Baharav-Miara demande le rejet de la loi limitant la supervision du gouvernement
La procureure-générale demande aux juges de rejeter l'amendement à la Loi fondamentale excluant l'examen de la "raisonnabilité" pour statuer sur les décisions gouvernementales
Jeremy Sharon est le correspondant du Times of Israel chargé des affaires juridiques et des implantations.
La procureure-générale Gali Baharav-Miara a appelé, dimanche, la Haute Cour à rejeter une loi récemment adoptée par le gouvernement qui vise à limiter le réexamen, par les juges, des décisions prises par le gouvernement. Une telle récusation serait une démarche sans précédent de la part de la Cour qui a, jusqu’à présent, été réticente à l’idée de révoquer les amendements apportés dans le cadre des Lois fondamentales quasi-constitutionnelles du pays.
Dans sa réponse aux recours déposés contre la législation, la procureure générale a déclaré que la capacité de la Cour à utiliser la notion juridique du « caractère raisonnable » pour évaluer les décisions gouvernementales et les actions et autres décisions ministérielles était un élément déterminant de la démocratie israélienne et de son système d’équilibre entre les pouvoirs.
« Supprimer cet outil viendra saper le système, portant gravement atteinte à l’identité d’Israël en tant qu’État démocratique – ce qui justifierait amplement une éventuelle décision prise par la Haute Cour de révoquer la loi », a affirmé Baharav-Miara.
La procureure générale a refusé de soutenir le positionnement du gouvernement sur cette loi – ce qui est en soi une initiative controversée – et le gouvernement s’est appuyé sur un conseil juridique indépendant pour défendre son dossier devant la plus haute instance juridique du pays.
L’opinion déposée dimanche par Baharav-Miara devant la Haute Cour est la dernière d’une série d’avis juridiques qu’elle a émis contre la coalition, une situation qui a entraîné de fortes tensions entre son bureau et le gouvernement, plusieurs ministres ayant réclamé son renvoi.
Cette loi est la seule composante du programme de refonte radicale du système judiciaire à avoir été adoptée par la Knesset et, comme d’autres éléments de ce projet de réforme largement controversé, elle a suscité le féroce mécontentement des groupes responsables du mouvement de protestation qui balaie le pays, ainsi que la colère des partis de l’opposition.
« Cet amendement ferme les portes de la Cour à toutes les personnes ou à tous les groupes susceptibles d’être impactés si le gouvernement ou l’un de ses ministres devaient agir de manière extrêmement déraisonnable à leur égard », a écrit la procureure générale dans sa soumission à la Cour.
« Il est ainsi enlevé à la population un outil important qu’il pourrait utiliser pour se défendre face à l’exercice arbitraire du pouvoir de la part du gouvernement, ce qui n’est pas dans l’intérêt de la population. »
Dimanche en fin de journée, le ministre de la Justice, Yariv Levin, a âprement critiqué la procureure générale tout en précisant qu’il ne prévoyait pas de la renvoyer – pour le moment.
« C’est très difficile et presque impossible de travailler dans ces conditions », a expliqué Levin dans un entretien accordé à la chaîne publique israélienne Kan. « Ce n’est pas ainsi qu’un procureur général est supposé agir. » Toutefois, a-t-il ajouté, « la limoger serait très problématique. Ce n’est pas [chose] simple et ce n’est pas à l’ordre du jour actuellement, mais je ne sais pas ce qui nous attend demain – un nouveau record est atteint chaque jour. »
« La procureure générale est supposée représenter le gouvernement, défendre le gouvernement, assister le gouvernement – pas travailler contre lui », a ajouté Levin, qui a expliqué que « le moment est venu, pour la procureure générale, de faire preuve d’intégrité ». « Et je pense [personnellement] que la population doit le lui demander avec force. »
La Haute Cour n’a jamais invalidé une Loi fondamentale ou un amendement apporté à une Loi fondamentale jusqu’à présent, mais les juges ont insisté, à maintes occasions, sur le fait qu’ils étaient en droit de réexaminer de tels textes.
Dans plusieurs jugements différents, la Cour a souligné qu’elle pouvait intervenir face à une loi qui violerait le caractère juif ou le caractère démocratique d’Israël, ou qui constituerait un abus de la part de la Knesset de sa capacité à adopter ou à amender des Lois fondamentales, qui ont un caractère quasi-constitutionnel au sein de l’État juif.
Baharav-Miara a écrit dans son avis que la législation qui limite l’utilisation de la notion juridique de « raisonnabilité » lors du réexamen des décisions prises par le gouvernement violait ces deux principes et qu’elle devait, en conséquence, être invalidée.
Me Ilan Bombach, qui représente le gouvernement, a accusé la procureure générale d’avoir adopté « le positionnement le plus extrême » sur la loi. En conséquence, il a demandé que l’audience sur les recours déposés contre la loi, actuellement prévue pour le 12 septembre, soit reportée au mois d’octobre.
La législation portant sur la limitation de la notion juridique du « caractère raisonnable », qui vient sous la forme d’un amendement apporté à la Loi fondamentale : Le système judiciaire, a été adoptée au mois de juillet par le Parlement. Elle interdit à la Haute Cour d’utiliser ce critère juridique pour invalider les décisions et actions du gouvernement ou de ses ministres considérées comme « déraisonnables » par les magistrats.
Ce qui peut être le cas si la Cour estime que toutes les considérations nécessaires n’ont pas été prises en compte lors d’une prise de décision, que ces mêmes considérations n’ont pas été suffisamment réfléchies ou que d’autres éléments non-pertinents ont été pris en compte alors qu’ils n’auraient pas du l’être.
Le Premier ministre Benjamin Netanyahu, Levin et d’autres partisans de la loi affirment qu’elle est nécessaire pour empêcher des juges non élus d’imposer leur vision du monde face à la volonté du gouvernement et de la majorité.
Les détracteurs de la loi, pour leur part, déplorent la disparition d’un outil important dans la capacité des juges à étudier a posteriori les actions gouvernementales, ce qui pourrait nuire à l’indépendance des responsables de la police, à la légitimité des élections et aux droits individuels.
Dans le long avis qu’elle a soumis, la procureure générale affirme que la notion juridique de la « raisonnabilité » était « un pilier de la préservation de l’État de droit, car il exige du gouvernement et de ses membres de prendre leurs décisions de manière appropriée et dans le cadre des caractéristiques démocratiques de l’État d’Israël ».
« La notion de ‘raisonnabilité’ protège l’indépendances des hauts-responsables de la fonction publique, en particulier de ceux qui tiennent le rôle de garde-fous, en empêchant des nominations et des renvois inappropriés ; elle protège la légitimité du processus électoral en empêchant une mauvaise utilisation des pouvoirs gouvernementaux qui pourraient privilégier les intérêts de ceux qui détiennent précisément le pouvoir », a-t-elle précisé.
Elle a noté que la loi sur la limitation de l’utilisation du critère du « caractère raisonnable » ancre les capacités du gouvernement « à agir de manière extrêmement déraisonnable », lui permettant de décider à sa guise des politiques publiques en l’absence de réexamen judiciaire.
Baharav-Miara a spécifiquement souligné l’importance de la notion de « raisonnabilité » dans le cadre du réexamen des nominations des hauts-responsables à la tête des agences chargées de l’application de la loi et dans le cadre de leur éventuel renvoi également – il s’agit notamment des postes de procureur général, de procureur de l’État ou de chef de la police israélienne.
Elle a noté que l’outil qui a été le plus souvent utilisé pour le réexamen judiciaire de telles décisions a été celui de la « raisonnabilité » et que le supprimer saperait l’indépendance de ces officiels, minant l’État de droit et les normes démocratiques.
La procureure générale souligne aussi la manière dont le réexamen judiciaire des actions gouvernementales, en période électorale, dépend de la notion juridique du « caractère raisonnable » et a affirmé que sans cet outil déterminant, des gouvernements par intérim pourraient mal utiliser les fonds et les ressources publiques pour offrir des avantages variés à leurs électeurs, sapant ainsi le concept d’élections libres.
Baharav-Miara reconnaît qu’invalider une Loi fondamentale est quelque chose de « complexe et de sensible » mais elle répète que la législation adoptée par le gouvernement contrevient aux principes fondamentaux qui se trouvent au cœur de l’identité démocratique du pays, citant « la séparation des pouvoirs, l’État de droit, les droits de l’Homme, des élections libres et équitables ». Elle recommande donc le rejet de la législation.
Elle ajoute que la législation doit être évaluée dans le cadre plus général du projet de refonte radicale du système judiciaire avancé par le gouvernement tel qu’il a été présenté par Levin au mois de janvier dernier – notant que le ministre de la Justice a cherché, de manière générale, à supprimer l’équilibre des pouvoirs en accordant une quasi toute-puissance au gouvernement et en empêchant le système judiciaire d’assumer son rôle de contre-pouvoir.
La procureure générale a également fait valoir que la loi constituait un détournement du pouvoir constituant par le gouvernement actuel, puisqu’elle confère immédiatement des pouvoirs supplémentaires à la coalition actuelle tout en affaiblissant la capacité de la Cour à exercer un contrôle judiciaire sur ses actions.
« Il n’est pas possible de fermer les yeux sur le fait qu’il s’agit d’un amendement qui porte un coup mortel aux principes démocratiques de base et qui franchit largement les limites du pouvoir constituant… (c’est-à-dire qu’il s’agit d’un amendement inconstitionnel) et qu’il a été adopté par le biais d’une mauvaise utilisation du pouvoir constituant… Et qu’il doit, en conséquence, être considéré comme nul et non-avenu », conclut Baharav-Miara.
« Il est impossible de passer à coté du fait [le plus extraordinaire] qu’il s’agit d’un amendement qui porte un coup fatal aux principes démocratiques fondamentaux et qui dépasse les limites du pouvoir constituant (…) – c’est-à-dire un amendement constitutionnel inconstitutionnel – et qu’il a été adopté par le biais d’un abus du pouvoir constituant (…) et doit donc être considéré comme nul et non avenu », a conclu Baharav-Miara.