quotidien avec les étudiants, les professeurs et l’ensemble des personnels ».
Quelles sommes les universités perçoivent-elles ?
Sur de nombreux campus, les étudiants favorables au désinvestissement disent ne pas connaitre l’étendue des liens entre leurs universités et Israël. Les universités les plus richement dotées diversifient au maximum leurs investissements, et il peut être difficile, voire impossible, de les tracer précisément.
Le ministère de l’Éducation des États-Unis exige des universités qu’elles déclarent les dons et contrats de sources étrangères, mais il y a souvent sous-déclaration, et certaines universités contournent parfois leur obligation déclarative en transférant les fonds à des fondations qui travaillent en leur nom.
Selon les chiffres du ministère de l’Éducation, une centaine d’universités américaines ont déclaré des dons ou des contrats liés à Israël pour un montant de 375 millions de dollars ces vingt dernières années. Mais ces chiffres disent peu de choses sur la provenance des fonds ou la manière dont ils sont employés.
Des étudiants du MIT ont publié le nom de plusieurs chercheurs supposés avoir accepté des fonds de la part du ministère israélien de la Défense pour des projets qui, selon eux, aident à la navigation des drones ou à la protection anti-missiles. Au total, estiment ces étudiants pro-palestiniens, le MIT a accepté plus de 11 millions de dollars du ministère de la Défense au cours ces dix dernières années.
La direction du MIT n’a pas souhaité s’exprimer sur la question.
« Le MIT est complice de tout cela », estime Quinn Perian, dirigeant d’une organisation étudiante juive favorable au cessez-le-feu entre Israël et le Hamas. Il pense que la population souhaite, chaque jour plus nombreuse, que les universités fassent toute la lumière sur leur rôle dans le soutien à l’armée israélienne.
« Nous puisons tous au même feu », rappelle-t-il. « On nous force, en tant qu’étudiants, à être complices de ce génocide. »
Encouragés par les manifestations de Columbia, des étudiants de l’Université du Michigan ont campé, mardi, sur une place du campus pour exiger la fin des investissements avec Israël. Ils estiment que leur établissement verse plus de 6 milliards de dollars à des gestionnaires de fonds qui profitent d’entreprises ou de sous-traitants israéliens. Ils évoquent par ailleurs des investissements dans des entreprises qui produisent des drones voire des avions de chasse utilisés en Israël, et dans des produits de surveillance utilisés aux points de contrôle de Gaza.
La direction de l’Université du Michigan a indiqué ne pas investir directement dans des entreprises israéliennes et précisé que les investissements indirects effectués par le biais de fonds ne représentaient qu’1 % des 18 milliards de dollars alloués à l’université. L’établissement ne souhaite pas donner suite aux demandes de désinvestissement, se référant à une ligne politique dessinée il y a de cela près de 20 ans « qui protège les investissements de l’université de toute forme de pression politique ».
Quelle est la prochaine étape pour les étudiants ?
Les étudiants de Harvard et Yale réclament davantage de transparence et le désinvestissement.
La transparence est aussi l’une des principales revendications de l’Emerson College, où 80 étudiants et sympathisants ont occupé mardi une place très fréquentée du campus situé dans le centre-ville de Boston.
Douze tentes arborant les slogans « Libérez Gaza » ou « Pas de dollars américains pour Israël » bordaient l’entrée de la place : on pouvait voir des sacs de couchage et des oreillers dépasser de l’ouverture des tentes.
Les étudiants étaient assis en tailleur à même le sol, occupés à rédiger leurs derniers devoirs et réviser pour les examens. Le semestre se termine dans quelques semaines.
« J’adorerais rentrer chez moi et prendre une douche », dit Owen Buxton, étudiant en cinéma, « mais je ne partirai pas tant que nous n’aurons pas répondu à nos demandes ou que la police ne m’aura pas mis dehors. »
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