Avant de rentrer en Israël, un couple a créé un mouvement de protestation inédit à NY
Shany Granot-Lubaton et son mari Omer, qui espéraient échapper à la politique israélienne, ont au contraire fondé un mouvement anti-refonte, qu'ils ont réinventé après le 7 octobre
New York Jewish Week via JTA – Lorsque Shany Granot-Lubaton a vu la photo de sa mère lors d’une manifestation à Tel Aviv, elle s’est mise à pleurer – et a su qu’elle devait faire quelque chose.
Shany et son époux, Omer Lubaton-Granot, étaient arrivés à New York quatre mois plus tôt, à l’automne 2022, pour qu’il puisse étudier à la Columbia School of International and Public Affairs. Shany a trouvé un emploi au sein du groupe de défense libéral pro-Israël américain J Street.
Ils étaient venus avec leur fils d’un an, Michael, leur chienne nommée Golda, en hommage à l’ancienne Première ministre Golda Meïr – et l’espoir de « faire une pause dans la politique israélienne », a déclaré Omer lors d’un entretien récent dans un restaurant de Morningside Heights. Dans leur pays d’origine, tous deux avaient travaillé pour des législateurs du parti Avoda.
Recevez gratuitement notre édition quotidienne par mail pour ne rien manquer du meilleur de l’info Inscription gratuite !
« Nous pensions simplement que nous allions avoir un peu de temps pour nous et pour notre famille », a dit Shany. « J’envisageais d’avoir un autre enfant pendant cette période, et tout se passera dans la plus grande sérénité. »
C’est alors que le Premier ministre Benjamin Netanyahu est revenu au pouvoir et a entrepris de réformer en profondeur le système judiciaire du pays, déclenchant un mouvement de protestation sans précédent. Un jour, Shany a reçu une photo de sa mère, alors âgée de 75 ans, assistant avec des membres de sa famille sous une pluie battante lors d’un rassemblement à Tel Aviv.
« Ce moment m’a brisée », a raconté Shany. « J’ai fondu en larmes et je me suis dit : ‘Qu’est-ce que je fais ici ? Je veux rentrer chez moi, je veux me battre pour ma maison’. »
Cette semaine, Shany et Omer repartent. Mais leurs deux années à New York ont été tout sauf une pause. Au contraire, ils sont devenus les leaders d’un mouvement de protestation dans la ville qui s’est d’abord attaqué à la refonte judiciaire largement controversée, puis – après l’assaut du groupe terroriste palestinien du Hamas sur le sud d’Israël le 7 octobre et la guerre qui s’en est suivie – a rapidement pivoté vers la défense des otages israéliens détenus par le Hamas dans la bande de Gaza.
Ils ont rencontré le chef des Nations unies, orchestré des dons d’urgence aux troupes de l’armée israélienne sous forme de sacs de sport, ont été cités dans les médias américains et ont mené de grandes manifestations dans toute la ville. Leurs collègues militants affirment qu’en retour, le mouvement a déclenché une tendance plus profonde : un nouveau sentiment d’unité entre les expatriés israéliens et les Juifs américains.
« Elle a vraiment révolutionné l’activisme politique des Israéliens en Amérique, et plus particulièrement à New York », a déclaré Gili Getz, un militant israélien progressiste à New York, parlant de Shany. « Elle a vraiment réussi à créer une nouvelle scène, une nouvelle culture de l’activisme qui n’existait pas auparavant à cette échelle. »
Le couple partage ce sentiment. « Nous nous sentons privilégiés et honorés de faire partie de cette communauté », a déclaré Shany.
« Nous avons compris que si vous avez une communauté vraiment forte, surtout à New York et qu’il s’agit de la communauté juive, et que vous la gardez unie, vous pouvez vraiment faire la différence », a ajouté Omer.
Le couple a achevé une véritable période d’apprentissage depuis qu’il a organisé sa première manifestation contre la refonte du système judiciaire en janvier 2023, en solidarité avec les rassemblements de masse organisés en Israël. À l’époque, ils n’avaient que quelques amis dans la ville et étaient encore en train de s’y installer.
Sur les conseils d’Israéliens qui avaient organisé des manifestations à New York en 2011, ils ont choisi Washington Square Park comme lieu de rassemblement, et Shany a rejoint des groupes WhatsApp et Facebook israéliens dans la ville pour annoncer l’événement. Les Israéliens de New York et les Juifs américains ont tendance à évoluer dans des sphères distinctes, et les lieux de rassemblement traditionnels des Juifs américains n’étaient pas encore dans son champ d’action.
« Les groupes WhatsApp sont comme les synagogues israéliennes », a-t-elle dit. « C’est là que nous nous rencontrons. »
Ils ont commandé un mégaphone et 20 drapeaux israéliens sur Amazon pour 200 dollars, se sont mis en relation avec deux autres militants israéliens et ont écrit des slogans tels que « Sauvez notre pays » sur huit morceaux de carton vierges. Leur fils, qui venait d’apprendre à marcher, tenait une minuscule pancarte de protestation. Shany et Omer avaient déjà participé à l’organisation d’événements politiques, mais ils n’avaient jamais occupé le devant de la scène et ne savaient pas se servir d’un mégaphone.
Ils attendaient une trentaine de personnes. Une centaine s’est présentée.
Ils ont fait circuler des blocs-notes pour que les gens communiquent leurs coordonnées et ont commencé à constituer un mouvement. Un ami, pilote pour El Al, a apporté des valises de drapeaux israéliens et de tee-shirts de protestation dans un hôtel de New York.
Ils se sont vite rendu compte que le fait d’être à New York avait un grand impact. Les manifestations se sont multipliées et ont inclus une marche sur le pont de Brooklyn, en tandem avec une marche de protestation vers Jérusalem, ainsi qu’un rassemblement devant le consulat israélien lorsque le consul général, Asaf Zamir, a démissionné pour protester contre le gouvernement. D’autres rassemblements visaient les partisans américains de la refonte judiciaire, tels que le groupe de réflexion de droite Kohelet Forum ; pour celui-ci, Shany ne savait pas encore comment obtenir une autorisation de la police.
« Je me suis dit ‘ne te fais pas arrêter, tu as une journée chargée' », a raconté Omer.
Les manifestants israéliens se sont de plus en plus rapprochés des Juifs américains. Les rassemblements de Washington Square Park, organisés sous la bannière du mouvement anti-Netanyahu des expatriés israéliens UnXeptable, se sont déplacés du samedi au dimanche pour mieux accueillir les Juifs pratiquants locaux, qui ont commencé à venir en raison de leur frustration commune à l’égard du gouvernement israélien. Certains rabbins locaux sont venus prononcer des discours lors des manifestations.
Un fossé subsiste entre les expatriés israéliens et les Juifs new-yorkais. Les manifestants israéliens sont en grande partie laïcs, alors qu’une grande partie de la communauté juive américaine s’organise généralement autour des synagogues. Au fil du temps, les Israéliens libéraux en sont venus à considérer certains rabbins américains comme des alliés, ce qui marque un changement par rapport à leur communauté israélienne laïque, qui considère souvent les autorités religieuses comme des adversaires.
« Pour les Israéliens, les gens qui portent une kippa ne sont pas de notre côté. Ce n’est pas le cas en Israël », a expliqué Omer, mais avec le temps, « les Israéliens ont commencé à voir tant de couleurs dans le large spectre du judaïsme, que le judaïsme peut être démocratique, libéral et sioniste ».
Et pour les Juifs américains qui peuvent se sentir mal à l’aise à l’idée de dénoncer publiquement Israël, le fait que les manifestations aient été dirigées par des Israéliens « leur a donné la légitimité de dire ‘nous sommes pro-Israël’, tout en protestant contre le gouvernement israélien », a déclaré Omer.
Un moment clé de l’unité entre Israéliens et Juifs américains s’est produit lors d’une manifestation devant le consulat israélien en juillet 2023, à l’occasion de Tisha BeAv, un jour de jeûne qui marque la destruction des Temples sacrés de Jérusalem et d’autres tragédies, et qui tombait peu après l’adoption par le gouvernement israélien d’une partie importante de son projet de refonte du système judiciaire. L’événement combinait un office religieux et une protestation politique.
« C’était la première fois que nous faisions quelque chose de très juif », a déclaré Shany. Mais les Israéliens et leurs alliés américains étaient toujours divisés.
Sur le côté gauche du trottoir, les Juifs américains se sont rassemblés, portant une Torah et des kippot. À droite, la foule israélienne. Shany s’est adressée aux Israéliens en hébreu, les appelant à la patience pendant l’office, et aux Américains en anglais. Cet événement symbolise les relations compliquées mais productives entre les deux groupes, a-t-elle souligné.
« J’étais tellement bornée lorsque je suis arrivée ici, en pensant à la judéité et à la manière de protester », a déclaré Shany. « Je pense que la plus grande chose que j’en ai retiré est cette très importante leçon d’humilité. C’est une grande leçon pour moi, car j’ai beaucoup appris des gens qui sont différents de moi. »
Le mouvement de protestation a attiré l’attention en septembre 2023, lorsque Netanyahu et les membres de sa coalition se sont rendus à New York à l’occasion de l’Assemblée générale des Nations unies. Des milliers de partisans d’Israël se sont rassemblés devant le siège de l’ONU et à Times Square pour des manifestations contre le gouvernement israélien, beaucoup brandissant des drapeaux israéliens.
Les manifestants ont également organisé un jeu de « cache-cache » avec les ministres israéliens en visite. Lorsqu’un membre du groupe repérait l’un des législateurs en public, il partageait l’emplacement sur des groupes WhatsApp qui reliaient des milliers de militants, et les sympathisants à proximité se rendaient sur les lieux pour haranguer les politiciens.
Le 7 octobre est arrivé deux semaines plus tard.
Après avoir appris l’assaut du Hamas, Shany et Omer ont mis en place une plateforme en ligne avec l’aide d’amis en Israël, en utilisant le réseau qu’ils avaient construit lors des manifestations, pour faire don d’équipements aux soldats israéliens.
Les leaders des manifestations en Israël ont adopté la même approche dans les semaines qui ont suivi le 7 octobre, passant de la protestation contre le gouvernement à la fourniture de services sociaux et au plaidoyer en faveur de la libération des otages. Plus tard, le couple a reçu des photos de gilets pare-balles qu’il avait envoyés et qui portaient des impacts de balles, signe que l’effort avait probablement permis de sauver des vies.
Pour Omer, comme pour de nombreux Israéliens, le 7 octobre a signifié la perte d’êtres chers : quatre membres de sa famille ont été pris en otage à Gaza et deux autres ont été tués. Shany, qui était jusqu’alors le visage du mouvement de protestation, a passé le relais à son mari.
« Je me suis dit que je ne pouvais pas être le fer de lance de ce mouvement parce que j’avais manifesté contre Netanyahu deux semaines avant' », a déclaré Shany.
Une partie du matériel de protestation anti-gouvernement a été directement réutilisée pour soutenir les otages et l’effort de guerre. Lors d’un rassemblement le 10 octobre, Shany a distribué des drapeaux israéliens provenant des manifestations et portant le slogan « Libres sur notre Terre », une phrase de l’hymne national israélien adoptée par le mouvement de protestation.
La même semaine, un projecteur qui avait été utilisé pour diffuser un message anti-Netanyahu sur le siège de l’ONU quelques semaines auparavant a projeté des images d’otages israéliens sur le même bâtiment. Le slogan du mouvement de protestation, « Sauver la démocratie israélienne », a été remplacé par « Sauver Israël ».
Ils ont pris contact avec les familles des otages américains et se sont efforcés de former une coalition plus large avec la communauté juive américaine, aux côtés de groupes Juifs new-yorkais, en faisant appel à des organisations issues de l’ensemble du spectre politique juif américain, de la conservatrice Zionist Organization of America (ZOA) – qui a soutenu la refonte du système judiciaire – à la progressiste J Street.
Ils ont organisé des manifestations devant les Nations unies et dans toute la ville, ainsi que des rassemblements hebdomadaires devant le domicile privé du secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres. Au fil du temps, Guterres et les manifestants ont développé une relation cordiale, et le Secrétaire général a même pris le mégaphone de Shany pour s’exprimer en faveur des otages.
Au fil des mois, le couple s’est efforcé de faire en sorte que le mouvement new-yorkais de défense des otages reste résolument apolitique, contrairement à Israël, où une partie du mouvement en faveur de la libération des otages s’est retournée contre Netanyahu, qui, selon les manifestants, n’en fait pas assez pour garantir leur retour.
Noam Gilboord, responsable des relations avec la communauté au Conseil des relations avec la communauté juive de New York, a déclaré qu’il avait commencé à travailler avec Shany et Omer lors de la parade « Celebrate Israel » de 2023. La relation s’est développée au fur et à mesure que le couple et lui collaboraient sur des événements de prise d’otages.
« J’aurais aimé qu’il n’y ait pas eu besoin du 7 octobre et de la crise des otages pour consolider ce type de relation », a déclaré Gilboord. « Je pense que ce conflit a montré que la communauté des expatriés israéliens à New York a sa place au sein de la communauté juive au sens large. »
Le mouvement de protestation israélien à New York a perdu une partie de sa cohésion au cours des derniers mois, certains militants prônant une position plus politique, tandis que d’autres cherchent à se concentrer sur les otages et à se tenir à l’écart de la politique. Entre-temps, la refonte judiciaire, principale motivation du mouvement, a reculé.
Shany et Omer ont confié la direction du forum sur les otages à d’autres militants israéliens qui ont participé aux travaux, et ont déclaré qu’ils continueraient à soutenir cet effort et le mouvement de protestation à New York depuis l’étranger.
« Le mouvement israélien en faveur de la démocratie se poursuit et le quartier général de Bring Them Home continue ici », a affirmé Shany. « Tout le monde continuera à aller de l’avant. »
Toutefois, Getz estime que le mouvement de protestation risque de s’essouffler si le départ du couple crée un vide au niveau de la direction et supprime un ensemble de compétences essentielles.
« Lorsque Shany partira, il n’y aura plus personne de talentueux capable de négocier les deux cultures, de négocier le caractère israélien et le caractère juif américain », a-t-il déclaré. « Je suis inquiet car je ne vois personne pour les remplacer, elle et Omer, mais peut-être qu’il y en aura une. »
Leur passage en Israël sera une aubaine pour la gauche israélienne qui cherche à se reconstruire après des années de déclin, a ajouté Getz. « Les connaissances qu’elle apporte en Israël sur la dynamique politique juive américaine seront très utiles aux Israéliens. »
Le couple s’installera à Tivon, une petite ville du nord du pays. Omer reprendra son travail de consultant politique et Shany dirigera Israel Shelanu, une organisation politique libérale à but non lucratif qui s’aligne sur le mouvement de protestation.
À ce titre, elle espère continuer à renforcer les liens entre les Juifs américains et les Israéliens libéraux en ouvrant une nouvelle section d’Israel Shelanu consacrée à la promotion de ces liens.
« Il y a un pont qui a été construit et je pense que la lutte contre la refonte judiciaire a été la première étape. Nous avons réussi à ouvrir cette voie pour changer les idées, travailler ensemble et apprendre à se connaître », a expliqué Shany.
« Ensuite, la lutte pour les otages a permis de créer un nouvel espace où Israéliens et Juifs américains travaillent ensemble pour une cause commune. »
... alors c’est le moment d'agir. Le Times of Israel est attaché à l’existence d’un Israël juif et démocratique, et le journalisme indépendant est l’une des meilleures garanties de ces valeurs démocratiques. Si, pour vous aussi, ces valeurs ont de l’importance, alors aidez-nous en rejoignant la communauté du Times of Israël.
Nous sommes ravis que vous ayez lu X articles du Times of Israël le mois dernier.
C'est pour cette raison que nous avons créé le Times of Israel, il y a de cela onze ans (neuf ans pour la version française) : offrir à des lecteurs avertis comme vous une information unique sur Israël et le monde juif.
Nous avons aujourd’hui une faveur à vous demander. Contrairement à d'autres organes de presse, notre site Internet est accessible à tous. Mais le travail de journalisme que nous faisons a un prix, aussi nous demandons aux lecteurs attachés à notre travail de nous soutenir en rejoignant la communauté du ToI.
Avec le montant de votre choix, vous pouvez nous aider à fournir un journalisme de qualité tout en bénéficiant d’une lecture du Times of Israël sans publicités.
Merci à vous,
David Horovitz, rédacteur en chef et fondateur du Times of Israel